Intervention de Olivier Costa

Commission des affaires européennes — Réunion du 22 novembre 2023 à 16h35
Institutions européennes — Audition de M. Olivier Costa directeur de recherche au cnrs chercheur au centre de recherches politiques de sciences po paris cevipof directeur du département d'études politiques et de gouvernance européenne au collège d'europe et Mme Daniela Schwarzer membre du conseil d'administration fondation bertelsmann professeur honoraire à l'université libre de berlin co-rapporteurs du groupe d'étude france-allemagne sur la réforme des institutions de l'union européenne auteurs du rapport naviguer en haute mer : réforme et élargissement de l'union européenne au xxie siècle 18 septembre 2023

Olivier Costa, rapporteur du groupe d'étude France-Allemagne sur la réforme des institutions de l'Union européenne :

Je commencerai par quelques mots sur le contexte de la rédaction de ce rapport.

Vous avez présenté sa raison d'être, liée à la guerre en Ukraine qui rebat toutes les cartes et ouvre de nouvelles perspectives. Jamais l'Ukraine et la Moldavie n'auraient accédé au statut de pays candidats aussi rapidement sans ce bouleversement géopolitique. Jamais la Géorgie n'aurait pu accéder à ce statut qui va peut-être lui être également reconnu le mois prochain sans cela. De la même manière, les négociations avec les pays des Balkans occidentaux n'auraient pas été relancées sans ce nouveau contexte.

Cela crée donc une forme d'urgence qui exige des institutions européennes qu'elles se mobilisent pour penser la suite. Peu l'ont fait. Cela fait cinquante ans que se succèdent les rapports sur l'avenir de l'Union européenne mais, dans la période récente, assez peu de personnes se sont penchées sur cette question et sur les difficultés liées à l'unanimité nécessaire pour réformer les traités et les ratifier.

Un autre enjeu très important est l'affirmation somme toute nouvelle de l'Union européenne comme puissance. Il y a cinq ans, il était encore tabou à Bruxelles d'affirmer que l'Union était une puissance devant trouver sa place dans le jeu international, entre les États-Unis, la Russie et la Chine. Aujourd'hui, assez peu de personnes le contestent. Il faut donc mettre en musique l'idée que l'Union européenne doit assurer sa propre sécurité dans un monde devenu un peu plus dangereux et très incertain. Une réélection de M. Trump à la présidence des États-Unis l'année prochaine relancerait aussi la réflexion sur la possibilité de s'en remettre uniquement à l'OTAN pour assurer notre sécurité.

Il faut donc repenser l'Union européenne : quelle Union voulons-nous, quelles institutions pour la faire fonctionner, comment organiser l'élargissement sans brader l'acquis communautaire et les valeurs de l'Union et faire en sorte qu'une Union européenne à 35 reste fonctionnelle, dans ce contexte qui demande de la réactivité et une certaine capacité à prendre des initiatives ? C'est ainsi que Laurence Boone et Anna Lührmann ont lancé cette réflexion, en nous demandant de nous focaliser sur les institutions et non sur les politiques. Tel était le mandat qui était le leur, en tant que membres du Conseil affaires générales, où se discutent les questions institutionnelles mais pas les politiques publiques. Or il est évident qu'il faudrait aussi mener une autre réflexion sur la réforme des politiques de l'Union européenne et de ses priorités budgétaires si l'on veut réussir à penser l'avenir de l'Union.

Le groupe qui a été créé était composé de douze membres, six Français, six Allemands, les uns issus des think tanks, les autres professeurs, d'autres encore praticiens à la retraite, avec un bel équilibre des générations et des profils - malheureusement sans équilibre des genres, puisqu'on comptait sept femmes pour cinq hommes, ce qui est assez rare pour être souligné.

Nous n'avons pas bénéficié d'un secrétariat et avons eu peu de moyens pour nous déplacer et nous rencontrer, mais cela nous a permis de prendre en charge tous les aspects de notre travail de manière très autonome.

Nous avons travaillé essentiellement en visioconférence, deux fois par mois. Nous avons produit un grand nombre de notes détaillées qui ont toutes été rédigées par un membre français et un membre allemand du groupe. Daniela Schwarzer et moi-même avons ensuite rédigé le rapport sur la base de toutes ces notes et des minutes de nos réunions.

Notre objectif était d'avoir un rapport le plus court possible. Les ministres auraient souhaité qu'il tienne en 20 pages ; il en compte finalement plutôt 30, que nous avons essayé de rédiger dans un langage relativement simple et accessible. Juridiquement, c'est un élément de critique facile pour nos collègues les plus affûtés, mais c'est un choix délibéré.

Nous avons auditionné une longue liste d'acteurs venus de toute l'Europe et des pays candidats au cours de nos travaux, à huis clos et sans en publier la liste, certains ne souhaitant pas y figurer. Cela a été très utile pour tester un certain nombre d'idées et de propositions.

Je ferai simplement trois remarques sur notre travail. La première, c'est son indépendance. Le président l'a dit : le rapport n'a pas été endossé par les ministres, et nous-mêmes avons travaillé de manière totalement indépendante des autorités françaises et allemandes. Nous avons aussi oeuvré de manière bénévole, ce qui était une caution supplémentaire de notre liberté d'esprit. Nous n'avons pas vraiment rapporté aux cabinets ou aux ministres. Nous les avons rencontrés deux fois, plus pour leur indiquer les thématiques sur lesquelles nous réfléchissions que pour leur proposer des solutions opérationnelles. De la même manière, nous avons fait un point d'étape avec le Conseil affaires générales le 29 mai. Néanmoins, là aussi, Daniela et moi avons plus parlé des thématiques qui nous préoccupaient que soumis des idées.

Nous n'avons pas pris en compte les intérêts ou les positions françaises et allemandes. L'idée était de réfléchir de manière abstraite, à l'échelle des Vingt-Sept, et nous n'avons jamais eu de débat franco-allemand au sein du groupe. Cela m'a agréablement surpris. Nous avons d'ailleurs proposé un certain nombre de pistes dans ce rapport, qui ne vont pas forcément dans le sens des intérêts français et allemands : en effet, si l'on veut penser à une réforme d'ensemble, il faut trouver un équilibre qui permette à chacun d'y trouver son compte.

Le rapport n'a pas été repris par les ministres, mais je pense qu'il commence à avoir un impact sur certaines positions, aussi bien des ministres des affaires étrangères que, dans une certaine mesure, de MM. Macron et Scholz.

Mon deuxième ensemble de remarques concerne la portée de nos propositions. L'idée était de trouver un équilibre entre les positions de nombreux analystes pessimistes, consistant à souligner toutes les divisions qui peuvent exister entre les Vingt-Sept et l'impossibilité qu'aucune réforme n'advienne, et celles bien plus ambitieuses, notamment celles du Parlement européen qui sont effectivement délibérées aujourd'hui et me semblent assez peu susceptibles d'être massivement reprises à leur compte par les États membres.

Nous avons essayé de proposer un ensemble de solutions réalistes permettant de contribuer à l'élaboration d'un compromis entre les Vingt-Sept.

Les questions que nous traitons sont de veilles questions. Beaucoup de nos propositions sont des idées qui circulent depuis un certain moment. Notre idée était de revisiter tout cela à la lumière du nouveau contexte de la guerre en Ukraine, qui crée un état d'esprit très différent parmi les Vingt-Sept. On a pu le voir en temps réel : lorsqu'on a fait une première présentation d'un certain nombre d'idées, le 29 mai, elles ont été accueillies dans une ambiance relativement froide mais, lorsque nous avons présenté la version finale du rapport, mi-septembre, les choses avaient déjà changé. En l'espace de quelques mois, même les europhiles les moins enthousiastes avaient accepté l'idée qu'il allait falloir réaliser une réforme, qu'on l'aime ou non, puisque l'élargissement s'imposait plus comme une nécessité géopolitique que comme un choix de société ou un choix par rapport à l'intégration européenne. Tout cela avance très vite.

La situation est très tendue pour l'instant s'agissant des politiques publiques et du budget, mais j'ai bon espoir que les discussions qui s'annoncent progressent assez rapidement. Encore une fois, nous n'avons pu évoquer dans ce rapport la question des politiques publiques, et c'est évidemment un grand manque.

Troisième remarque : je crois qu'il existe aujourd'hui un consensus au Conseil, non sur les réformes à entreprendre mais sur l'idée qu'il va falloir en entreprendre certaines et que ceci est possible. D'une certaine manière, cela n'a pas été une surprise pour nous, car nous considérons l'intégration européenne avec un oeil d'historien.

D'un point de vue introspectif, on peut dire qu'à toutes les étapes de la construction européenne, les choses furent compliquées. Néanmoins, on a connu quatre réformes majeures des traités depuis 1990, quatre vagues d'élargissement, et tout ceci avec des exigences d'unanimité pour la négociation ou la ratification. Les contraintes sont aujourd'hui les mêmes. Plus il y a d'États membres et de joueurs, plus les choses sont complexes, mais on ne peut pas commencer en disant que rien n'est possible.

Certes, certains leaders nationaux ont moins d'appétence pour l'élargissement. M. Orbán ne s'en cache pas. Il existe une problématique budgétaire avec les États membres dits « frugaux », mais je pense qu'il n'y a rien d'insurmontable et qu'il faut explorer sérieusement et concrètement les possibilités d'une réforme si l'on veut qu'elle puisse intervenir.

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