Intervention de Olivier Costa

Commission des affaires européennes — Réunion du 22 novembre 2023 à 16h35
Institutions européennes — Audition de M. Olivier Costa directeur de recherche au cnrs chercheur au centre de recherches politiques de sciences po paris cevipof directeur du département d'études politiques et de gouvernance européenne au collège d'europe et Mme Daniela Schwarzer membre du conseil d'administration fondation bertelsmann professeur honoraire à l'université libre de berlin co-rapporteurs du groupe d'étude france-allemagne sur la réforme des institutions de l'union européenne auteurs du rapport naviguer en haute mer : réforme et élargissement de l'union européenne au xxie siècle 18 septembre 2023

Olivier Costa, rapporteur du groupe d'étude France-Allemagne sur la réforme des institutions de l'Union européenne :

Monsieur le président, vous avez raison d'insister sur le fait que le jeu se joue à deux niveaux. C'est pourquoi il faut conserver l'esprit ouvert. Peu de personnes auraient parié sur un changement de majorité en Pologne. Ce changement va avoir des répercussions majeures sur la possibilité de négocier une réforme des traités et les conditions d'un élargissement. Je ne pense pas que le gouvernement polonais devienne soudainement europhile, mais on ne sera pas dans une situation polarisée comme on a pu la connaître ces dernières années.

Cela peut bien sûr aller dans les deux sens : on n'est pas à l'abri de changements de gouvernement dans des pays pour l'instant pro-européens, mais il faut se donner la possibilité que quelque chose se passe si rien n'est préparé.

Il faut éviter de faire ce qu'on a fait dans les années 2000 : l'Union européenne attendait que les États candidats soient prêts et les États attendaient que l'Union européenne soit prête. Or personne n'était prêt. L'élargissement s'est ainsi fait dans des conditions suboptimales, avec un traité de réforme qui est arrivé après les élargissements et des États candidats qui n'étaient pas tous à niveau lorsqu'ils sont entrés dans l'Union européenne.

S'agissant de la place des Parlements nationaux, même si nous n'en avons pas parlé dans le rapport, les douze experts se sont mis assez vite d'accord pour reconnaître l'Union européenne comme un système politique hybride, qui est comme tel et qui le restera, c'est-à-dire un hybride entre la méthode communautaire originale inventée dans les années 1950, qui a subi une forme de parlementarisation avec le Parlement européen, les élections européennes, les partis nationaux, et un retour des États par le biais du Conseil, du Conseil européen et des Parlements nationaux. C'est inscrit dans les traités. Je pense qu'il y a là une forme d'équilibre.

C'est certes compliqué à comprendre mais très efficace. Il ne faut surtout pas toucher à cet équilibre. Le point de vue des rapporteurs était de ne rien proposer qui constitue un changement radical de la nature du système politique de l'Union européenne, qui doit conserver trois approches, avec un rôle pour la Commission et la Cour de justice, un rôle pour le Parlement européen, un rôle pour les organes représentant les États.

De fait, deux logiques de légitimation sont à l'oeuvre : une européenne, via le Parlement européen, la Commission, la Cour, et une nationale, via le Conseil, le Conseil européen et les Parlements nationaux. D'une certaine manière, le rôle de Parlements nationaux n'est pas évoqué dans notre rapport, mais il est présent entre les lignes.

S'agissant des questions de Mme de Cidrac, notre rapport est sans doute relativement technique, notre ambition étant de fournir des éléments de réflexion à destination des futurs négociateurs. Nous nous adressons essentiellement aux parties prenantes au débat, même si nous avons essayé de le faire de manière brève et pas trop jargonnante.

Concernant le rapport des citoyens à l'Union européenne, je ne serais pas aussi pessimiste que vous : je crois qu'on revient à l'Europe fonctionnelle des années 1950. L'opinion publique change assez positivement parce que les citoyens sont de nouveau amenés à comprendre à quoi elle sert.

L'Union européenne n'est pas simplement là pour fabriquer des normes qui n'ont aucun sens ou avoir des institutions qui tournent à vide. Elle mène des politiques pour penser la transition numérique, le Green Deal, les enjeux de sécurité. Tant que l'Union européenne produira des biens publics, elle pourra donner satisfaction à une partie de l'opinion publique. Ce qu'il faut absolument éviter, c'est de retomber dans la séquence constitutionnelle des années 2000, à savoir réfléchir sur les institutions sans réfléchir sur les contenus, les missions et les objectifs. Cela a été selon moi une erreur politique.

Monsieur Kern, la capacité d'absorption de l'Union européenne est très faible. C'est pourquoi il faut des réformes majeures dans le cycle législatif 2024-2029. Si ces réformes ne sont pas entreprises, je pense que l'Union européenne ne pourra pas accueillir de nouveaux États : il faut changer les politiques, changer les institutions et changer le fonctionnement du budget pour s'adapter à ce nouveau contexte.

S'élargir à tel ou tel État des Balkans occidentaux n'est pas un grand enjeu, mais s'élargir à l'Ukraine est une tout autre affaire, qui aura des répercussions massives sur le budget, la politique régionale, la politique agricole. Il faut adapter ces politiques. Ce débat doit commencer car, pour l'instant, on n'y est pas du tout.

Concernant l'adhésion « tout ou rien », notre proposition de quatre cercles, dont on débat depuis 30 ans, définit l'Union européenne comme un deuxième cercle avec, au sein de cette Union, la possibilité pour un nombre plus restreint d'États d'aller bien plus loin dans l'intégration. On trouverait autour de l'Union un cercle de membres associés pour créer une catégorie homogène avec les États qui ont des rapports particuliers avec l'Union, comme la Suisse, la Norvège, la Turquie voire le Royaume-Uni. Enfin le quatrième cercle serait celui du continent, avec la Communauté politique européenne.

D'une certaine manière, l'élargissement doit aussi se penser dans ce contexte, avec des États qui voudraient peut-être d'abord accéder à un statut de membres associés avant de devenir membres pléniers.

Notre idée est que chaque État doit se trouver dans le cercle où il a envie d'être. Il n'est pas question de forcer les Britanniques à revenir dans l'Union ni de les exclure définitivement de tout arrangement, mais de proposer une structure claire où chaque État a un niveau d'implication et d'engagement.

On peut aussi réfléchir à une adhésion par étapes, qui a déjà été pensée lors de la réforme du processus d'élargissement de 2020. On a maintenant six grands paquets de négociation et éventuellement la possibilité pour un État candidat de commencer à bénéficier d'une politique sans en avoir terminé avec tous les autres. Cela nous semble assez pragmatique, car attendre que les États candidats aient bouclé l'ensemble des négociations sur les six paquets sera très long.

Si on veut néanmoins réaliser une adhésion par étapes, il existe plusieurs conditions : on ne peut séparer l'État de droit du marché intérieur. L'idée qui consisterait à dire que les États candidats pourraient très rapidement rejoindre le marché intérieur sans se préoccuper de réforme de la justice ou de protection des droits fondamentaux ne me semble pas bonne.

Deuxièmement, il faut que ce soit réversible. L'État qui participe à une politique parce qu'il dit qu'il est prêt ou qu'il est reconnu comme tel doit y participer tant qu'il continue à faire les efforts attendus.

Troisièmement, il faut un calendrier précis. Il faut absolument éviter une situation de gel où un État participerait à telle ou telle politique et s'en contenterait. On entrerait là dans une Europe à la carte, qui ne serait pas gérable du point de vue institutionnel ni sur le plan de la lisibilité.

Mme Linkenheld a évoqué la désaffectation des citoyens. Je ne suis pas sûr de celle-ci. Les gens parlent beaucoup des élections de l'année prochaine. Je constate qu'en 2019, en France, on a eu un taux de participation aux élections européennes de 50 %, contre 46 % aux législatives en 2022 et 47 % en 2017. Les députés européens sont donc en quelque sorte mieux élus que les députés à l'Assemblée nationale, et personne ne va les contester.

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