Intervention de Hervé Berville

Commission des affaires européennes — Réunion du 25 octobre 2023 à 13h30
Agriculture et pêche — Audition de M. Hervé Berville secrétaire d'état auprès de la première ministre chargé de la mer

Hervé Berville, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargé de la mer :

Merci Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les sénateurs, c'est un plaisir d'être auditionné devant votre commission. Ce rendez-vous, en passe de devenir régulier, permet, au-delà des questions urgentes, de réfléchir ensemble sur le long terme à l'avenir de nos pêcheurs et territoires afin d'assurer la souveraineté alimentaire ainsi que la protection de la biodiversité et de la ressource.

Tout en tentant d'être concis pour répondre à vos questions, je souhaite revenir sur trois sujets. Mon premier point portera sur les questions d'urgence, notamment celle de l'aide au carburant. J'aborderai ensuite les réformes structurelles que nous avons engagées, en particulier celles que nous menons en association avec la filière et les territoires, afin d'éviter une gestion de la pêche qui ne serait axée que sur les plans de sortie de flotte ou des aides au carburant. Ce n'est ni souhaitable, ni durable. Nos efforts doivent viser à promouvoir une gestion de la pêche pérenne, s'appuyant notamment sur des mécanismes de solidarité au sein de cette filière, comme il en existe dans d'autres. Enfin, le troisième sujet sur lequel je souhaite échanger concerne quelques échéances de long terme, telles que la préparation de l'accord avec le Royaume-Uni ou encore la nécessité de faire évoluer la politique commune de la pêche afin de garantir notre souveraineté alimentaire, compte tenu des importations des produits de la mer qui s'élèvent à près de 80 % de nos besoins.

La première urgence est celle du report des aides au carburant. Ce dernier ne constitue pas un revirement mais un exercice de vérité, de transparence et de lucidité que nous devions à nos pêcheurs. Je leur ai indiqué, aux Assises de la pêche, qu'à l'heure où je leur parlais, il n'était pas possible de prolonger cette aide au carburant, non pas parce que la France ne le souhaitait pas, mais parce que le cadre européen ne le permettait pas. Il convenait alors de se préparer au refus éventuel du report tandis que le gouvernement français avait demandé la prolongation de l'aide, dès le mois d'août, constatant que le coût du carburant avait augmenté par rapport aux deux mois précédents, passant de 50 centimes d'euros à presque 95 centimes d'euros. J'ai tenu ainsi un discours de vérité, comme je l'ai fait pour les aires marines protégées ou le plan d'accompagnement individuel. Je ne pouvais pas affirmer en septembre qu'une prolongation des aides au carburant était garantie. Il fallait que l'on se prépare à toute éventualité et cela a fonctionné. Des mécanismes de solidarité ont été mis en oeuvre avec un engagement volontaire de Total, conduisant à une diminution de 13 centimes d'euros à la pompe. Le travail sur le contrat stratégique de la filière pêche a également été accéléré.

L'aide consacrée à l'achat de carburant par le gouvernement français, d'un montant total de 75 millions d'euros, n'a ni précédent ni équivalent dans l'Union européenne. Elle a été prolongée quatre fois. Le plafond d'aides qui était de 30 000 euros a été progressivement relevé à 330 000 euros, soit un montant supérieur à ce qui est autorisé dans d'autres secteurs. Nous avons fait en sorte que personne ne soit oublié, en particulier les pêcheurs artisanaux afin qu'ils puissent sortir en mer. Je tiens également à rappeler que depuis le début de la crise, plus de 230 millions d'euros ont été injectés dans la filière, que ce soit pour des arrêts temporaires, pour la sole ou encore pour le plan de gestion Westmed.

L'aide au carburant ayant été reconduite jusqu'au 4 décembre, nous avons d'ores et déjà demandé à la Commission européenne de la prolonger jusqu'en 2024, compte tenu des prix élevés. Toutefois, en toute transparence, je ne peux pas vous garantir que ce sera le cas ad vitam aeternam. Par ailleurs, il convient d'éviter de se retrouver dans une situation où nous dépendons totalement d'une décision de la Commission européenne. Nous avons besoin de mécanismes nous permettant de ne pas être aussi vulnérables car nous ne produisons pas de pétrole.

La deuxième urgence concerne le plan d'accompagnement individuel, ou plan de sortie de flotte. J'avais pris devant vous trois engagements à ce propos. Le premier était le maintien des équilibres géographiques. Cela consiste à éviter qu'un nombre conséquent de navires ne soient détruits dans un territoire, y fragilisant ainsi la viabilité du secteur de la pêche.

Deuxièmement, nous nous étions engagés à ce que la totalité des licences Brexit qui étaient attachées à des navires qui ont été détruits, soient rendues. C'est un fait inédit dans l'histoire des plans de sortie de flotte. Cela permet de maintenir nos capacités de production, en les réattribuant sur le territoire national.

Enfin, le troisième engagement tenu portait sur la préservation de l'aval de la filière. Après huit mois d'échanges avec la Commission européenne, nous sommes parvenus à obtenir un plan d'accompagnement, notamment des mareyeurs. Le plafond d'aides de minimis pour les entreprises de l'aval est passé de 30 000 euros à 200 000 euros. Un plan de soutien aux mareyeurs, à hauteur de 12 millions d'euros, sera mis en oeuvre, en cas de pertes d'exploitation. Ce secteur est vital pour la fourniture de produits transformés de qualité.

La troisième et dernière urgence, après l'aide au carburant et l'accompagnement du plan de sortie de flotte, concerne la négociation des Totaux Admissibles de Captures (TAC) et des quotas de fin d'année. Je me dois de vous dire que celle-ci s'annonce très compliquée. À l'exception de la Manche, tous les autres secteurs géographiques connaissent une situation de baisse significative, voire drastique de la ressource. Le conseil scientifique l'a constaté, ce qui ne signifie pas que les pêcheurs en soient la cause principale. En tout état de cause, cette réduction du stock aura un impact sur nos pêcheries. La défense de notre souveraineté alimentaire sur l'ensemble de nos territoires, est organisée selon trois principes :

- la reconnaissance des efforts qui ont été réalisés par nos pêcheurs pour protéger la ressource ;

- la spécificité des territoires parce que la réalité de la mer Méditerranée n'est pas la même que celle du golfe de Gascogne ;

- et, la viabilité économique de nos entreprises.

Si nous ignorons ces principes, notre capacité à maintenir notre souveraineté alimentaire sur le long terme s'en trouverait d'autant plus affectée que nous n'avons pas mis en place de clauses miroir au niveau européen, qui nous préserveraient de produits qui n'obéissent pas aux mêmes standards environnementaux et sociaux que les nôtres.

C'est pourquoi, j'ai rencontré cette semaine mes homologues belge et néerlandais afin d'échanger sur ces trois principes. Cela nous permettra d'obtenir un résultat qui pourrait être moins négatif que celui envisagé à l'heure actuelle. Vous pouvez compter sur moi pour défendre nos territoires.

L'ensemble de ces éléments renforce ma conviction qu'il est important d'évoluer vers la pluriannualité des quotas. La variation annuelle des stocks ne donne aucune visibilité à nos pêcheurs et les empêche d'obtenir des investissements sur le long terme. Cela décourage une gestion durable des pêches. Cette pluriannualité existe déjà pour la gestion du thon et fonctionne avec succès. La France et l'Espagne ont demandé l'an dernier au Conseil de l'Union européenne d'étudier la gestion pluriannuelle d'un certain nombre de stocks. Nous avons identifié pour cette année, la plie, la langoustine et la sole.

Au-delà des trois urgences que je voulais évoquer avec vous, ma responsabilité est de construire des réponses à long terme dans le cadre de réformes structurelles de la filière, demandées par les pêcheurs, par les territoires ainsi que par nos concitoyens. Le premier élément que nous avons porté depuis le salon de l'agriculture est le contrat stratégique de la filière pêche qui vise à réunir autour de la table les trois maillons de la chaîne, représentés par les pêcheurs, les premiers acheteurs (criées et mareyeurs) et la branche de la transformation, afin d'assurer plus de solidarité entre ces acteurs. En effet, lorsque l'un d'entre eux tombe, les autres sont fragilisés.

Cela permet d'étudier des sujets qui, certes, ne feront pas l'ouverture du journal télévisé le soir, mais qui sont fondamentaux pour la souveraineté de notre pays ainsi que pour l'équilibre économique de l'ensemble de nos territoires. C'est pourquoi, je remercie M. Frédéric Toulliou, président de l'association France Filière Pêche, et M. Olivier Le Nézet, président du comité national des pêches, d'avoir porté les travaux sur le suivi économique de la filière avec l'instauration d'un observatoire, sur l'augmentation des prix lors de la première mise en marché et des criées ou encore sur le renforcement de l'attractivité des métiers de la filière. Ce contrat stratégique de filière devrait être lancé lors du prochain salon de l'agriculture.

Au-delà de ce contrat, et s'agissant du deuxième point concernant les réformes structurelles, j'ai souhaité que les acteurs privés proposent également des mécanismes de solidarité. C'est la raison pour laquelle Total a pris un engagement volontaire, notamment envers la filière pêche, avec le verdissement de ses carburants ainsi qu'une ristourne sur leur prix de 13 centimes d'euros dès le 1er janvier 2024, prévue dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances. Cet engagement favorise la transition énergétique et le pouvoir d'achat de nos pêcheurs. Il crée également des liens plus forts entre les acteurs. Quant à la Compagnie maritime d'affrètement - Compagnie générale maritime (CMA-CGM), elle a mis en oeuvre un fonds de décarbonation du secteur de la pêche de 20 millions d'euros, en lien avec la Banque Publique d'Investissement (BPI), afin de financer la remotorisation, la réduction de la consommation de carburant ainsi que les techniques de pêche peu énergivores.

Le troisième volet des réformes structurelles porte sur les simplifications, très attendues des pêcheurs. J'en citerai trois particulièrement importantes. La première concerne l'accès à la médecine d'aptitude des gens de mer. Une expérimentation dans l'Hérault et dans le Morbihan va être lancée, ouvrant cet accès via la médecine de ville afin de permettre aux pêcheurs d'obtenir des rendez-vous plus rapidement pour pouvoir embarquer. Cela permet également de réduire les tensions sur le marché du travail.

La deuxième mesure souhaitée par les pêcheurs consiste en l'alignement des températures des criées et des entreprises sur la réglementation européenne, en passant de 0° - 2° à 0° - 4°. Cela peut sembler anodin mais cette mesure vise à accroître la compétitivité de nos criées.

La troisième mesure de simplification concerne le renforcement du lien entre les lycées maritimes et les entreprises de pêche afin d'améliorer les conditions de stage et de consolider l'insertion des jeunes, en lien avec la réforme du lycée professionnel que vous n'ignorez pas. Cela permettra également de leur faire découvrir la diversité des métiers de la mer ainsi que leurs débouchés économiques.

Après les questions d'urgence et les réformes structurelles de la filière, j'aborderai le dernier volet de mon exposé, Monsieur le président, consacré aux prochaines échéances à plus long terme, que nous allons bien évidemment construire ensemble, dès maintenant.

La première concerne la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles qui constitue un impératif, tant pour le climat que pour la viabilité économique de nos entreprises. C'est la raison pour laquelle j'ai annoncé un plan de transition énergétique de la flotte que nous devons préparer dès maintenant, segment de flotte par segment de flotte, territoire par territoire, financé par les produits de la taxe éolienne en mer, à hauteur de 450 millions d'euros sur les dix prochaines années. Le choix du gouvernement est de moderniser la flotte afin qu'elle soit adaptée aux enjeux du XXIe siècle ainsi qu'au besoin des jeunes pêcheurs de bénéficier de navires plus confortables, plus silencieux, plus économiques en carburant. Cette mission doit être engagée dès maintenant, compte tenu des éventuelles crises du pétrole dans le futur.

La France est le seul pays à avoir adopté une telle démarche ; or celle-ci porte sur une flotte très diverse, qui se situe aussi bien en Méditerranée, au large de l'océan Indien, dans le Pacifique, ou encore au large des côtes anglaises. C'est pourquoi, il est nécessaire d'y consacrer des moyens financiers importants, associés à un accompagnement, dès maintenant car ce plan s'inscrit dans le temps pour être au rendez-vous de nos objectifs climatiques de 2050.

Le deuxième sujet de long terme consiste en une attention particulière portée dès maintenant aux outre-mer. Une grande partie de notre souveraineté et de notre autonomie stratégique dépendent de ces territoires ultramarins qui composent la grande majorité de notre surface maritime. Nous avons obtenu une belle avancée auprès de la Commission européenne avec une augmentation du seuil de minimis afin d'accompagner la modernisation des navires de moins de 12 mètres, ce qui était attendu depuis très longtemps. Je reconnais, Monsieur le président, que le combat n'est pas achevé car le montant ne suffit pas à couvrir toute la flotte.

Cela nous engage, toutefois, dans une dynamique de reconnaissance du besoin de modernisation des navires de pêche dans les territoires ultramarins, où ils font face à la concurrence parfois déloyale de navires étrangers, pratiquant la pêche illégale. Nos compatriotes ultramarins ne le comprennent pas, à juste titre. Nous devons absolument leur donner les capacités de moderniser leurs navires.

Nous avons transmis à la Commission un rapport national destiné à identifier les navires pour lesquels il existe un équilibre entre la capacité de pêche et les possibilités de pêche du segment de flotte auxquels ils appartiennent. Nous attendons désormais que la Commission valide cette appréciation, afin de pouvoir verser les aides afférentes.

Il est également essentiel de corriger le déficit de formations maritimes dans ces territoires ultramarins, avec la création de formations, de CAP ou de lycées qui permettent le développement de la filière maritime. À titre d'illustration, un CAP maritime sera créé en Guyane dès la rentrée 2024, qui formera non seulement au métier de pêcheur mais également à celui de mécanicien dans le secteur maritime. Un lycée maritime a été ouvert à La Réunion, fruit d'une maritimisation du lycée professionnel. Je tiens à rendre hommage à Madame Huguette Bello, présidente du conseil régional de La Réunion, qui s'est battue sur ce sujet depuis des années. Enfin, je me rendrai le mois prochain en Polynésie où nous travaillons, avec le président, M. Moetai Brotherson, sur des formations maritimes, pour la pêche mais aussi pour la construction de navires et leur réparation, ce qui permettra de renforcer la souveraineté alimentaire et économique du pays.

Un troisième sujet de long terme, Mesdames et Messieurs les sénateurs, concerne la préparation de l'accord de commerce et de coopération avec le Royaume-Uni. Le député, M. Bertrand Bouyx, a été mandaté à cette fin. L'oeil et l'expertise du Sénat seront importants en ce domaine. Nous devons être prêts en 2026 afin de garantir à nos pêcheurs l'accès aux eaux, dans les prochaines années.

Je terminerai par la nécessaire évolution de la politique commune des pêches. Les questions de politique maritime intégrée, de préservation de la biodiversité et de l'habitat marin ainsi que d'approche économique et commerciale de la pêche pourraient être abordées à l'occasion des débats entourant les prochaines élections européennes. Sur ce dernier point, le projet d'introduire des mesures miroir semble fondamental et a donné lieu à l'envoi d'un courrier aux deux commissaires, en attente de réponse. On ne peut demander un certain nombre d'efforts, certes légitimes, à nos pêcheurs, et, par exemple, continuer à importer des crevettes venant de l'Équateur qui ne répondent pas aux mêmes standards que les nôtres. Des mesures de réciprocité existent dans d'autres secteurs. Leur mise en oeuvre pour le secteur de la pêche constituerait un gage de respect vis à vis de nos pêcheurs, de confiance et de qualité, en particulier dans la restauration collective de nos enfants ou dans d'autres secteurs publics.

En conclusion, Mesdames et Messieurs les sénateurs, l'aide au carburant représente une urgence. Nous sommes aux côtés des pêcheurs. Nous continuerons à les défendre, notamment au sein de l'Union européenne afin de porter nos priorités, comme celles des TAC et quotas ou celle de la modernisation des règles pour les territoires ultramarins, avec une vision qui promeut à la fois la biodiversité et la souveraineté économique. Je n'ai aucun doute sur le fait que nous aurons encore des pêcheurs dans les prochaines années, des Hauts de France jusqu'en Bretagne, en passant par nos territoires ultramarins. Je vous remercie.

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