Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous revient d'examiner la proposition de loi organique de nos collègues Hervé Maurey et Dominique Vérien, visant à rétablir la réserve parlementaire en faveur des communes rurales et des associations.
Inscrite à l'ordre du jour de l'espace réservé au groupe Union Centriste, cette proposition de loi est examinée dans les conditions du gentleman's agreement : les modifications qui sont intervenues en commission ont été soumises aux auteurs du texte, que je salue, et je tiens à souligner la qualité de nos échanges.
Cette proposition de loi organique s'inscrit, comme cela vient d'être rappelé par ses auteurs, dans la suite d'un mouvement, qui a réuni des parlementaires des deux chambres, et de très nombreux groupes politiques pour rétablir la réserve parlementaire, que nous appelons aussi au Sénat la « dotation d'action parlementaire ». Je pense notamment à l'appel de 300 parlementaires de fin octobre dernier.
Dès 2021, des initiatives ont vu le jour. Notre collègue Jean-Marc Boyer a déposé une proposition de loi visant à instituer une dotation d'action parlementaire au sein de la dotation d'équipement des territoires ruraux. Nos collègues Laurence Muller-Bronn et Alain Houpert ont également enregistré à la présidence du Sénat une proposition de loi organique visant à rétablir la pratique de la réserve parlementaire, au profit des petites communes et des associations. Des propositions en ce sens ont aussi été formulées à l'Assemblée nationale.
Toutes ces initiatives montrent l'attachement des députés et sénateurs à ce dispositif, qui offrait une souplesse pour financer les projets des communes et des associations.
Je rappelle que la suppression de la réserve parlementaire a été adoptée lors de l'examen de la loi organique pour la confiance dans la vie politique, votée le 15 septembre 2017, pour des raisons tenant, à l'époque, aux soupçons de clientélisme qui, selon certains, entouraient ce dispositif.
Pourtant, il faut rappeler que les subventions versées étaient attribuées selon les modalités de droit commun et que chaque année était publiée en ligne la liste de toutes les aides versées : les montants, les noms des bénéficiaires et du parlementaire à l'origine de la proposition devaient obligatoirement être mentionnés.
Au demeurant, les dispositifs qui ont succédé à la réserve n'ont, me semble-t-il, pas fait leurs preuves ni, à tout le moins, montré une efficacité supérieure.
Dans le cadre de la dotation d'équipement des territoires ruraux, le rôle des parlementaires se limite à la participation à une commission consultative placée auprès du préfet de département, qui reste seul décisionnaire, en ayant, comme boussole, les priorités nationales du Gouvernement.
Le ciblage de la DETR est également très différent de celui de la réserve parlementaire. En 2022, les subventions inférieures ou égales à 20 000 euros ne représentaient que 10 % à peine de l'enveloppe.
Il manque aujourd'hui, dans la palette des dotations d'investissement, des outils de financement à destination des petits projets communaux.
En ce qui concerne les associations, les résultats du second volet du fonds pour le développement de la vie associative, le FDVA 2, sont décevants. Tout comme pour l'attribution de la DETR, le rôle des députés et des sénateurs se limite à la participation à une commission consultative, tandis que le préfet de région reste le seul véritable décideur. De plus, le fonctionnement du FDVA 2 est difficilement lisible pour les petites associations.
Face à ce constat, le rétablissement de la réserve parlementaire se présente non comme un « retour en arrière », mais comme une façon de financer des projets qui resteraient sinon « sous les radars ».
Je ne dis pas que la réserve parlementaire était parfaite. Les différences de montants entre les parlementaires pouvaient être sujettes à caution. Il est toujours possible de renforcer les garanties de transparence et de qualité des projets subventionnés. Les auteurs de texte et moi-même nous y sommes attachés.
C'est pour cette raison qu'en 2017, lors de l'examen de la loi organique pour la confiance dans la vie politique, le Sénat a souhaité donner un cadre juridique à la réserve parlementaire, plutôt que de la supprimer. Ainsi, sur une initiative conjointe de Philippe Bas, rapporteur, et d'Albéric de Montgolfier, rapporteur pour avis de la commission des finances, il a adopté en première lecture un dispositif de remplacement de soutien aux projets d'investissement des communes.
Nous sommes nombreux à souhaiter doter la réserve parlementaire d'une assise juridique fiable.
Pour cette raison, la commission des finances a adopté, en accord avec les auteurs de la proposition de loi, un amendement qui a largement réécrit le texte initial, de manière à ce que la « nouvelle » réserve parlementaire soit irréprochable du point de vue juridique.
L'article unique du texte prévoit que, chaque année, les commissions des finances des deux assemblées adressent au Gouvernement la liste des projets d'intérêt local que les députés et les sénateurs lui proposent de soutenir, par des subventions, lors de l'exercice budgétaire suivant.
Ces subventions peuvent financer les projets émanant d'associations ou de communes. En accord avec les auteurs de la proposition de loi, la commission a préféré ne pas introduire de limitations relatives au nombre d'habitants, afin de ne pas exclure les élus des départements urbains et d'outre-mer du dispositif et afin de limiter le risque de rupture d'égalité.
Nos départements sont divers. Ils comptent souvent autour d'une ville-centre, outre les communes rurales, d'autres communes dont la population est au-dessus du seuil démographique qui était envisagé. Les parlementaires seront ainsi libres de proposer, en responsabilité, de soutenir un projet, quelle que soit la taille de la commune dont il émane.
Le texte définit ensuite de nouveaux critères : les projets devront ainsi permettre la mise en œuvre d'une politique d'intérêt général et être réalisés dans un délai maximal de sept ans. Il est également précisé que le montant de la subvention ne devra pas excéder la moitié du montant du coût du projet.
Nous mettons aussi l'accent sur les obligations de transparence. Le texte prévoit la publication annuelle de la liste des subventions versées : pour chacune d'entre elles, le nom du bénéficiaire, le montant versé, la nature du projet financé, le programme concerné et le nom du parlementaire, du groupe politique ou de la présidence de l'assemblée qui l'a proposée, devront être indiqués.
L'obligation pour les bénéficiaires de rendre public l'usage des crédits est également réaffirmée.
Enfin, le texte proposé est conforme à la fois à l'article 40 de la Constitution et au principe de séparation des pouvoirs, dans la mesure où il est précisé que les subventions de la réserve parlementaire émanent, formellement, de « propositions » des députés et sénateurs.
Contrairement à ce que l'on croit parfois, la réserve parlementaire, avant sa suppression en 2017, n'était aucunement une obligation qu'imposaient les députés et sénateurs au pouvoir exécutif. Il s'agissait en réalité de propositions, que le Gouvernement avait la possibilité de ne pas suivre.
Si, dans la pratique, il respectait la volonté des représentants, c'était en vertu d'une convention républicaine fondée sur ce constat : les parlementaires disposent d'une fine connaissance de leur territoire. À l'heure actuelle, ce type de convention manque cruellement dans notre vie institutionnelle et politique.
Un tel constat ne cache aucune volonté de réhabiliter des pratiques que nos concitoyens peuvent rejeter, à raison. Il s'agit simplement de créer les conditions d'une collaboration efficace et transparente entre les pouvoirs, au service de l'intérêt général.
La proposition de loi organique de nos collègues Hervé Maurey et Dominique Vérien n'a pas seulement pour effet de raffermir le lien entre les parlementaires et les territoires : elle rétablit une forme de gentlemen's agreement entre le Gouvernement et le Parlement. La commission des finances vous propose donc de l'adopter.