Intervention de Jacques Fernique

Réunion du 18 décembre 2023 à 16h00
Ouverture à la concurrence du réseau de bus francilien de la ratp — Vote sur l'ensemble

Photo de Jacques FerniqueJacques Fernique :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes au bout du cheminement parlementaire très rapide de cette proposition de loi visant à aménager, pour les bus de la RATP de Paris et de la petite couronne, leur « privatisation » – veuillez excuser ce gros mot ! –, ou plutôt leur « délégation de service public au privé ».

Je l’ai dit lors de l’examen en première lecture du texte, mon groupe et moi-même nous interrogeons sur les modalités de ce processus d’ouverture à la concurrence proposé au travers de ce texte, qu’il s’agisse de la préservation des conditions de travail des salariés, de l’intérêt des usagers ou de la continuité du service public.

La LOM prévoyait à l’origine ce changement pour le 1er janvier 2025. À un an de l’échéance, chacun s’accorde à le reconnaître, les conditions matérielles, économiques et sociales d’une telle transformation ne sont pas réunies.

La loi de 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires laissait aux AOM la possibilité de choisir entre une ouverture à la concurrence ou une régie publique régionale. Or l’option de la régie publique n’a jamais été sérieusement étudiée, ce qui est bien dommage ! Ce modèle n’aurait-il pas été adapté à l’ensemble multimodal interconnecté que constitue le réseau de la RATP ? En tout cas, la réglementation européenne ne l’aurait pas empêché.

Mettre en concurrence des éléments de cet ensemble multimodal, c’est toucher à un équilibre déjà bien fragile, et s’assurer des problèmes de coordination, de maintenance et de continuité de service.

Les syndicats tirent la sonnette d’alarme. Les quelque 19 000 agents concernés sont inquiets quant à leur transfert aux différents opérateurs. Le fameux « sac à dos social » qu’on leur promet ne les rassure pas, malgré la connotation boy-scout et sympathique de la métaphore.

Ils s’interrogent sur la capacité des acteurs à répondre aux attentes sociales. Alors même qu’il existe déjà de fortes difficultés structurelles en matière de recrutement, est-il nécessaire d’en ajouter ?

Je m’interroge par ailleurs sur l’échéance retenue. En effet, à un tel rythme, il sera difficile d’apaiser les tensions et de clarifier les zones d’ombre.

En effet, l’essentiel de ce texte réside dans l’article fixant l’échéance à tenir, lot après lot, à un rythme enlevé, sitôt les jeux Olympiques passés. Or il nous a été impossible, en tant que parlementaires, de proposer des alternatives, toute initiative en ce sens étant condamnée à être rejetée en application de l’article 40 de la Constitution !

L’autorité organisatrice de la mobilité a fait le choix de retenir le critère du prix comme premier élément de notation, à hauteur, si je ne me trompe, de 40 %. L’offre la moins-disante économiquement pourrait aussi être la moins-disante socialement, les opérateurs privés risquant de rogner d’abord sur la masse salariale.

Or nous devons garantir l’attractivité des transports publics du quotidien. Leur développement est un sujet majeur si nous voulons assurer un report modal vers les mobilités décarbonées.

Le défi est donc grand pour la région Île-de-France, qui s’apprête à absorber d’importantes charges d’exploitation supplémentaires et à entamer la nécessaire transition énergétique d’électrification des bus.

Outre la multiplication des opérateurs, qui sera source de complexité, l’attribution des lots pour cinq ans sera source d’instabilité. Quid du document d’allotissement dont nous ne pouvons mesurer la pertinence, puisque son contenu précis est inconnu à ce stade ? Jusqu’à la fin de 2026, tous les deux mois un lot nouveau est alloué. Il paraît difficile, à une telle cadence, de garantir à tous des conditions de transfert « équitables, justes et bénéfiques ». Avec douze lots ou treize lots et des lignes ou dépôts « éclatés », on peut se préparer à de sacrées complications. Ces lots seront-ils équilibrés et viables ? Cela n’a rien d’évident !

La compétence de l’Autorité de régulation des transports en matière de différends concernant le nombre de salariés transférés avait été supprimée à l’Assemblée nationale. Le Sénat a tenu à réintégrer l’ART comme autorité compétente. C’est fort bien, mais encore faudrait-il qu’elle soit dotée de moyens à la hauteur de l’ensemble de ses missions. M. le rapporteur a raison d’insister sur cette nécessité.

L’ouverture à la concurrence risque enfin, au vu de ses conditions de mise en œuvre, d’amplifier la discrimination territoriale. Elle a débuté dès 2019 pour le réseau de l’Organisation professionnelle des transports d’Île-de-France (Optile). Or certaines communes souffrent aujourd’hui d’un manque de bus. La dégradation des conditions de travail et de la qualité de l’offre est visible dans ces secteurs. Pourquoi ne pas avoir tiré les leçons de ces dysfonctionnements ?

L’expérience le montre, l’ouverture à la concurrence occasionne des problèmes. Pourrons-nous les surmonter en nous empressant, sitôt passés les jeux Olympiques ? Pour toutes ces raisons, notre groupe ne votera pas ce texte.

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