Intervention de Marc Fesneau

Réunion du 8 décembre 2023 à 14h45
Loi de finances pour 2024 — Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural

Marc Fesneau :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires économiques, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite en tout premier lieu saluer les votes de la commission des affaires économiques et de la commission des finances, qui ont émis un avis favorable à l’adoption des crédits de cette mission.

J’ai bien compris qu’il ne s’agissait pas d’un blanc-seing et, ne versant pas par nature dans l’autosatisfaction, j’ai bien entendu tous vos messages.

Nous menons, je le crois, une politique volontariste, avec un effort budgétaire inédit, historique. Après le vote de ces crédits, il nous faudra évidemment les traduire en actes. Cependant, tout ne se réglera pas avec de l’argent. Le budget n’est que l’un des aspects d’une politique publique.

Avant de présenter la mission, monsieur Pla, sachez que je me souhaite d’être plus souvent encore sous la tutelle de Bercy, si cela doit se traduire à chaque fois par une augmentation du budget de 1, 3 milliard d’euros, sans parler du projet de loi de finances de fin de gestion qui nous a permis d’ajouter pour 2023 près de 850 millions d’euros supplémentaires par rapport au budget initial. Si vous considérez que c’est une tutelle, après tout, n’en prenons pas ombrage !

Je ne répondrai pas en détail à toutes les interrogations qui se sont exprimées, car la discussion des amendements me permettra d’apporter un certain nombre de précisions.

Si je devais, en un mot, évoquer l’ambition de ce projet de budget, je dirais qu’il s’agit de donner à nos agriculteurs et à nos agricultrices, de manière massive et rapide, les moyens de mener les transitions nécessaires, car le temps presse. Je dis « nécessaires », parce que c’est une condition sine qua non, non seulement de notre souveraineté, mais aussi de notre sécurité alimentaire. Je sais que c’est un sujet qui vous est cher.

Sécurité alimentaire, souveraineté et transition sont complémentaires et ne peuvent pas s’opposer.

Face aux bouleversements que nous connaissons, le statu quo reviendrait à terme au délitement de notre capacité de production et, partant, de notre capacité à être maîtres de notre destin au moment où l’alimentation, et donc l’agriculture, sont redevenues des sujets politiques, pour ne pas dire géopolitiques.

C’est un effort d’accompagnement sans précédent que nous faisons, avec 1, 3 milliard d’euros supplémentaires en autorisations d’engagement pour déployer la démarche de planification écologique. Certes, il ne s’agit pas de crédits de paiement, mais c’est la règle budgétaire : nous ouvrons d’abord des AE, puis les CP suivent lorsque les choses se déploient – c’est cela le sérieux budgétaire.

Nous abordons bel et bien un tournant avec ce budget, puisque ce sont près de 4 milliards d’euros sur trois ans que nous allons consacrer à la planification écologique. L’idée est bien de travailler sur une période triennale.

Très concrètement, ces crédits vont permettre de financer, entre autres mesures, la poursuite du déploiement de la stratégie nationale pour les protéines végétales, afin de rendre notre agriculture moins dépendante en matière de protéines et d’engrais minéraux – il s’agit donc d’une stratégie à la fois de souveraineté et de décarbonation.

Ils permettront également de financer la replantation de haies ; on y consacrera 110 millions d’euros dans le cadre du pacte Haies, qui montrera – beaucoup d’entre vous l’ont mentionné – le rôle central de nos agriculteurs dans la préservation du réseau des haies et, plus largement, de nos paysages et de la biodiversité. Qu’il s’agisse de stockage du carbone ou de lutte contre l’érosion des sols et les inondations, les haies ont beaucoup de vertus. D’ailleurs, si l’on veut défendre les haies, il faut aussi défendre l’élevage : elles en sont le produit, elles sont presque toujours le fruit du travail des hommes et des femmes qui, sur nos territoires, pratiquent l’élevage.

On pourra aussi financer un fonds en faveur de la souveraineté alimentaire et des transitions, qui permettra de favoriser la conception de systèmes renouvelés à l’échelle des filières. M. Cabanel a évoqué la nécessité de repenser globalement les systèmes : 200 millions y seront justement consacrés, afin de mener ce travail avec toutes les collectivités territoriales, notamment les régions et les départements, et avec tous les acteurs économiques.

Monsieur le sénateur, votre région est particulièrement affectée par le dérèglement climatique ; vous comprenez donc bien la nécessité de repenser nos systèmes, en matière hydraulique au premier chef, mais aussi sur toute la chaîne de production, afin de n’avoir pas pour seule perspective des événements climatiques qui, trois années sur quatre, sinon quatre années sur cinq, viennent dégrader la compétitivité de nos productions et, partant, notre souveraineté alimentaire.

Ces crédits permettront ensuite de financer la stratégie de réduction des produits phytosanitaires, à hauteur de 250 millions d’euros. Pour la première fois, il me semble que l’on pose par cette stratégie un cadre méthodique différent, grâce auquel on pourra identifier les impasses techniques et investir dans la recherche et l’innovation pour développer des alternatives.

Vous le dites tous : pas d’interdiction sans solution ! L’interdiction n’est jamais la solution ; il faut chercher des alternatives. Dans bien des cas, c’est parce qu’on ne l’a pas fait qu’on se retrouve dans une impasse. Il faut aussi chercher des alternatives pour que les décisions, notamment européennes, ne nous soient pas imposées.

M. Duplomb évoquait le cas de la lentille – en particulier la lentille du Puy, j’imagine. À cet égard, il est exact que des menaces planent sur un certain nombre de produits, car cela fait déjà plusieurs années que nous bénéficions d’un régime de dérogation et plusieurs annonces de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) laissent craindre des menaces pour cette filière. Quoi qu’il en soit, on aurait gagné à chercher des solutions alternatives : que l’on en trouve ou pas en fin de compte, qu’elles existent ou pas – tel est souvent le cas, vous avez raison de le souligner –, la recherche de solutions ne peut pas être une forme de pensée magique, et elles doivent être pratiques, économiquement viables et massifiables. Je pense que nous serons tous d’accord sur ce point ; il convient donc que nous avancions résolument dans cette voie. Tel est bien l’objet de ces crédits.

Enfin, ces crédits permettront de soutenir le renouvellement forestier, ainsi que le développement du bois de construction, pour 450 millions d’euros au total. Cela est important pour la décarbonation de notre économie, en particulier dans le secteur du bâtiment, mais aussi dans d’autres domaines. Beaucoup de travaux ont été menés et je sais que c’est un sujet auquel votre assemblée est sensible : l’examen des amendements nous donnera l’occasion d’y revenir.

La trajectoire dans laquelle nous nous engageons doit permettre à notre agriculture d’être plus résiliente, plus compétitive, mais il ne faut pas oublier pour autant les enjeux immédiats de compétitivité.

À ce propos, je veux dire un mot de la décision du Gouvernement d’annuler la hausse, de 37 millions d’euros, de la redevance pour pollutions diffuses et de réduire la hausse des taxes sur l’irrigation, mesures initialement prévues dans ce PLF. Il faudra que nous trouvions ensemble une trajectoire. En effet, vous avez été plusieurs à le dire, s’il y a des dépenses supplémentaires, il faut aussi trouver les recettes correspondantes.

La Première ministre a fait ce choix, mais il nous faudra définir une trajectoire qui stabilise les choses, trouver les recettes qui permettront de réaliser certains ouvrages. J’ai bien noté la demande de plusieurs d’entre vous, notamment M. Duplomb, d’avoir plus de visibilité quant à l’utilisation de la RPD. Je n’ai pas forcément les mêmes chiffres que vous, monsieur le rapporteur pour avis, mais je nous invite à y travailler avec nous, en conscience et en transparence, pour voir à quoi peuvent servir ces sommes normalement destinées à la transition écologique en matière de produits phytosanitaires et d’usage de l’eau.

La volonté du Gouvernement, partagée par les acteurs agricoles, même s’ils ne l’expriment pas de la même manière, est la suivante : rechercher à chaque fois le point d’équilibre pour s’assurer que les transitions que nous entendons mener sont soutenables sur le terrain. Nous avons besoin de construire sur ce sujet comme sur d’autres une trajectoire en ce sens. C’est la méthode que nous avions employée pour la fiscalité du gazole non routier ; nous y resterons attachés dans ce domaine aussi.

On engage donc des transitions, mais il faut toujours qu’elles soient pensées en lien avec l’impératif de souveraineté alimentaire. C’est bien le fil rouge du projet de budget qui vous est présenté, qui est porté à 7 milliards d’euros, soit une augmentation de près de 17 % par rapport à 2023.

Ce budget est aussi un levier important pour soutenir nos filières. Sans entrer dans le détail, je voudrais citer plusieurs aspects de ce soutien.

Je pense tout d’abord au déploiement de la réforme de l’assurance récolte, dont il a été beaucoup question au Sénat. L’accroissement significatif du nombre d’assurés, y compris en prairie, atteste de cette dynamique, en dépit des craintes exprimées quelquefois en la matière. Cet outil assurantiel est un élément de la résilience que nous recherchons. Nous sommes largement au-dessus de la trajectoire que nous avions fixée, puisque les agriculteurs se sont massivement engagés dans cette voie.

Je pense aussi au soutien à l’agriculture biologique : 5 millions d’euros supplémentaires permettront de porter à 18 millions d’euros le fonds Avenir Bio et 5 autres millions permettront de financer des actions de communication, pour relancer la consommation. Nous avons besoin de soutenir cette filière dans sa crise actuelle – c’est le sens des moyens supplémentaires qui lui ont été alloués cette année, à hauteur de 100 millions d’euros environ –, mais nous avons surtout besoin, je le redis, de relancer la consommation.

Il me semble que nous pourrions tous œuvrer utilement, comme je l’ai indiqué ce matin encore auprès des grands distributeurs, pour faire en sorte de voir réapparaître les produits bio dans les étals d’où ils ont disparu, car la visibilité est un moyen crucial pour faire redémarrer la consommation. Chacun doit en prendre sa part ; il est facile de le faire quand tout va bien, mais c’est plus utile quand la situation de certaines filières est plus fragile. C’est aussi la responsabilité de la grande distribution que de le faire.

Ces éléments viennent compléter le plan que j’avais annoncé pour la consommation de produits bio en mai dernier. J’avais alors déclaré que l’État devait s’imposer à lui-même les efforts qu’il demandait aux collectivités locales. C’est bien ce qu’il va faire, au travers de sa commande publique, à hauteur de 120 millions d’euros environ, pour que les lieux de restauration qui dépendent de l’État respectent les exigences inscrites dans la loi Égalim.

J’en viens au troisième domaine dans lequel s’exerce notre soutien : le renouvellement forestier et, plus largement, notre politique forestière.

Si j’étais taquin, je dirais que j’entends souvent s’exprimer des critiques quant aux moyens que nous y consacrons, notamment au travers de l’ONF, mais ce n’est pas ce gouvernement-ci qui a supprimé le Fonds forestier national, en 1999 ; ce n’est pas lui, ce sont tous ses prédécesseurs, qui ont réduit les moyens de l’ONF. Pour notre part, nous inversons la trajectoire ; je dirai même, puisque le « y-a-qu’à-faut-qu’on-isme » rayonne sur ces sujets, que nous l’avons même déjà inversée !

Il nous faut désormais trouver une trajectoire qui permette aux agents de l’ONF d’exercer leurs missions actuelles d’intérêt général, notamment de défense de la forêt contre les incendies, pour laquelle nous débloquons 3 millions d’euros supplémentaires, mais aussi les missions nouvelles qui leur seront confiées dans les années à venir, notamment l’adaptation au changement climatique, pour laquelle nous augmentons ces crédits de 8 millions d’euros.

Ces observations justifient aussi l’augmentation des effectifs du Centre national de la propriété forestière, établissement de l’État chargé des forêts privées. Il fallait en effet, par cohérence, faire correspondre ses moyens humains aux nouvelles missions que vous avez décidé de lui confier dans le cadre de la loi, d’origine sénatoriale, visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie.

Je terminerai en évoquant les moyens dont nous nous dotons pour préparer l’avenir ; certes, cela dépasse légèrement le périmètre des crédits de cette mission, mais il faut les mentionner pour donner à ces crédits toute leur cohérence.

Évidemment, le présent projet de budget conforte ce qui est déjà fait par l’enseignement agricole. Je pense en l’occurrence aux actions d’orientation et de découverte de métiers, ou encore au plan qui nous a amenés à rénover 72 % des diplômes afin, notamment, d’y intégrer mieux les questions relatives à l’agroécologie, pour ne citer que ces quelques réalisations.

Mais l’accélération des transitions qui s’imposent à l’agriculture, en particulier la transition climatique, nécessite des compétences nouvelles pour les futurs professionnels ; il faut aussi des apprenants supplémentaires pour assurer le renouvellement des générations.

Telle est bien l’ambition centrale du pacte et du projet de loi d’orientation en faveur du renouvellement des générations en agriculture, qui seront présentés avant la fin de l’année et soumis au débat parlementaire au premier semestre de 2024. Ainsi, l’on pourra répondre précisément aux questions que vous vous posez sur ces éléments.

Monsieur le sénateur Pla, vous déclariez que la dernière grande loi agricole était celle qu’avait portée Stéphane Le Foll. J’ai un grand respect pour le travail qu’a accompli ce ministre de l’agriculture, notamment sur les questions d’agroécologie, mais reconnaissons que, si nous sommes obligés d’élaborer un nouveau texte aujourd’hui, c’est manifestement parce que celle-là n’a pas porté les fruits que vous escomptiez !

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