Intervention de Grégory BLANC

Réunion du 12 décembre 2023 à 14h30
Loi de finances pour 2024 — Vote sur l'ensemble

Photo de Grégory BLANCGrégory BLANC :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le « monde d’après » est désormais sous nos yeux. Nos débats n’y ont pas échappé ; ils ont clairement tourné autour de trois enjeux.

Tout d’abord, nous sommes entrés dans un nouveau cycle au niveau monétaire. Il nous faut à présent anticiper des chocs d’inflation à répétition, la moindre étincelle diplomatique étant susceptible de mettre le feu aux liquidités massivement injectées depuis 2008.

Avec le resserrement monétaire, les politiques budgétaires sont désormais au centre des politiques économiques. Or, de ce point de vue, un déficit de 150 milliards d’euros, soit la moitié des recettes nettes de l’État, impacte nos marges de manœuvre.

Au niveau social, l’accès au logement, l’habitat et les mixités se trouvent au cœur des tensions nées de l’accentuation, d’une part, des mobilités intrafamiliales, professionnelles, migratoires et culturelles, et, d’autre part, des angoisses sociales nées du terrorisme, de la guerre, du choc des pandémies.

Enfin, au niveau environnemental, la planète a franchi six des neuf limites vitales, et l’effort n’est pas suffisant pour y faire face. Les accords de Paris fixaient la limite à +1, 5°degré. Nous allons vers +3°degrés, et le Gouvernement nous enjoint de nous préparer à +4°degrés ! Il faut donc poursuivre un effort intense pour éviter le réchauffement, mais aussi, et surtout, nous adapter en urgence.

Selon le rapport Pisani-Ferry-Mahfouz, d’ici à 2040, 66 milliards d’euros par an seront nécessaires. Le Fonds monétaire international (FMI) avance les mêmes ordres de grandeur. Or, dans les faits, nous n’y consacrons même pas la moitié de cette somme.

Face à ces défis, que propose le Gouvernement ?

Certes, il propose d’amorcer un virage pris avec la planification écologique, et c’est une première. Mais, avec seulement 7 milliards d’euros – et encore, en recyclant des crédits –, on est très loin du compte. Les inégalités sociales et patrimoniales ne font l’objet d’aucune correction : au contraire !

Fondamentalement, tout cela se traduit par une doxa : « stabilité fiscale », ce qui, au passage, entretient une confusion supplémentaire – et c’est là le plus grave – entre stabilité du système fiscal et stabilité du niveau des prélèvements obligatoires. Or ni l’un ni l’autre ne résiste aux faits.

Notre système fiscal va se prendre de plein fouet la nécessaire transition écologique, à l’image de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), dont le rendement, selon le Trésor lui-même, va baisser de 13 milliards d’euros d’ici à 2030.

De ce point de vue, refuser d’amorcer structurellement le virage de la fiscalité écologique est coupable : coupable pour ce qui est de la planète et de la protection face aux aléas climatiques, mais coupable aussi pour ce qui est du bon état des finances publiques ! Qu’attendez-vous, monsieur le ministre ? Pourquoi n’engagez-vous pas dès maintenant un véritable virage fiscal en donnant à chacun une visibilité pluriannuelle ? Le rôle d’un État, c’est de prévoir le changement et de sécuriser ceux qui vont le vivre.

De même, avoir pour objectif la stabilité du niveau de prélèvement est une erreur capitale. Il faudrait dégager près de 120 milliards d’euros supplémentaires pour être au rendez-vous et du déficit, et de la transition écologique, et du service de la dette, qui va croître de 35 milliards d’euros d’ici à trois ans.

Dans ce contexte, vous décidez de maintenir vos objectifs de baisse des impôts, notamment de production, sans dire par quoi cette baisse va être compensée. Par l’impôt sur la consommation ? Par l’impôt sur le revenu ? Par l’impôt sur le patrimoine ? Ou en alourdissant encore davantage la charge qui pèse sur les seuls actifs, comme lors de la dernière réforme des retraites ? Ce n’est pas clair !

Nous avons besoin d’un État stratège qui détermine des orientations, mobilise les moyens appropriés et fixe un cap et définisse un projet.

Une politique financière ne fait pas une politique budgétaire, encore moins une politique économique, et encore moins une politique de transition écologique.

De son côté, comment le Sénat a-t-il traité ce PLF ?

Là aussi, pas de modifications structurelles : la majorité sénatoriale a fait sienne la confusion entre stabilité fiscale et stabilité du niveau des prélèvements. Elle a même voté plusieurs amendements non gagés qui enfanteront du déficit et de la dette, à l’image de la reprise du dispositif dit « Balladur » sur le logement. Faire baisser les impôts pour quelques-uns par la dette pour tous est à nos yeux inacceptable.

Certes, ce budget contient des avancées timides, que nous accueillons favorablement : la salutaire correction de malfaçons fiscales – révision de l’imposition des meublés de tourisme, taxation des rachats d’actions –, mais aussi le renforcement du soutien aux collectivités locales, via la dotation globale de fonctionnement (DGF), les fonds de péréquation ou encore la dotation bioclimatique, dont la création était une proposition historique du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Mais mes collègues et moi-même avons formulé d’autres propositions. Face au défi environnemental, nous devons repenser en profondeur ce que signifie le consentement à l’impôt : il y a là – nous le savons bien – une question démocratique de premier ordre. Faire l’autruche ne fera qu’empirer le problème.

À cet égard, vu la situation dégradée des finances publiques, que chacun ici souligne, nous ne partageons pas l’idée selon laquelle il faudrait baisser les impôts de production. Il faut les repenser, sans doute, mais non les baisser pour les baisser. De même, la fiscalité sur le patrimoine doit être revisitée, car il n’y a pas d’autre voie que de prélever les richesses qui dorment, non de manière confiscatoire, mais de manière équitable et efficace. Sans ressources nouvelles, en effet, on échouera. L’impôt sur la fortune (ISF) climatique, qui a été refusé par la majorité sénatoriale, est le symbole d’une telle mobilisation ; vous n’aurez d’autre choix que d’y venir !

La dette n’est pas un tabou si et seulement si elle permet d’abord de financer l’essentiel avant de baisser les impôts. Vous procédez à l’inverse, ce qui est, selon nous, un contresens économique, social et écologique.

Enfin, dans cette période de crise, nous avons proposé de mieux soutenir le logement social. Ce modèle a fait ses preuves en 2008, au moment de la crise de la promotion immobilière, et il est le meilleur levier là où il s’agit de construire sans délai. Les Français attendent des toits à tarifs abordables et construits dans le respect de la planète. Pour innover, pour aider les élus locaux, pour montrer que le « zéro artificialisation nette » (ZAN) est possible, le meilleur outil, c’est le logement social.

Sur tous ces sujets, nous avons proposé des solutions à la fois pragmatiques et plus ambitieuses. Elles ne sont pas retenues ; c’est donc en toute cohérence que nous voterons contre ce projet de budget.

Je conclus en saluant le président et le rapporteur général de la commission des finances, ainsi que l’ensemble des agents qui ont contribué à la préparation de ces débats. Monsieur le ministre, mes chers collègues, 2024 va s’ouvrir et, comme le dirait l’un des collègues de notre groupe, c’est maintenant que cela se « corse » !

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