Intervention de Ladislas Poniatowski

Réunion du 1er octobre 2007 à 16h00
Tarifs réglementés d'électricité et de gaz naturel — Discussion des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de Ladislas PoniatowskiLadislas Poniatowski, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Monsieur le président, messieurs les secrétaires d'État, mes chers collègues, la commission des affaires économiques était saisie de trois propositions de loi traitant essentiellement de la question des tarifs réglementés de vente d'électricité et de gaz naturel dont bénéficient les consommateurs n'ayant pas fait le choix de la concurrence pour leur approvisionnement énergétique.

La première de ces propositions de loi, déposée par mes soins le 5 juillet dernier, puis cosignée par plus de quatre-vingts d'entre nous, est consacrée exclusivement aux tarifs d'électricité, tout comme la deuxième, de notre collègue Xavier Pintat, bien que celle-ci ait un champ d'application plus large. Enfin, la troisième proposition de loi a été déposée la semaine dernière par nos collègues du groupe socialiste. Outre la question des tarifs d'électricité et de gaz, elle aborde la forme juridique des entreprises EDF et GDF.

Quelles sont les raisons de ces initiatives ?

Mes chers collègues, vous vous souvenez que nous avons légiféré sur les tarifs réglementés voilà moins d'un an, à l'occasion de la discussion du projet de loi relatif au secteur de l'énergie. Ce texte, qui avait un objet plus large, puisqu'il autorisait la privatisation de Gaz de France, comportait des dispositions relatives au système tarifaire afin d'adapter notre appareil juridique à l'échéance du 1er juillet 2007, date de l'ouverture totale à la concurrence des marchés énergétiques.

En effet, sans modification de la législation nationale, notre système tarifaire aurait été dépourvu de base légale appropriée et aurait pu être remis en cause à l'occasion du premier contentieux venu devant les instances juridictionnelles européennes.

Le texte de la loi adoptée par le Parlement a cependant été déféré au Conseil constitutionnel par les groupes socialistes de l'Assemblée nationale et du Sénat, pour des motifs tenant essentiellement à la privatisation de GDF et non au sujet traité aujourd'hui.

Toutefois, le juge constitutionnel s'est saisi d'office du volet tarifaire de la loi et en a contrôlé la conformité à la Constitution. En application d'une jurisprudence récente, il a estimé que le texte adopté, en imposant aux opérateurs historiques « des obligations tarifaires permanentes, générales et étrangères à la poursuite d'objectifs de service public », avait méconnu « manifestement l'objectif d'ouverture des marchés concurrentiels de l'électricité et du gaz naturel » promu par les directives européennes.

Sur ces motifs, le Conseil constitutionnel a partiellement censuré l'article incriminé de la loi, jugeant que le mécanisme était, d'une part, incompatible avec les directives et que, d'autre part, tout consommateur d'électricité ou de gaz avait vocation, à terme, à s'alimenter exclusivement par le biais du marché libre.

Sans remettre en cause le raisonnement suivi par le juge, force est de constater que les conséquences de cette décision vont conduire à des incohérences dans l'application des tarifs et vont se révéler injustes pour nos concitoyens. En effet, en vertu de la solution retenue, le choix de la concurrence pour l'approvisionnement en électricité ou en gaz dans un logement donné devient irréversible et fait perdre définitivement à ce logement le bénéfice des tarifs réglementés. Il s'ensuit que tout occupant ultérieur dudit logement n'aura plus jamais droit au tarif. Ce ménage sera, au surplus, lié par une décision qu'il n'aura jamais prise. Cet état de fait est bien sûr injuste pour les ménages n'ayant jamais souhaité quitter les tarifs et il méconnaît la philosophie de la directive, qui fait de l'exercice de l'éligibilité un choix personnel et libre, en aucun cas une obligation.

De surcroît, rien n'a été modifié dans notre législation immobilière afin que les occupants suivants d'un logement, qu'ils soient candidats à la location ou à l'achat, soient informés de sa situation au regard des tarifs. Rien ne prévoit non plus que le propriétaire du logement sera associé au choix du locataire, ce qui serait pourtant justifié compte tenu du caractère irréversible de la décision et de ses conséquences sur l'attractivité du bien immobilier. Par ailleurs, je vous rappelle que conditionner la possibilité pour un locataire de quitter les tarifs réglementés à l'accord du propriétaire serait vraisemblablement contraire aussi aux directives européennes.

Au regard de l'expérience vécue par les consommateurs professionnels qui, au cours des dernières années, ont quitté les tarifs réglementés et ont vu, dans un premier temps, les tarifs baisser, mais, par la suite, leur facture énergétique exploser, il me semble essentiel de maintenir de larges possibilités d'accès aux tarifs réglementés pour nos concitoyens, dans un souci, qui vous tient à coeur, messieurs les secrétaires d'État, de préservation de leur pouvoir d'achat.

Au total, ces trois propositions de loi ont pour ambition de remédier à ces dysfonctionnements. Elles présentent cependant chacune des modalités différentes, que je vais essayer de résumer en vous exposant la logique qui a présidé à l'élaboration des conclusions de la commission des affaires économiques.

Toutes trois ont un point commun puisqu'elles permettent à tout ménage emménageant dans un logement de bénéficier des tarifs réglementés d'électricité, que la concurrence ait été ou non exercée par le passé dans ce logement. Ce dénominateur commun a logiquement été conservé dans le texte des conclusions qui vous est soumis. Au-delà, ces propositions diffèrent sur plusieurs points, sur lesquels il nous a fallu arbitrer. Nous nous sommes posé plusieurs questions.

Première question : fallait-il un dispositif qui concerne également les entreprises ?

Nous n'avons pas jugé opportun de légiférer de nouveau sur la question des gros consommateurs professionnels puisque des solutions spécifiques ont été trouvées ces dernières années pour atténuer le choc de la hausse des prix de l'électricité sur les marchés, avec la création d'Exeltium, le consortium industriel d'achat d'électricité à long terme, ou celle du tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché, le TaRTAM.

En revanche, notre souci de préservation du pouvoir d'achat des ménages nous a conduits à privilégier l'adoption d'un mécanisme adapté à la situation spécifique des petits consommateurs professionnels, conformément aux préoccupations exprimées par Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale. Il a déposé cet été une proposition de loi - que j'ai examinée - tendant à autoriser le retour aux tarifs réglementés d'électricité pour les consommateurs particuliers et les petits professionnels. Les contacts que j'ai pris avec lui m'ont conduit à déposer un amendement allant dans ce sens.

Deuxième question : fallait-il une date butoir pour l'application du dispositif ? La commission des affaires économiques a considéré qu'il était décisif de ne pas braquer la Commission européenne sur le dossier tarifaire puisque, je vous le rappelle, et j'y reviendrai sûrement au cours de l'examen des articles, deux contentieux opposent aujourd'hui autorités françaises et communautaires.

Le premier contentieux concerne les tarifs « vert » et « jaune » dont bénéficient les entreprises et dont la Commission estime qu'ils ne sont pas conformes aux directives. La Commission juge en effet que l'existence de ces tarifs conduit à la fixation de niveaux de prix de vente de l'électricité et du gaz artificiellement bas, empêchant le développement de la concurrence et la réalisation des investissements nécessaires.

Par ailleurs, un second contentieux a été introduit par la Commission sur ces mêmes tarifs et sur le TaRTAM, au titre du contrôle des aides d'État. Cette procédure est, à mes yeux, très grave, car, en cas d'aboutissement, elle pourrait contraindre les entreprises ayant bénéficié des tarifs réglementés à rembourser aux producteurs la différence entre le niveau de ces tarifs et celui des prix de marché. Vous imaginez aisément, mes chers collègues, les nombreuses faillites d'entreprises qui pourraient en résulter !

Pour ces raisons, nous avons estimé nécessaire de limiter au 1er juillet 2010 l'applicabilité de notre dispositif. Nous avons pensé que cette date offrirait des délais suffisants au Gouvernement pour négocier avec ses partenaires une modification des directives, afin que celles-ci autorisent explicitement les tarifs réglementés, pour autant que leurs niveaux couvrent, pour l'électricité, le coût de la production française.

Troisième question : fallait-il inclure les tarifs de gaz naturel ? Il s'agissait d'une proposition de nos collègues du groupe socialiste. Certes, l'enjeu en termes de pouvoir d'achat était moindre pour le gaz naturel puisque la différence entre les tarifs réglementés et les prix est très faible, toujours inférieure à 10 %. Il n'en demeure pas moins que la commission des affaires économiques a souhaité instaurer le régime le plus uniforme possible entre ces deux énergies - électricité et gaz -, dans un souci de simplicité et de lisibilité pour nos concitoyens. En conséquence, nous avons également élargi les possibilités de retour au tarif réglementé du gaz naturel en cas de déménagement, dans des conditions un peu aménagées, certes ; je fais allusion à la date butoir.

Quatrième et dernière question : fallait-il instituer une possibilité d'aller et retour entre tarifs réglementés et marchés ? Il s'agissait notamment de la proposition de notre collègue Xavier Pintat, qui s'en expliquera plus longuement au cours de la discussion générale.

Nous avons écarté cette option, car nous avons considéré que son adoption aurait des conséquences très significatives sur le marché de l'électricité et que, là encore, elle fragiliserait la position des autorités françaises dans les négociations avec la Commission européenne. Ce droit de retour au tarif réglementé, qui fait l'objet d'amendements du groupe CRC et du groupe socialiste, n'a jamais été expérimenté en droit français et risquerait effectivement de conduire les entreprises ayant exercé leur éligibilité à retourner chez EDF, seule entreprise autorisée à fournir aux tarifs réglementés, ce qui supprimerait toute concurrence sur le marché français. Jamais la Commission européenne n'accepterait un dispositif produisant de tels effets et cela conduirait sûrement à une radicalisation des analyses communautaires.

Enfin, il me reste à préciser que la commission des affaires économiques a également rejeté les dispositions de la proposition de loi du groupe socialiste qui ne concernaient pas les tarifs réglementés.

D'une part, il s'agissait de la fusion entre EDF et GDF, écartée pour des raisons bien connues de tous puisque nous en avons abondamment discuté, à l'occasion de différents projets de loi, en 2004 et en 2006.

Je rappellerai simplement quelques chiffres : 15 milliards d'euros et 7 milliards d'euros, tel serait le coût pour les finances publiques d'une opération de rachat des actions d'EDF et de GDF mises en bourse depuis 2004 ; 15 %, c'est l'ampleur des cessions d'actifs qu'il faudrait concéder dans chaque entreprise pour obtenir l'autorisation de fusion de la part de la Commission européenne. Dans ces conditions, la commission des affaires économiques n'a pu que rejeter cette proposition.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion