Ayons présent à l'esprit que moins de 7 % des consommateurs professionnels ont à ce jour changé de fournisseur, alors que ce segment de marché a commencé à s'ouvrir à la concurrence dès le début des années 2000 et que celle-ci s'est généralisée en 2004.
En l'état actuel de la réglementation, il est donc vraisemblable que l'ouverture du marché demeurera purement théorique. Cette situation est regrettable, car il existe certainement sur le marché des offres alternatives intéressantes, voire innovantes, par leur contenu, notamment en termes de services associés. Simultanément, les entreprises qui ont eu le courage d'investir dans la fourniture d'électricité pourraient être mises rapidement en sérieuse difficulté par l'absence de décollage du marché et l'extrême faiblesse subséquente de leur chiffre d'affaires.
Dans ces conditions, de plus en plus d'acteurs du système électrique s'accordent à considérer que la voie du bon sens devrait conduire à autoriser dans notre pays une vraie réversibilité de l'exercice des droits relatifs à l'éligibilité, c'est-à-dire la possibilité pour un consommateur final d'obtenir le retour au tarif réglementé de vente d'électricité pour un site alors même qu'il se serait antérieurement approvisionné pendant un certain temps sur le marché.
Les collectivités organisatrices de la distribution d'électricité et, plus largement, les collectivités locales, ainsi que la Commission de régulation de l'énergie, les organisations de défense des consommateurs résidentiels, les organisations représentatives des consommateurs professionnels, se sont déclarées favorables à une telle évolution. Celle-ci concourrait très positivement au processus d'ouverture à la concurrence. Par ailleurs, elle ne soulèverait pas de difficultés juridiques rédhibitoires, pourvu que l'on prenne certaines précautions.
Du point de vue économique, la réversibilité rassurerait les consommateurs et les inciterait à tester le marché. De ce fait, elle élargirait les possibilités de choix qui leur sont ouvertes, favoriserait l'émergence de nouvelles offres plus inventives en termes d'efficacité énergétique et de valorisation des sources renouvelables. Simultanément, elle préserverait l'influence régulatrice sur les prix et la sécurité d'approvisionnement de la production électronucléaire, comme l'a souligné Daniel Raoul, à laquelle sont adossés les tarifs réglementés.
Bien entendu, tout cela n'est concevable que si le niveau des tarifs réglementés suffit à couvrir les coûts correspondants.
Un consensus semble acquis sur le fait que tel est bien le cas du tarif bleu, c'est-à-dire du tarif appliqué au consommateur final domestique ou professionnel jusqu'à 36 kVa, dont le niveau n'a été contesté ni par la Commission de régulation de l'énergie ni par la Commission européenne.
Ce tarif s'appliquant tant aux petits consommateurs professionnels qu'aux consommateurs domestiques, il me semble cohérent d'inclure ces deux catégories dans le champ de la réglementation relative à la réversibilité. C'est la raison pour laquelle je présenterai un premier amendement visant à étendre le périmètre d'application de la proposition de loi aux professionnels bénéficiaires du tarif bleu.
La réversibilité de l'exercice de l'éligibilité pour l'ensemble des consommateurs relevant du tarif bleu aurait également, il faut y insister, l'intérêt de résoudre enfin la question du service universel de l'électricité, dont l'article 3, paragraphe 3, de la directive européenne de 2003 concernant l'électricité prévoit expressément l'organisation pour les clients résidentiels ainsi que pour les petites et moyennes entreprises.
J'observe en effet que ce service universel n'est pas actuellement prévu en France pour les petits consommateurs qui auraient exercé leur éligibilité et qui éprouveraient ensuite des difficultés à trouver un fournisseur dans des conditions économiques raisonnables. La possibilité de revenir s'approvisionner de façon transparente et non discriminatoire dans le cadre du tarif bleu résoudrait cette difficulté dans des conditions conformes à l'esprit comme à la lettre de la directive européenne.
Tout cela est affaire de bon sens, à telle enseigne que, parmi les dix-sept États membres de l'Union européenne appliquant actuellement des tarifs réglementés pour l'électricité, la France est une exception.
Selon une récente étude de l'ERGEG, le groupe des régulateurs européens, notre pays est le seul parmi ceux où coexistent des tarifs réglementés et des prix de marché à ne pas autoriser la réversibilité aux ménages et aux petits professionnels. Voici d'ailleurs un tableau récapitulatif, que je tiens à votre disposition, mes chers collègues, et qui montre clairement que la pratique de la réversibilité, ici en jaune, est très largement majoritaire dans l'Union européenne.