Intervention de Michel Billout

Réunion du 1er octobre 2007 à 16h00
Tarifs réglementés d'électricité et de gaz naturel — Discussion des conclusions modifiées du rapport d'une commission

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les conclusions la commission sur les propositions de loi dont nous avons à débattre aujourd'hui sont en fait un énième rebondissement d'une affaire qui nous a déjà beaucoup mobilisés : l'avenir des tarifs réglementés, des tarifs dont l'existence fait l'objet de fortes contestations.

En effet, la loi relative au secteur de l'énergie disposait que les particuliers ne pouvaient prétendre bénéficier des tarifs réglementés qu'à une seule condition : qu'ils n'aient pas usé personnellement de leur éligibilité sur le site de consommation.

L'abandon des tarifs réglementés est donc, dans ce cadre, irréversible.

Une décision du Conseil constitutionnel datant du mois de novembre dernier est venue censurer une partie de ces dispositions en conditionnant également le bénéfice de ces tarifs au fait que le précédent propriétaire ou locataire n'ait pas, lui non plus, exercé son éligibilité. Cette censure est apparue particulièrement injuste, y compris aux yeux des tenants de la libéralisation.

L'objet de la proposition de loi de M. Ladislas Poniatowski, seule retenue par les conclusions de la commission, est d'ouvrir une dérogation temporaire à cette règle, en en différant l'application au 1er juillet 2010, date à laquelle, depuis l'adoption de loi portant engagement national pour le logement, les particuliers ne pourront plus bénéficier des tarifs réglementés pour de nouveaux sites de consommation.

Les conclusions de la commission élargissent également ces dispositions au gaz.

Que pensent les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen d'une telle proposition ? bien entendu, nous ne sommes pas défavorables à toute disposition visant à élargir le champ des bénéficiaires des tarifs réglementés.

Cependant, ce texte ne peut entièrement nous satisfaire, et ce pour au moins deux raisons : premièrement, cette dérogation est limitée dans le temps ; deuxièmement, ce texte s'apparente à un emplâtre sur une jambe de bois !

Je m'explique : dans le cadre actuel de la libéralisation, c'est l'existence même de tarifs réglementés qui est remise en cause ; peu importe qu'ils soient réversibles et que leur bénéfice soit personnel ou par site.

En effet, selon l'idéologie libérale, l'existence de tarifs définis par les pouvoirs publics est strictement incompatible avec la concurrence libre et non faussée prônée par les institutions européennes comme par le Gouvernement Ces tarifs constitueraient, pour la Commission, soit des barrières inacceptables à l'entrée, comme le formulait sa lettre de griefs du printemps 2006, quand lui a été soumis le projet de loi relatif au secteur de l'énergie, soit une aide d'État, ce qu'elle prohibe absolument ; la Commission a d'ailleurs entamé une action contre la France sur ce fondement.

Dans ces conditions, la décision du Conseil constitutionnel a le mérite de la clarté.

Les sages ont rappelé le contenu de l'article 88-1 de la Constitution, aux termes duquel « La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences. » Ils en déduisent naturellement que la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle.

En conséquence, si l'objet de la directive en question est la réalisation d'un marché concurrentiel, aucune obligation particulière ne peut peser sur des entreprises comme EDF et GDF.

Il en est donc ainsi de l'obligation de proposer des contrats aux tarifs réglementés pour la fourniture de l'électricité et du gaz.

Il y a manifestement, selon les sages, incompatibilité entre l'existence de tarifs réglementés et la libéralisation à l'oeuvre dans le secteur de l'énergie. J'ajoute même qu'il y a une incompatibilité profonde entre la notion de libéralisation et celle de service public. Il faut donc avoir le courage de l'avouer aux citoyens !

Dans le cadre législatif actuel, cette proposition de loi semble dès lors illusoire s'il s'agit de remédier aux échecs de la politique européenne conduite par les États membres.

Nous estimons pourtant que les trois propositions déposées offrent l'intérêt majeur de faire ressortir une nouvelle fois les contradictions qui traversent la majorité au pouvoir sur les enjeux énergétiques.

En effet, depuis maintenant de nombreux mois, des signes clairs sont envoyés au Gouvernement pour l'alerter sur les conséquences particulièrement néfastes de la libéralisation lorsqu'il s'agit de la fourniture d'un bien de consommation essentiel.

Ainsi, des doutes se font sentir de toutes parts sur la pertinence économique, industrielle et sociale qu'il y aurait à poursuivre sur cette voie.

Le bilan est en effet accablant : l'ouverture à la concurrence s'est traduite pour les professionnels par une augmentation de leur facture de plus de 75, 6 % au cours des dernières années.

L'écart entre les tarifs dits « libres » et les tarifs administrés atteint 66 % pour l'électricité depuis 2002, selon le cabinet d'étude NUS Consulting.

Plus récemment, entre avril 2005 et avril 2006, l'augmentation a atteint 48 %. Elle est particulièrement préjudiciable à la compétitivité des entreprises de notre pays, d'où la mise en place du fameux TaRTAM, contesté lui aussi par la Commission européenne.

En fait de concurrence, on assiste depuis le début de la libéralisation à la concentration d'entreprises privées et le remplacement des monopoles publics par des monopoles privés. On cède donc la satisfaction des besoins de tous aux intérêts des seuls actionnaires, pour lesquels ne compte que l'importance des dividendes qui leur sont versés.

Il y a là une contradiction forte chez les tenants du libéralisme, qui affirmaient que l'émulation de la concurrence devait aboutir à une baisse mécanique des prix.

C'est pourquoi, lors de la discussion du projet de loi relatif à l'énergie, l'année dernière, certains membres de la majorité s'étaient émus du sort réservé aux usagers du service public de l'énergie. Seul le maintien des tarifs réglementés avait permis au Gouvernement d'obtenir l'obéissance parlementaire.

Pour cette raison, après la censure du Conseil constitutionnel, les sénateurs de mon groupe avaient demandé une nouvelle délibération ; elle a été refusée.

Durant la dernière session, également, une mission commune d'information sur la sécurité d'approvisionnement électrique en France et en Europe a vu le jour, sur l'initiative des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen. Les conclusions de cette mission, approuvées à la quasi-unanimité de ses membres, sont particulièrement intéressantes. Pour n'en retenir qu'une seule, le rapport indique que les enjeux énergétiques du XXIe siècle, notamment en termes d'équilibre géopolitique, de sûreté et de préservation de l'environnement, imposent une forte maîtrise publique de l'énergie.

Particulièrement sur le sujet qui nous concerne aujourd'hui, la mission prône le maintien des tarifs réglementés pour les particuliers ainsi que l'existence de dispositifs propres aux entreprises.

En dépit de tout cela, le gouvernement actuel a décidé de d'adopter une forme d'autisme face à tout constat remettant en cause les schémas libéraux. Nicolas Sarkozy, Président de la République depuis le 6 mai dernier, est un artisan zélé de la libéralisation du secteur énergétique. En effet, n'a-t-il pas pesé lourdement pour rendre possible la fusion entre Suez et GDF ? Il a annoncé également un rapprochement entre Areva .et Alstom - on parle également de Bouygues.

Ces mesures entraînent donc une ouverture très importante du nucléaire civil aux capitaux privés en ce qui concerne la construction de centrales, la production énergétique, la gestion des déchets.

Il était pourtant reconnu de manière quasi unanime que la sûreté nucléaire ne pouvait être garantie que par une forte maîtrise publique, seule à même de permettre la transparence nécessaire sur les objectifs industriels et de recherche, ainsi que sur le niveau de sécurité des installations.

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