Cette analyse est d'ailleurs corroborée par l'INSEE, qui montre que « les prix de l'électricité pour les industriels ont considérablement augmenté depuis 2004 : de 6 % en 2004, de 9 % en 2005 et vraisemblablement de 9 % en 2006 ». Où allons-nous nous arrêter ?
Force est aussi de reconnaître qu'en laissant faire le marché on substitue au monopole public des grands groupes qui auront sur le marché un pouvoir certain et chercheront avant tout à répondre aux exigences d'actionnaires comme les fonds de pension.
On met donc un terme au monopole public, et l'on prend pour acquis le bon fonctionnement concurrentiel oligopolistique du marché de l'énergie, ce qui ne va absolument pas de soi.
La récente fusion GDF-Suez en est bien la preuve : un nouvel opérateur gaz-électricité émerge, qui aura certainement un pouvoir important sur le marché. Quid de la régulation tarifaire dans un contexte d'oligopoles à dominante privée, soucieux avant tout de répondre aux exigences de leurs actionnaires réclamant des dividendes de plus en plus élevés ? Comment éviter, dans ce cas, des tensions sur les tarifs d'électricité et de gaz ?
Par ailleurs, les consommateurs sont confrontés à de nouveaux risques dans le secteur de l'électricité et du gaz. Le consommateur ayant fait usage de son droit d'éligibilité aux tarifs de marché qui voudrait comparer les prix entre différents fournisseurs est bien embêté : les contrats proposés ne sont en effet pas comparables entre eux, car ils portent non pas uniquement sur la fourniture de kilowattheure d'électricité mais sur un panier de services. Or ces paniers de services ne sont pas identiques d'un opérateur à un autre ni même d'un contrat à un autre chez le même fournisseur. Imaginez la complexité de l'exercice !
Encore faut-il tenir compte de l'émergence, avec la libéralisation de ce marché, de bourses de l'électricité. Or les processus de formation des prix de l'électricité sur ces places d'échange restent opaques et semblent, en tout état de cause, ne tenir aucun compte des réalités physiques et économiques de l'électricité, bien qui se transforme mal et n'est pas stockable.
Le fonctionnement du marché fait que la confrontation de la courbe d'offre avec la courbe de demande conduit à fixer le prix de l'électricité au niveau du coût du moyen de production le plus cher, c'est-à-dire fonctionnant à partir des énergies fossiles.
Cela conduit aussi à des pressions sur les prix en même temps que cela réhabiliterait des productions émettrices de gaz à effet de serre, qui, du fait de la hausse des prix, seraient à nouveau rentables.
Le tarif réglementé joue en effet, au regard du développement durable, un rôle régulateur qu'il ne faudrait pas négliger.
Nous touchons là au coeur des propositions de loi examinées aujourd'hui.
Au total, la libéralisation des prix de l'électricité et du gaz revient à remplacer la maîtrise tarifaire politique et la régulation tarifaire du marché par une dose supplémentaire de concurrence au profit de quelques grands groupes et, au final, au détriment des consommateurs tant professionnels que domestiques.
Notre groupe n'a cessé de réaffirmer sa préférence pour un pôle public de l'énergie autour d'EDF et de GDF, seul capable d'assurer la sécurité de nos approvisionnements et la maîtrise publique tarifaire.
À ce titre, nous condamnons le démantèlement de nos outils de politique industrielle. Aujourd'hui, nous privatisons GDF. Pour demain, on nous annonce le mariage d'Areva avec un grand groupe français du bâtiment.
Comment interpréter autrement la perte de contrôle public de notre propre appareil énergétique ? D'autres ne s'y sont pas trompés, qui gardent une assise étatique forte. Il sera bien difficile de se mesurer à eux demain.
On vient de le voir : la libéralisation à marche forcée introduit de véritables désordres sur le marché de l'électricité et du gaz bien plus qu'elle ne contribue à répondre aux enjeux publics de l'énergie que sont, premièrement, la sécurité d'approvisionnement, deuxièmement, la modération des prix et, troisièmement, la diversification énergétique. J'en ajouterai un quatrième : la lutte contre la fracture énergétique et les inégalités.
Je souhaite évoquer ici l'effet pervers qu'induit la disparition des tarifs réglementés sur le pouvoir d'achat des ménages et sur le fonctionnement du marché immobilier, afin de montrer combien elle sera source d'inégalités parmi les locataires, d'une part, et parmi les propriétaires, d'autre part.
En l'état du droit, la renonciation aux tarifs réglementés a deux conséquences. Tout d'abord, ce choix est ferme et définitif : il est impossible de revenir en arrière, même au terme d'un contrat issu du marché libre. Ensuite, ce choix reste attaché au logement : il s'impose donc aux occupants futurs sans que ceux-ci aient aucun recours possible.
Cela signifie que les locataires, de même que les propriétaires occupants, seront enfermés dans le choix d'un jour - éventuellement réalisé sous forte pression commerciale -, voire dans le choix fait par un autre qu'eux !
Or on ne peut qu'être inquiet quant aux modalités de fixation des prix dits « libres ». Mon collègue Jean-Marc Pastor, dans le rapport qu'il a établi en juillet dernier sur l'approvisionnement électrique, rappelait que « le marché ne peut en aucun cas servir de modèle unique de fixation des prix de l'électricité ».
En effet, un tel fonctionnement reviendrait aujourd'hui pour la France à mettre un terme à l'avantage compétitif lié au nucléaire, avantage dont bénéficient les consommateurs, au nom d'une harmonisation communautaire des prix qui ne repose sur aucune logique industrielle solidement établie.
Les clients professionnels, on l'a déjà souligné, en ont fait les frais lors des premières phases de l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité : certains ont subi des hausses de plus de 60 % depuis 2002 ! Des installations industrielles solides se sont trouvées menacées et le sont encore dans leurs activités. Souvenez-vous des débats qui sont eu lieu ici ou à l'Assemblée nationale sur le cas des électro-intensives. Aucun élément ne laisse penser qu'il en sera autrement des particuliers.
Ainsi, le risque est grand de voir s'alourdir encore la facture énergétique des familles. Celles-ci y consacrent déjà près d'un tiers de leur budget logement.
Et les perspectives sont moroses. La flambée des prix du pétrole, tout au long de l'année 2005, maintenue à un haut niveau au cours des années 2006 et 2007, continue d'exercer ses effets sur le prix de l'énergie consommée par les ménages dans leur logement. Ainsi, la facture énergétique des familles s'alourdit à un rythme inquiétant : de 6 % en 2005, de 7, 7 % en 2006.
Dans son rapport, notre collègue Ladislas Poniatowski précise que les dépenses des ménages consacrées au chauffage et à l'éclairage ont augmenté de 6, 5 % en 2005 et de 5, 7 % en 2006.
Or, chers collègues, je vous le dis avec certitude, ces hausses auraient été bien pires sans les tarifs réglementés d'électricité. Voulez-vous une justification de cette certitude ? Sur la même période, le prix du fioul domestique a augmenté de 30 % en 2005 et celui du gaz de 21 % en 2006.
C'est donc bien la stabilité des prix de l'électricité qui a exercé un effet modérateur important sur la facture énergétique des ménages. Cet effet modérateur est gravement menacé par la fin des tarifs réglementés.
S'ensuivront des inégalités : entre locataires qui auront renoncé ou non aux tarifs réglementés, entre locataires dont les prédécesseurs auront ou non renoncé aux tarifs réglementés, mais également entre propriétaires, qu'ils soient occupants ou bailleurs, dans la mesure où la valeur et l'attractivité locative de leurs biens pourront en être affectées.
Une partie du parc immobilier pourrait en effet être grevée d'une servitude privée en desserte énergétique.
Absurde conséquence de cette libéralisation mal pensée : on crée une obligation réelle immobilière à la seule initiative du locataire ! Le propriétaire bailleur peut voir les caractéristiques structurelles de son bien changer du fait d'un tiers, sans qu'il ait le moins du monde son mot à dire ou qu'il puisse envisager un système de compensation.
En d'autres termes, on crée bien une servitude ! Pourtant, la législation immobilière et locative n'a pas évolué pour tirer conséquences de ce bouleversement juridique : rien n'est prévu pour informer les futurs locataires ou acquéreurs de la situation du logement au regard du droit au tarif réglementé ; rien non plus n'est prévu pour associer le propriétaire du logement au choix du locataire si ce dernier souhaite exercer son éligibilité. Comment, d'ailleurs, accepter une quelconque tutelle de l'un sur l'autre dans ce choix ?
On voit bien la difficulté d'un tel dispositif : certes défendable au regard des conséquences irréversibles de la décision sur l'attractivité du bien, il serait abusif au regard du droit des baux locatifs et, en tout état de cause, irait à l'encontre des directives européennes qui font de l'exercice de l'éligibilité un droit personnel.
Dès lors, on peut imaginer l'apparition de deux marchés immobiliers : celui des logements pouvant bénéficier des tarifs réglementés et celui des logements n'y ayant plus droit.
Ces incohérences doivent être corrigées par le droit au retour aux tarifs réglementés.
Vous le savez, les parlementaires socialistes sont résolument attachés au maintien d'un service public de l'électricité et du gaz, gage de cohésion sociale et de protection des consommateurs. Ils sont aussi convaincus que nos débats sur l'organisation et le fonctionnement du marché énergétique devront, à l'avenir, changer de perspective : outre les enjeux relatifs à la production et à la sécurité des approvisionnements, nous devons absolument considérer les enjeux liés à la consommation.
Nous devons donc rechercher dès à présent à la fois la sobriété et la performance énergétiques. Ce double objectif exige de l'inventivité, il recèle un gisement d'innovations et il est source de « mieux-vivre ». Sobriété et performance doivent aussi constituer les deux piliers de notre politique énergétique. C'est la volonté des socialistes, et ils le démontrent déjà, à une autre échelle, dans les collectivités qu'ils dirigent.
Notre génération et celle de nos enfants doivent faire face à l'urgence du plus grave défi climatique de l'histoire de l'humanité. Il est plus que temps d'agir !
Dans cet esprit, et pour protéger le pouvoir d'achat menacé de nos concitoyens, nous avions déposé, le 26 juillet dernier, lors de la discussion du projet de loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, des amendements permettant le retour aux tarifs réglementés. Mme Lagarde nous avait objecté que cette démarche était prématurée, mais qu'elle saisirait la représentation nationale, en lien avec son collègue Jean-Louis Borloo, souhaitant que « ce dossier fasse l'objet d'une étude approfondie, d'un véritable débat, ce que ne permet pas le simple examen des amendements, au demeurant de qualité ».
Je ne sais quel est le résultat de l'étude approfondie annoncée par Mme Lagarde, mais j'espère qu'elle a été entreprise... Quoi qu'il en soit, je me réjouis que la discussion conjointe de trois propositions de loi nous permette d'engager cet après-midi le débat que Mme Lagarde regrettait de ne pouvoir entamer le 26 juillet dernier.
Je souhaite que le jugement porté sur nos amendements - « de qualité », selon la ministre - ne soit pas infirmé au seul prétexte que nous les avons logiquement transformés en proposition de loi. S'ils sont de qualité, adoptons-les, non pas pour la satisfaction du travail bien fait, mais pour protéger tout particulièrement les locataires clients du gaz et de l'électricité des effets d'une clause dolosive qui s'imposerait à eux comme aux propriétaires.