Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Réunion du 1er octobre 2007 à 16h00
Tarifs réglementés d'électricité et de gaz naturel — Article additionnel avant ou après l'article 1er

Photo de Jean-Luc MélenchonJean-Luc Mélenchon :

Je comprends les motivations de ceux qui s'efforcent de sauver la loi adoptée en 2006, et je ne reviendrai pas sur les propos que j'ai pu tenir alors.

Je soulignerai seulement le caractère absolument incroyable de la situation que nous nous efforçons aujourd'hui de corriger. Il s'agit prétendument d'une situation de marché, dans laquelle, par conséquent, selon vos principes, chers collègues de la majorité, la loi de l'offre et de la demande devrait s'exercer librement. Pourtant, l'un des protagonistes de ce marché, en l'occurrence l'acheteur, sitôt qu'il a signé un bout de papier, non seulement a les mains attachées dans le dos, mais encore assujettit les occupants ultérieurs de son logement puisque personne ne peut revenir après lui au tarif réglementé !

Quel rapport y a-t-il entre cette situation et les grands principes de la « concurrence libre et non faussée » posés par le traité de Rome et les traités européens suivants ? Mes chers collègues, il me semble qu'ici la concurrence n'est ni libre ni non faussée ! Autrement dit, il ne s'agit à l'évidence que d'un prétexte pour accéder à un espace de profits accrus.

Nous, Français, nous ne pouvons l'accepter, que nous soyons de droite ou de gauche. Je sais bien qu'une certaine droite, aujourd'hui au pouvoir, considère que le libéralisme n'a que de bons côtés. Mais un certain nombre de mes collègues de la majorité commencent eux aussi à s'inquiéter, car ils sont attachés au résultat des efforts des générations précédentes, qui ont garanti aux Français une certaine autonomie dans leurs approvisionnements énergétiques et ont permis à chaque citoyen d'accéder à un bien dont il ne peut se passer, à savoir l'énergie.

Monsieur le secrétaire d'État, je vous l'affirme : cela va mal finir ! Vous devriez prendre conscience des dégâts qui s'annoncent, et pas seulement du fait des privatisations qui ont déjà été engagées. Considérez cette mesure par rapport à son environnement et songez aux braves gens, au commun des mortels, auxquels elle va s'appliquer.

Imaginez une personne qui s'est endettée pour acheter son logement, et ce d'autant plus facilement que le Président de la République a affirmé que la France devait être un pays de propriétaires et que l'hypothèque rechargeable a été mise en place, de même que nombre d'autres mécanismes de facilitation du crédit immobilier, dont nous avons déjà constaté les effets, notamment aux États-Unis d'Amérique.

Voilà que cette personne s'entend dire à la télévision qu'on lui donne le choix entre deux offres, l'une proposée par EDF et l'autre dite « libre », et qu'ainsi elle peut voir sa note d'électricité baisser de dix ou vingt pour cent. Qu'est-ce qui pourra la retenir, alors qu'elle est prise à la gorge, de sortir du tarif réglementé et d'opter pour le tarif privé afin de tenter d'amoindrir l'effort financier qu'elle doit consentir ? Rien, à l'évidence !

Et que se passera-t-il demain, quand la situation se retournera et que le tarif dit libre commencera à grimper, comme il l'a fait partout dans le monde, sans aucune exception ? M. le secrétaire d'État nous citera peut-être un cas exceptionnel, un endroit du monde où l'électricité a coûté moins cher dès lors qu'elle a été privatisée, mais, pour ma part, je suis quasiment certain qu'il n'en existe aucun, et dans aucun pays !

Par conséquent, cette personne se trouvera prise en tenaille entre l'augmentation du coût de la fourniture électrique de base de son logement et l'accroissement des versements destinés à payer ses emprunts, car on a désormais étendu le système des taux permettant d'augmenter de façon vertigineuse le niveau du remboursement exigible au bout d'un certain nombre d'années de prêt !

Ainsi, nous aurons réuni nous-mêmes toutes les conditions qui ont conduit au désastre observé aux États-Unis d'Amérique, où près d'un million de personnes ont été chassées de chez elles et où à peu près deux millions d'autres attendent leur tour dans les prochains mois.

On dira qu'il s'agit d'une extrapolation et que je vais beaucoup trop loin. Mais précisément, quand nous avons décidé de développer l'énergie nucléaire - j'assume ici le risque de déplaire à certains de mes collègues -, quand nous avons mis en place une politique énergétique ou une politique du logement, n'essayions-nous pas de planifier à long terme ? Or, ici, nous ne planifions rien ! Nous nous en remettons au dieu abstrait du marché, en espérant qu'il réglera nos problèmes.

Notre collègue Ladislas Poniatowski est, bien sûr, assez habile pour ne pas donner à sa proposition une portée trop générale. Il affirme qu'avec ce texte nous nous donnons seulement les moyens de négocier avec Bruxelles.

Je comprends bien que nous nous sommes mis dans une si mauvaise passe qu'il nous faut nous donner les moyens de négocier ! Mais il est tout de même incroyable que nous, Français, en soyons à craindre l'avis de la Commission de Bruxelles, qui n'est mandatée par personne, élue par personne, et qui va décider pour nous de ce qui est bon ou pas, tandis que, tremblants, nous nous demandons si, par hasard, le fait d'être Français, comme nous le sommes depuis toujours, et nos modes de fonctionnement ne constitueraient pas une provocation pour Bruxelles !

Franchement, je crois que nous atteignons ici des sommets ! Monsieur le secrétaire d'État, je l'affirme tranquillement, en tant que sénateur de base : vous verrez, quand les Français comprendront qu'ils ne peuvent pas revenir à un tarif d'électricité normal, qui a pourtant été financé par les efforts des générations précédentes, parce que quelqu'un, à Bruxelles, a décidé que ce n'était pas conforme à des décisions prises dans le secret d'un bureau, ça va chauffer dans les chaumières !

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