Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 décembre 2023 à 9h05
Institutions européennes — Programme de travail de la commission européenne pour 2024 - examen de la proposition de résolution européenne et de l'avis politique

Photo de Didier MarieDidier Marie, rapporteur :

Le 17 octobre dernier, la Commission européenne a présenté son programme de travail pour 2024, intitulé « Obtenir des résultats aujourd'hui et préparer demain ». Il s'agit d'un programme de fin de mandature pour l'actuelle Commission européenne, et l'heure est effectivement au bilan de son action, mais aussi à la définition d'orientations stratégiques pour le prochain collège des commissaires.

Toujours marqué par la guerre en Ukraine, ce programme prend acte de la remise en cause des modèles et organisations ayant contribué au développement de la mondialisation et, disons-le, de l'influence de l'Union européenne dans cette dernière.

Toutefois, malgré l'importance de ces bouleversements et des remises en cause qu'ils engendrent, l'Union européenne doit poursuivre et achever ses objectifs de long terme, et ce pour garantir l'avenir du continent européen. J'entends par là la mise en oeuvre du Pacte vert, l'élaboration de règles commerciales et de concurrence allant de pair avec une vraie politique industrielle européenne, la garantie et la protection des droits de chacun et la reconnaissance de l'économie sociale.

Quelques mots sur le programme de travail pour 2023, au sujet duquel nous avons adopté un avis politique le 13 mars dernier. Composé de 43 nouvelles actions, ce programme fourni était marqué par la mise en oeuvre de l'agenda climatique, mais aussi par la présentation d'initiatives aussi diverses qu'importantes : cadre réglementaire sur les semi-conducteurs ; proposition de mise en place d'un revenu minimum au sein de l'Union européenne ; développement des ambitions spatiales européennes, ou encore actualisation des règles de l'espace Schengen. La plupart de ces initiatives sont encore en discussion.

À titre d'exemple, on peut évoquer les propositions de textes réformant le marché européen de l'électricité, présentées parce que la crise de l'énergie avait révélé les faiblesses de ce marché alors que la stabilisation de celui-ci est prioritaire pour nos concitoyens.

A contrario, plusieurs textes importants ont pu être adoptés. Je veux citer l'adoption définitive de la directive visant à renforcer l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les femmes et les hommes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations, qui contribue, je cite la Commission européenne, « à faire en sorte que le principe de l'égalité des rémunérations pour un même travail devienne enfin une réalité de terrain ».

Dans ce contexte d'application de ce programme 2023, la Commission européenne a présenté, le 6 juillet dernier, son quatrième rapport de prospective stratégique. Ce rapport est important, car il remet en perspective les urgences invoquées en décrivant les nombreux défis auxquels l'Union européenne et ses États membres sont aujourd'hui confrontés.

Le rapport mentionne ainsi une « bataille des visions » opposant les États membres de l'Union européenne à certains pays tiers, tels que la Russie, qui mènent des actions de remise en cause du système international, mais aussi la mise au jour de certaines dépendances stratégiques de l'Union européenne, les « répercussions disproportionnées » du changement climatique « sur les plus pauvres et les plus vulnérables », ou encore la hausse des inégalités au sein des États membres et le vieillissement des populations de l'Union européenne. En énumérant cette liste, nous comprenons que nous sommes en train de changer de modèle. Le rapport affirme ainsi que « la mondialisation telle que nous la connaissons est fondamentalement remise en question ».

En conséquence, le rapport estime que l'Union européenne, qui connaît « un moment charnière », doit répondre à trois priorités.

Première priorité : bâtir un « nouveau contrat social européen adapté à un avenir durable », avec en particulier des incitations supplémentaires pour favoriser la participation du plus grand nombre au marché du travail et des politiques de protection sociale adaptées aux formes d'emplois atypiques, ainsi qu'au vieillissement.

Deuxième priorité : mettre à profit le marché unique pour que l'Union devienne l'économie pionnière en technologies « zéro net » tout en déployant toutes les actions nécessaires pour préserver sa puissance économique, que ce soient les instruments de défense commerciale, les négociations internationales pour diffuser le modèle européen de transition climatique ou encore les actions de renseignements contre la désinformation et les ingérences étrangères.

Troisième priorité : améliorer le bien-être des citoyens européens, avec l'amélioration des conditions de travail, l'enrichissement de l'éducation et de la formation, et le renforcement des dispositifs de sécurité civile contre les catastrophes.

Cette démarche de la Commission européenne apparaît comme une prise de conscience bienvenue qu'il faut saluer. Néanmoins, la plupart des intentions affichées ne sont suivies d'aucun engagement concret. De fait, elles ne sont que très partiellement déclinées dans le programme de travail pour 2024 que présente la Commission.

J'en viens aux grandes lignes du programme de travail de la Commission européenne pour l'année à venir. Il est introduit par ces mots de sa présidente, Mme Ursula von der Leyen, lors de son discours sur l'état de l'Union, le 13 septembre dernier : « L'Europe doit, une fois de plus, répondre à l'appel de l'histoire. [...] Et dans les 300 prochains jours, il nous faudra impérativement terminer le travail que les [citoyens européens] nous ont confié. »

Dans une période axée sur l'achèvement des projets présentés depuis 2019, la présentation de nouvelles initiatives par le programme de travail est donc logiquement limitée. Elle comporte 15 nouvelles actions, déclinées en 19 initiatives, toujours réparties selon les six grandes ambitions définies fin 2019 par la Commission von der Leyen. Je les rappelle : « un pacte vert pour l'Europe » ; « une Europe adaptée à l'ère du numérique » ; « une économie au service des personnes » ; « une Europe plus forte sur la scène internationale » ; « la promotion de notre mode de vie européen » ; et « un nouvel élan pour la démocratie européenne ».

Jean-François Rapin présentera le contenu de ces initiatives et le détail de notre proposition de résolution. Je veux néanmoins insister, pour ma part, sur l'importance du Pacte vert, qui permet à l'Union européenne de conduire la nécessaire transition écologique, en favorisant la biodiversité, l'économie circulaire et la décarbonation de nos sociétés. À ce titre, nous pouvons nous féliciter de l'achèvement des négociations sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », qui met en oeuvre une réduction ambitieuse des gaz à effet de serre et doit garantir le développement des énergies renouvelables.

Je veux également rappeler le caractère essentiel des réformes européennes visant à renforcer la responsabilité sociale des entreprises, c'est-à-dire des textes sur le devoir de vigilance et l'interdiction des produits du travail forcé.

Permettez-moi enfin d'approuver la perspective d'élargissement confirmée aux pays des Balkans occidentaux par l'aide européenne de 6 milliards d'euros qui leur est allouée.

Le programme de travail présente également les révisions et évaluations auxquelles la Commission européenne envisage de procéder au cours de l'année, au titre du programme Refit de simplification de la législation de l'Union européenne. Figurent ainsi dans ce programme 31 décisions de simplification des dispositifs, mais force est de constater que ces décisions consistent, pour l'essentiel, à supprimer des obligations de publication de rapports. Or ces derniers peuvent être utiles pour comprendre l'évolution de l'application d'une politique européenne. Plus pertinentes sont les évaluations envisagées de 16 textes ou principes fondateurs des politiques européennes, comme le principe « pollueur-payeur » ou la mise en oeuvre du Fonds européen de développement régional (Feder) sur la période 2014-2020.

Enfin, de nombreux textes restent en négociation. Le programme de travail en recense 154. Il est légitime de s'interroger sur la possibilité d'adopter l'ensemble de ces textes avant les prochaines élections européennes du 9 juin. Je note à cet égard que, dans sa réponse à notre avis politique sur le programme 2023, la Commission européenne avait indiqué partager les interrogations du Sénat, reconnaissant par là même les limites des calendriers qu'elle propose.

Bien sûr, l'évolution à la hausse du stock des propositions en attente d'adoption est logique à ce stade du mandat de la Commission européenne. Il faut néanmoins observer qu'elle a pris de très nombreuses initiatives sans avoir toujours anticipé les délais nécessaires pour leur adoption définitive. En attendant, il ne reste que quelques semaines aux négociateurs européens pour achever la discussion de ces textes en temps utile.

Nous leur souhaitons de réussir, car il en va de la crédibilité des institutions européennes, mais nous ne sommes pas particulièrement optimistes. En effet, dès le mois de mars, nous entrerons dans la campagne électorale des élections européennes, il sera alors trop tard pour légiférer.

Pour rappel, les principaux textes en attente d'adoption concernent : le rétablissement de l'autonomie de l'Union européenne dans des domaines clés - instrument d'urgence pour le marché intérieur, règlement sur l'approvisionnement en matières premières critiques, réforme du marché européen de l'électricité, système de ressources propres - ; la mise en oeuvre du Pacte vert, avec des textes relatifs aux déchets d'emballage, à la qualité de l'air, au traitement des eaux, et à la performance énergétique des bâtiments ; la transition numérique, notamment sur les thèmes de l'intelligence artificielle et de la cybersécurité ; ou encore le Nouveau pacte pour la migration et l'asile. Vous pouvez mesurer le travail restant jusqu'aux prochaines élections.

Simultanément, le faible nombre de retraits de propositions inutiles ou anachroniques - seulement six - traduit l'abandon des ambitions initiales de la Commission Juncker dans ce domaine, qui visaient à améliorer la clarté des priorités européennes et à limiter les processus bureaucratiques.

C'est pourquoi notre proposition de résolution appellera la future Commission européenne à présenter moins de textes, mais à mieux les préparer et à mieux les expliquer.

Sur le fondement de ce panorama général, Jean-François Rapin va vous présenter les projets de résolution européenne et d'avis politique qui vous ont été transmis et que nous vous soumettons en les souhaitant consensuels.

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