Intervention de Yannick JADOT

Réunion du 16 janvier 2024 à 14h30
Accord commercial entre l'union européenne et le mercosur — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Yannick JADOTYannick JADOT :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous parlons d'un accord dont la négociation a été engagée il y a près d'un quart de siècle. Il s'agit donc d'un accord « dinosaure », antérieur aux dégâts provoqués par la mondialisation libérale, aux manifestations les plus dramatiques du dérèglement climatique et de l'effondrement de la biodiversité, au covid, à la guerre en Ukraine – bref, d'un accord négocié dans le monde d'avant !

Durant ces vingt ans de négociations, c'est l'équivalent de la surface de la péninsule ibérique – l'Espagne et le Portugal – qui a disparu en Amazonie.

En 2019 – vous siégiez alors au Parlement européen, monsieur le ministre –, alors que la Commission européenne était prête à signer avec enthousiasme un accord avec Jair Bolsonaro, les négociations ont été arrêtées, sous la pression des opinions publiques, du Parlement européen et de certains gouvernements, dont celui de la France, il faut le dire. Il est donc incompréhensible qu'on les reprenne avec Javier Milei, qui, en la matière, surpasse Jair Bolsonaro – et de loin !

L'accord a souvent été qualifié de « viande contre voitures ». Et pour cause : il vise à libéraliser le commerce de viandes de bœuf et de poulet, de soja ou d'éthanol issu de la canne à sucre du Mercosur vers l'Europe et à libéraliser celui des biens industriels, dont l'automobile, les marchés publics et les services de l'Europe vers le Mercosur.

Les effets, on le sait, seront dramatiques.

Côté Mercosur, l'accord renforcerait un modèle de développement agroexportateur complètement déséquilibré, au détriment de l'industrie, des services, des cultures vivrières, donc des classes populaires et moyennes. Le cycle soja-bœuf ne ferait que succéder au cycle brésilien du caoutchouc, puis du café.

En effet, c'est bien la question agricole qui est la plus problématique. Cet accord serait un désastre pour l'agriculture en général, pour notre agriculture en particulier, et pour le Pacte vert pour l'Europe. Cet accord, s'il était mis en œuvre, contribuerait au dérèglement climatique, à la mondialisation de la malbouffe, à la contamination chimique de la nature et de nos organismes, à un accroissement des souffrances animales et à la disparition des paysans en Amérique latine et en Europe.

Aux termes de cet accord, 99 000 TEC de bœuf pourraient être exportées vers l'Europe, ce qui représente une augmentation de 50 % du quota. Qui plus est, il ne s'agirait pas de n'importe quels morceaux : seraient exportés la longe et le rumsteck, c'est-à-dire l'aloyau. De fait, le bœuf du Mercosur représenterait alors non plus 13 %, mais 26 % du marché européen. Or, nous le savons, c'est là où nos paysans font de la valeur ajoutée. Il s'agit donc, encore une fois, d'un danger absolu pour notre secteur de l'élevage.

Mme Primas a fait référence à sa visite au Brésil. Je m'y suis moi-même rendu avec une délégation parlementaire. À cette occasion, nous avons pu observer les effets de la déforestation sur le Cerrado. On parle toujours de l'Amazonie, qui est devenue iconique et qui est protégée, même si elle ne l'est pas suffisamment. Le Cerrado quant à lui, c'est le château d'eau de l'Amazonie. Or il est déjà détruit aux deux tiers. C'est la nouvelle frontière du soja. Il nous faut absolument le protéger et, partant, refuser cet accord.

Nous savons ce que sont les conditions de production dans le Mercosur. Je pourrais évoquer le travail forcé, qui est courant. Dans les abattoirs – peut-être avez-vous eu l'occasion d'en visiter –, des personnes sont en situation de semi-esclavage et les règles de bien-être animal n'existent pas. C'est totalement contraire au modèle voulu par les Européens.

Pour rappel, sur un demi-millier de pesticides utilisés au Brésil, 150 sont interdits en Europe. Cynisme et cupidité : nous exportons une partie des pesticides que nous interdisons vers le Brésil et les pays du Mercosur !

Nous devons donc revoir, mais surtout stopper cet accord. Il n'existe aucune possibilité de le faire évoluer tel qu'il a été conçu. La tentative de la Commission européenne de faire une lettre interprétative, sachant que cela n'aura aucune force juridique, relève de la mascarade. En cas de ratification de l'accord, il sera possible de suspendre les échanges si le nombre de poulets importés est insuffisant, mais pas si l'Amazonie brûle ou si les salariés sont maltraités !

Nous devons rejeter l'accord. Le Gouvernement doit défendre à Bruxelles auprès de la Commission européenne et du Conseil le refus de la France de le signer.

Pour toutes les raisons que je viens d'indiquer, nous voterons cette proposition de résolution, même si elle n'est pas parfaite. §

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