Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du 16 janvier 2024 à 14h30
Réforme du marché de l'électricité — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous retrouver cet après-midi pour ce débat sur la réforme du marché de l'électricité.

Je souhaite profiter de cette occasion pour saluer le travail remarquable effectué par Agnès Pannier-Runacher comme ministre de la transition énergétique, en particulier pour l'obtention d'un accord décisif sur le marché européen de l'énergie.

Pour débuter cette première intervention, je tiens à vous faire part d'une conviction forte : l'énergie est le grand défi économique du XXIe siècle, celui qui doit nous permettre de renforcer notre indépendance, d'offrir à nos concitoyens comme à nos entreprises une énergie décarbonée au coût le plus bas possible, et d'accélérer la décarbonation de la France pour faire de notre Nation la première économie décarbonée en Europe à l'horizon 2040. Cela suppose de disposer d'une stratégie cohérente, globale, dans le prolongement de ce qu'a défini le Président de la République à Belfort et que je rappellerai brièvement ici.

Le premier pilier de cette stratégie est la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles. Nous dépendons encore d'énergies fossiles à hauteur de 60 % de notre consommation énergétique, alors que nous ne produisons plus rien dans ce domaine – ni gaz ni pétrole – sur notre territoire.

Nous sommes donc largement dépendants en matière énergétique. Cela engendre une vulnérabilité climatique, car il s'agit d'énergies fossiles, ainsi qu'une vulnérabilité géopolitique, comme nous l'avons vu depuis l'invasion russe en Ukraine ; nous risquons de la constater aussi du fait des blocages en mer Rouge et des difficultés d'approvisionnement qui en résulteront.

Cette dépendance entraîne enfin une vulnérabilité économique et financière de tous les instants, car nous sommes – consommateurs et entreprises – exposés aux risques d'envolée du prix du baril ou du gaz.

Nous devons donc, par souci de renforcer notre indépendance, réduire au strict minimum la part des énergies fossiles dans notre économie et viser la neutralité carbone.

Pour cela – il faut être conscient des chiffres et des enjeux –, il faut doubler la part de l'électricité dans notre mix énergétique en la faisant passer de 27 à 55 % d'ici à 2050.

Ce doublement des capacités électriques de la Nation en une vingtaine d'années est la condition pour tenir nos objectifs de neutralité carbone et d'indépendance énergétique. Il s'agit aussi d'un défi industriel et financier tel que la France n'en a pas connu depuis quarante ans.

Ce défi industriel suppose d'accélérer le déploiement de l'éolien terrestre et de l'éolien offshore, d'accélérer le déploiement des panneaux solaires, de réussir la construction des six nouveaux EPR, alors même que nous n'avons pas réalisé, depuis plusieurs décennies, de chantier industriel de cette ampleur, d'investir dans l'hydrogène et dans le réseau électrique – il faudrait installer entre 15 000 et 25 000 kilomètres de lignes à haute tension pour réussir l'électrification de notre pays.

Toutes ces énergies sont complémentaires, et jamais je n'opposerai les énergies les unes aux autres. Quoi qu'il en soit, ce défi industriel est absolument considérable.

Il s'agit aussi d'un défi financier, dont les coûts ont été largement évalués. Le budget de la Nation est mis à contribution : 7 milliards d'euros supplémentaires y sont consacrés dans le projet de loi de finances pour 2024. Il convient également de mieux mobiliser l'épargne privée, et de mettre en place l'union des marchés des capitaux au niveau européen, sans laquelle nous ne parviendrons pas à lever les sommes nécessaires.

L'indépendance électrique de la Nation française est donc un défi industriel tel que la France n'en a pas connu depuis un demi-siècle.

Le deuxième pilier de cette stratégie est la réindustrialisation.

L'électrification ne doit pas nous conduire à acheter à l'étranger ce dont nous avons besoin. Nous devons au contraire nous en servir comme d'un levier pour produire en France davantage de pales d'éoliennes, de panneaux solaires, de réacteurs nucléaires et de turbines, autant d'éléments nécessaires au parc électrique national.

Climat et réindustrialisation ont partie liée. J'ai la conviction profonde que la transition climatique nous offre une occasion unique dans l'histoire récente de notre Nation d'effacer quarante années de désindustrialisation et de réindustrialiser le pays. De fait, la transition climatique représente des usines et des emplois. Nous devons saisir cette occasion.

Dans cette perspective, nous avons voté une loi relative à l'industrie verte – d'ailleurs largement soutenue par le Sénat, ce dont je le remercie – qui met en place, pour la première fois en Europe, un crédit d'impôt au titre des investissements dans l'industrie verte. La France est la seule nation en Europe à demander aux industriels, à l'instar des États-Unis avec l'Inflation Reduction Act, de produire des panneaux solaires, des pales et des mâts d'éoliennes, des pompes à chaleur et des batteries électriques, et à leur accorder un crédit d'impôt, afin qu'ils le fassent sur le sol français avec des technologies françaises. Ce dispositif permettra d'accélérer la production nationale.

Examinons les faits et uniquement les faits dans le domaine industriel : la transition climatique nous a permis, pour la première fois depuis plusieurs décennies, d'ouvrir une nouvelle chaîne de valeur industrielle en France. L'industrie française comprend désormais, outre la chimie, l'aéronautique et l'automobile, la filière des batteries électriques.

Cette filière est probablement l'une des plus performantes d'Europe, grâce à ses quatre gigafactories, à la recherche et à l'innovation françaises. Notre pays sera ainsi l'un des premiers à maîtriser la fabrication des batteries à état solide, et pas uniquement celle des batteries lithium-ion.

Nous avons également mis en place des instruments financiers : le projet de loi de finances pour 2024 prévoit 5 milliards d'euros de prêts participatifs verts et d'obligations vertes.

Nous avons en outre multiplié par treize les soutiens à l'export des énergies renouvelables entre 2018 et 2022.

Vous le voyez, notre mobilisation est pleine et entière pour faire de la transition climatique un enjeu industriel et le moyen de réindustrialiser enfin la Nation française. Et nous obtenons des résultats !

Désormais que l'énergie est dans le périmètre du ministère de l'économie et des finances, nous comptons accélérer la décarbonation industrielle du pays, renforcer notre souveraineté industrielle et relever le défi de l'électrification du mix énergétique national.

Le troisième pilier de cette stratégie repose sur la sobriété et l'efficacité énergétiques.

Je tiens à rassurer tous ceux qui ont émis des critiques : nous sommes en démocratie et toutes les critiques sont les bienvenues.

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