Intervention de Sophie Primas

Réunion du 16 janvier 2024 à 14h30
Accord commercial entre l'union européenne et le mercosur — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Sophie PrimasSophie Primas :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’approbation par le Parlement européen et l’adoption par le Conseil de l’Union européenne de l’accord commercial avec la Nouvelle-Zélande, avant la modernisation des accords avec le Mexique et le Chili, l’accord commercial avec le Mercosur n’est-il qu’un simple accord de libre-échange de plus ? Nous sommes convaincus que non, monsieur le ministre.

Permettez-moi de vous présenter très rapidement trois raisons parmi des centaines qui démontrent qu’il ne s’agit en effet pas d’un simple accord de plus.

D’abord, ce n’est pas un simple accord de plus, parce que l’on n’a toujours pas mesuré à ce jour les effets cumulés des accords de libre-échange sur certains secteurs, en particulier sur celui de l’agriculture. Rien ne dit que cet accord ne sera pas l’accord de trop.

Selon les théories du commerce international, le libre-échange permet des gains économiques globaux – je suis assez d’accord –, mais ces derniers sont toujours obtenus au prix de réallocations entre pays, entre entreprises et entre secteurs plus ou moins productifs. Or, à ce jeu, l’agriculture européenne, en particulier l’agriculture française, est bien souvent perdante. Je fais ici allusion à la proposition de loi pour un choc de compétitivité en faveur de la ferme France de notre collègue Laurent Duplomb.

On comprend bien la logique qui consiste à obtenir, par exemple, l’accès à certains marchés pour les automobiles allemandes en échange de quotas supplémentaires de bœuf ou de poulet brésiliens. Quoi de plus rationnel, en apparence ?

À en croire la communication du Gouvernement, une telle logique permettrait au secteur de l’agriculture d’y gagner : la reconnaissance d’indications géographiques protégées sur des marchés tiers ferait plus que compenser en valeur les importations de produits agricoles, qui ne seraient que des virtualités. Or les indications géographiques protégées représentent moins de 3 % de notre production agricole.

Et le Gouvernement de ressasser à l’envi l’exemple de l’accord avec la Nouvelle-Zélande, qui ouvre des quotas supplémentaires de viande ovine exemptés de droits de douane à l’importation, alors que les quotas déjà accordés n’étaient, pour l’heure, pas atteints.

Soyez toutefois certains que, même lorsqu’ils ne sont pas pleinement exploités par nos partenaires commerciaux, les quotas supplémentaires sont loin d’être une simple virtualité : c’est une réalité, un droit opposable sur lequel nous ne pourrons plus revenir ! Nos filières seront attaquées non pas la première, la deuxième, la troisième ou la quatrième année, mais au fil du temps. Elles sont profondément affaiblies. Regardez, par exemple, ce qui se passe aujourd’hui pour la filière du sucre.

Pour nos agriculteurs, c’est d’autant plus réel que cela s’ajoute aux aléas, en particulier normatifs, mais aussi économiques, qui les placent en situation de concurrence déloyale, alors que les clauses miroirs ne sont pas actionnées et que les contrôles aux frontières sont inefficaces.

Qui n’a pas compris cette réalité fondamentale n’a rien compris à l’état moral de la ferme France. J’en veux pour preuve les 1 000 agriculteurs réunis aujourd’hui sur la place du Capitole à Toulouse.

La décroissance de la production européenne et française, désormais organisée, conduira à la délocalisation de notre production alimentaire et à la mise en danger de notre propre souveraineté.

Ensuite, cet accord n’est pas un simple accord de plus, parce que le Mercosur est un géant économique, plus grand que n’importe lequel des partenaires avec lesquels nous avons déjà conclu un accord commercial. Du fait de leur taille, l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay sont susceptibles de perturber jusqu’à nos filières les plus solidement structurées, comme celle du sucre.

Avec plusieurs collègues ici présents, j’ai eu l’occasion au printemps dernier, lors d’un voyage d’études de la commission des affaires économiques au Brésil, de voir de mes propres yeux ce qu’est l’agriculture industrielle et intensive, la vraie – je me tourne vers M. Jadot §–, que certains se piquent de voir en France. Pour ma part, je n’ai jamais rien vu de tel en France. Nous avons été pris de vertige devant ces exploitations agricoles de plusieurs centaines de milliers d’hectares, aux pratiques très éloignées de nos standards et plus encore de notre principe de précaution ou de nos interdictions.

Pour prendre un seul exemple, chaque année, l’Argentine et le Brésil exportent à eux seuls la même quantité de maïs que celle qui est produite dans toute l’Union européenne. Rien que cela ! Le Mercosur est un rouleau compresseur agricole, dont les capacités de production peuvent encore doubler, voire tripler, pour déferler sur l’Europe.

Enfin, cet accord n’est pas un simple accord de plus, monsieur le ministre : recherché activement depuis plus de vingt ans par la Commission européenne, il est un symbole, en cette année d’élections européennes, d’une forme de fuite en avant au sommet de l’exécutif.

La nouvelle approche, prétendument plus assertive et durable de la politique commerciale, n’est qu’un leurre, car, dans les faits, la Commission européenne semble prête à faire plusieurs concessions, notamment dans le domaine agricole, pour aboutir à un accord.

Voilà, en somme, pourquoi l’accord avec le Mercosur n’est pas un simple accord de plus. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de voter cette proposition de résolution.

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