Intervention de Annie Le Houerou

Réunion du 24 janvier 2024 à 15h00
Décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Annie Le HouerouAnnie Le Houerou :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, dont notre collègue Rémi Féraud a pris l’initiative avec le soutien du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, vise à mettre en place dans l’ensemble des communes du territoire français un décompte des personnes sans abri, une fois par an et de nuit.

En ce début d’année 2024, la vague de grand froid a eu des conséquences mortelles pour les personnes sans abri, avec au moins quatre décès enregistrés. Ces tragédies ne sont pas des cas isolés. Le collectif Les Morts de la rue publiait en 2022 un rapport qui répertoriait au moins 624 décès de personnes sans abri ou résidant dans des structures d’hébergement temporaire.

Le sans-abrisme est une réalité déchirante et persistante, qui ne peut être ignorée. L’auteur de la proposition de loi chiffrait à 3 000 ces femmes, ces hommes et surtout ces enfants, souvent en bas âge.

Selon le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre, la France compte actuellement 330 000 personnes sans domicile, soit une augmentation de 130 % depuis 2012. La situation du logement est alarmante. Au total, 4, 15 millions de personnes sont considérées comme mal logées.

En 2018, la Ville de Paris avait pris l’initiative de lancer la première édition de la Nuit de la solidarité, suivant l’exemple d’autres capitales européennes telles que Madrid, Londres ou Bruxelles. L’objectif est de recenser, en parcourant la métropole, le nombre de personnes sans abri au cours d’une nuit donnée, sous la coordination des services municipaux, en lien avec la Dihal et de nombreuses associations. Cette opération mobilise plus de 2 000 bénévoles et travailleurs sociaux depuis six ans.

D’autres municipalités ont emboîté le pas. En 2023, vingt-sept villes du Grand Paris et quinze communes en région ont organisé leur nuit de la solidarité. Seize villes de plus de 100 000 habitants ont participé volontairement à l’événement.

À Paris, la Nuit de la solidarité 2024 se déroulera demain soir, dans la nuit du 25 au 26 janvier. L’année dernière, 3 000 personnes sans solution d’hébergement, dont 105 mineurs, ont été recensées à Paris, soit 417 sans-abri supplémentaires par rapport à 2022.

Bien que la politique d’hébergement relève de la compétence de l’État, je tiens à saluer l’action et le dévouement des communes, des élus locaux et des associations de solidarité et de leurs bénévoles.

J’attire l’attention sur la situation des femmes à la rue, particulièrement vulnérables et faisant face à de multiples dangers. Le Samu social de Paris pointe une augmentation de la proportion de femmes sans abri dans l’agglomération parisienne, passée de 2 % en 2012 à 10 % en 2022.

Ces chiffres doivent être interprétés avec prudence, car les femmes sans domicile fixe se réfugient dans des endroits où elles se sentent plus en sécurité, notamment les parkings.

Il ne faut pas négliger les communes plus petites, car le sans-abrisme s’étend aussi en milieu rural. La généralisation de ce recensement à l’échelle de toutes ces collectivités permettrait une meilleure compréhension de l’exclusion et une appréhension plus précise du sans-abrisme, y compris en milieu rural.

Invisibilisées, les personnes sans domicile fixe dorment souvent dans des voitures, dans des garages ou dans des lieux abandonnés. Dans les territoires ruraux, les structures d’accueil et d’hébergement manquent.

La lutte contre le sans-abrisme ne se limite pas à la question du logement. Les causes qui conduisent à devenir sans domicile ou sans abri sont entremêlées : difficultés d’emploi, ruptures familiales et problèmes de santé. Un accident de la vie peut conduire à l’isolement et à la marginalisation.

Le risque de se retrouver à la rue n’est pas le même pour tous. Permettez-moi de rappeler ces chiffres : 23 % des sans domicile fixe de 18 à 25 ans sont des anciens de l’aide sociale à l’enfance. Quelque 86 % des sans domicile fixe ont vécu dans leur enfance au moins un événement douloureux lié à leur environnement familial.

Face à l’urgence de la situation, l’ancien ministre chargé du logement a proposé le recrutement de 500 personnes au Samu social, visant à soulager le 115, le numéro d’urgence pour les personnes sans abri.

Le 8 janvier 2024, le même ministre a annoncé le déblocage de 120 millions d’euros pour « renforcer le système d’hébergement d’urgence ». Ces annonces sont bienvenues, mais malheureusement insuffisantes. Elles ne traduisent aucune ambition à long terme pour lutter contre le fléau du mal-logement ou du non-logement. Nous devons élaborer une politique structurelle d’accompagnement des personnes qui subissent ces situations, en lien avec les associations.

Je tiens à saluer la rapporteure, notre collègue Laurence Rossignol, pour son travail et pour avoir fait évoluer ce texte dans le sens d’une plus grande souplesse dans l’application et de la recherche d’un consensus sénatorial. L’idée de rendre obligatoire pour les communes de plus de 100 000 habitants exclusivement le recensement annuel des personnes sans abri, sur le modèle de la Nuit de la solidarité, est judicieuse. Les communes rurales et de taille moyenne ne possèdent pas toujours les structures associatives ni les ressources humaines nécessaires pour réaliser cette opération.

En revanche, j’émets des réserves sur les amendements du Gouvernement, notamment ceux qui tendent à supprimer la collecte et la transmission annuelle de données imposées à toutes les communes, ainsi qu’à faire passer d’une fois par an à une fois tous les deux ans la fréquence du décompte dans les communes de plus de 100 000 habitants. Ces propositions altèrent la nature du texte initial et semblent traduire une sous-estimation de l’ampleur du phénomène ainsi que des mesures nécessaires pour lutter contre la précarité du logement.

Je remercie Rémi Féraud d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi. Il faut compter pour mieux connaître et pour mieux combattre la précarité, et ainsi éviter que les personnes vulnérables ne basculent dans la grande pauvreté, au risque de se retrouver à la rue.

Une fois le recensement effectué, il s’agira d’en tirer les conséquences en matière de prévention et d’offres d’accompagnement. Nous plaidons en faveur d’une réévaluation des minima sociaux en réponse à l’inflation, de l’extension du revenu de solidarité active (RSA) aux jeunes et d’une vraie politique de protection de l’enfance.

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