Intervention de Agnès EVREN

Réunion du 24 janvier 2024 à 15h00
Décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Agnès EVRENAgnès EVREN :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi a le mérite de traiter de la crise du logement, qui touche un nombre croissant de Français.

Les chiffres sont connus et ont été rappelés par Rémi Féraud et par Mme la rapporteure. La Fondation Abbé Pierre estime à 330 000 le nombre de personnes sans domicile fixe en France. Les sans-abri sont actuellement estimés à 40 000 sur l’ensemble du territoire, contre 27 000 en 2016. En 2022, 624 d’entre eux sont morts dans la rue en France et ce chiffre, déjà épouvantable, serait encore fortement sous-évalué.

Dans la seule ville de Paris, la dernière Nuit de la solidarité a permis de décompter 3 015 personnes sans solution d’hébergement, soit 400 de plus que l’année précédente. Parmi elles, 77 % n’appelaient même plus le 115. Ce numéro reçoit entre 5 000 et 15 000 appels par jour, mais ne peut répondre qu’à un quart d’entre eux, faute de solution à proposer.

L’hébergement d’urgence est une compétence de l’État. Cette politique est à un tel point de saturation que des écoutants du 115 orientent désormais, en plein froid polaire, des femmes vers des squats ; de plus, l’État a fixé de façon inédite des critères de priorité aberrants pour l’accès à l’hébergement d’urgence.

Cette concurrence entre les publics vulnérables est insupportable. Les femmes en sont les premières victimes. Une femme à la rue est violée toutes les vingt-quatre heures ! Environ 90 % de ce public subit des violences. Est-il normal de considérer une femme enceinte, si elle n’est pas à neuf mois de grossesse, ou un bébé de 4 mois comme non prioritaires, et ainsi de laisser cet enfant dormir dehors ? Combien de ces femmes enceintes perdent leur bébé ou accouchent à la rue ? C’est une violence insupportable.

L’État – hélas ! – s’est montré incapable sur le long terme de traiter les causes profondes de ces situations d’exclusion extrêmes, causes que nous connaissons et qui sont accentuées par la précarisation énergétique et par la flambée des prix alimentaires. Elles se fondent sur la paupérisation d’une partie des ménages modestes, qui peuvent finir par se retrouver à la rue, et sur l’occupation de places d’hébergement d’urgence par des personnes qui pourraient prétendre à d’autres formes de logement, notamment social. Las, le Samu social gère la pénurie.

L’augmentation du nombre de sans-abri est donc révélatrice d’un échec plus large de notre politique du logement. Nos concitoyens sont de plus en plus nombreux à subir le mal-logement, confrontés à la hausse des prix des habitations et des loyers. Cette dernière, faut-il le répéter, est particulièrement catastrophique à Paris !

Dans ce contexte, la lutte contre le sans-abrisme doit certes passer par l’ouverture de places d’hébergement d’urgence supplémentaires, en premier lieu pour les femmes seules, et par la mise en place de mesures de protection renforcées, pour assurer leur sécurité et celle des autres publics très vulnérables, mais elle doit s’inscrire aussi dans un combat plus large contre toutes les formes de mal-logement.

Il est vrai que cette proposition de loi permettra de dresser des états des lieux précis dans tous les territoires. Pourtant, nous n’avons pas besoin d’attendre les résultats des décomptes et encore moins la remise d’un rapport pour savoir quelles sont les zones tendues.

Paris en est une. Plus que de nouveaux chiffres, la capitale a surtout besoin d’un changement profond du fonctionnement de ces dispositifs. À défaut, elle court vers une paupérisation continue de sa population à laquelle nous assistons déjà, la voyant peu à peu devenir la ville des très aidés et des très aisés.

Au-delà de la hausse du nombre d’hébergements d’urgence, qui ne peut être qu’une solution de première nécessité, il faut fixer à nos politiques publiques un cap. Nous devons viser collectivement un dessein plus ambitieux : donner à chacun la possibilité d’accéder à son propre logement, notamment à la location, et réinsérer activement les personnes en situation de grande exclusion. Cet objectif vaut pour Paris et tout autant pour l’ensemble des villes de France.

Aussi, je pose la question suivante : quelle sera la portée concrète de ce texte alors que la mise en œuvre des solutions proposées est subordonnée, comme l’a indiqué le ministre, à la remise d’un rapport par le Gouvernement ? Par l’examen des amendements, nous chercherons à améliorer la portée et l’efficacité réelle de ce texte.

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