Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 1er décembre dernier, je présentais devant l’hémicycle le rapport pour avis de la commission des affaires sociales sur le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ». Les auditions ayant permis d’établir ce texte avaient été édifiantes et sans appel.
La situation décrite est dramatique et s’aggrave, ce que chacun de nous peut constater puisque, sous nos yeux, chaque jour, partout en France, des hommes, des femmes et des enfants passent la nuit dans la rue.
Nous étudions aujourd’hui une proposition de loi qui vise à faire établir un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune, rendant possible la remise d’un rapport au Parlement afin d’évaluer et de planifier les politiques de prévention et de lutte contre le phénomène.
Un dispositif appelé Nuit de la solidarité a été mis en place durant la nuit du 26 au 27 janvier 2023 dans 42 communes. Le principe est que les participants, professionnels et bénévoles, posent cette nuit-là leur regard sur ces ombres de la rue. Ils vont au-devant d’elles afin de les recenser, de comprendre leur parcours autant que faire se peut et de les rendre visibles pour tous, en particulier pour les décideurs des politiques publiques.
Évidemment, les associations et les travailleurs sociaux font au quotidien cette démarche empreinte d’une grande humanité. Je salue à cette occasion leur travail, car ces acteurs dressent déjà un tableau assez précis des sans-abri. Ils établissent des profils psychologiques et décrivent un public qui évolue, de plus en plus fragile et précaire, parfois sans situation administrative, comprenant de plus en plus de personnes âgées et, ce qui est le plus terrible, de familles, notamment avec enfants.
La Croix-Rouge, premier opérateur de maraudes professionnelles et bénévoles dans 85 départements, indiquait en fin d’année avoir comptabilisé jusqu’à 6 200 demandes non pourvues ; de nombreux enfants sont concernés. Ces chiffres sont établis en lien avec le 115. Toutefois, ils ne comprennent pas toutes les personnes qui, sachant les places d’hébergement embolisées et se trouvant certaines d’essuyer un refus, faute de moyens de communication parfois, ne font pas ou plus appel au 115. Environ 87 % des personnes rencontrées par ces maraudes déclaraient ne pas avoir appelé. Face à l’énorme taux de non-recours, nous ne voyons qu’une partie de l’effrayante réalité !
En conséquence, le principe d’une forme de recensement systématique annuel présente un intérêt certain. Pour cette raison, le groupe Union Centriste soutiendra cette proposition de loi à la condition qu’elle n’induise pas une charge de travail supplémentaire pour les plus petites communes, dépourvues de services et disposant de peu de ressources humaines pour mener à bien une opération du type Nuit de la solidarité.
De fait, une seconde raison explique pourquoi le groupe Union Centriste votera ce texte. Si Bercy ne comprend que les chiffres, alors produisons des chiffres ! Hélas ! les centaines et les milliers d’enfants qui ont fait leur rentrée scolaire dans la rue ne sont pas des statistiques. Ils ne pèsent pas lourd, les pauvres !
Avec ou sans chiffres, que ces derniers soient exacts ou sous-estimés, personne ne peut prétexter que nous ne connaissons pas la situation. Tout le monde la connaît ! Nous ne devrions pas avoir besoin d’aller compter ces malheureux pour obtenir les moyens nécessaires à leur mise à l’abri.
Actuellement, l’écart est tel entre l’offre d’hébergement d’urgence et les besoins que des systèmes de priorisation, qui sont en fait du tri, se mettent en place. Il a été porté à notre connaissance le cas d’une ville, dont je tairai le nom, où il n’y a de places que pour les femmes battues ayant porté plainte et menacées de mort. Tous les autres demandeurs sont refoulés. Là aussi, personne ne l’ignore.
À ce stade, je souhaite faire mention des travaux en cours menés par la délégation aux droits des femmes sur le sujet spécifique du sans-abrisme chez ces dernières. Ils seront une contribution précieuse afin de cerner un phénomène social en pleine évolution et qu’il est essentiel de comprendre.
Comme nous le savons, le secteur du logement subit une crise majeure. Ceux qui voudraient accéder à la propriété, faute de pouvoir le faire, embolisent le secteur locatif. Ceux qui sont dans l’hébergement d’urgence, même lorsqu’ils travaillent, ne peuvent pas accéder à un logement social et restent bloqués, parfois des années, dans ce qui devrait être une solution transitoire. Ceux qui sont dans la rue y restent, faute de place, s’enracinant dans la pauvreté.
Cette crise est l’une des raisons – il en existe d’autres – pour lesquelles de plus en plus de personnes se trouvent dehors. Certes, il faut comprendre et analyser, mais il faut surtout faire vite et se donner les moyens. Pourtant, la volonté politique n’est pas là. Des places supplémentaires d’hébergement d’urgence ont été ouvertes, mais pas à la hauteur des enjeux. Force est de constater que l’État n’est pas au rendez-vous.
Pour cette raison, le Sénat a refusé de voter, au mois de décembre 2023, les crédits pour l’année 2024 du programme 177 manifestement insincères et d’une criante insuffisance. Faire reposer la prise en charge de cette catégorie de la population sur un tissu associatif au bout de ses capacités n’est pas raisonnable. Les associations sont le dernier filet de sécurité face au sans-abrisme, mais il est en train de se défaire. Quand il aura craqué, que se passera-t-il ?
Il n’est plus possible de renvoyer la balle aux communes qui la renvoient elles-mêmes à l’État, ce n’est tout simplement pas humain ! J’en veux pour preuve un nouveau témoignage, recueilli hier. Des personnes tentant de venir en aide à une jeune femme dans la rue, tout près d’ici, ont appelé les services de la mairie de Paris. Il leur a été répondu que, pour des raisons de compétence, il fallait s’adresser au Gouvernement. Finalement, il valait donc mieux voir avec… personne ! C’est indigne !
Je tiens à évoquer également ici les souffrances des travailleurs sociaux qui prennent les appels et qui n’ont que des refus à opposer.
Je vote alors pour que nous ayons en main un rapport chiffré à agiter comme un chiffon rouge ! Je vote pour que nous travaillions enfin à la prévention ! Je vote pour que nous arrêtions de faire semblant !