Intervention de Antoine Magnier

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 17 janvier 2024 à 14h00
Rapport relatif à l'évaluation de l'efficacité des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations ou de contributions de sécurité sociale prévue par la loi organique n° 2022-354 du 14 mars 2022 relative aux lois de financement de la sécurité sociale — Audition de Mme Laurence Eslous et M. Antoine Magnier inspecteurs généraux des affaires sociales

Antoine Magnier, inspecteur général des affaires sociales :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, vous nous invitez à présenter brièvement les principaux points de notre rapport. Je souhaite tout d'abord rappeler les attendus de notre lettre de mission.

Notre mission visait à proposer au Gouvernement une méthodologie pour répondre au mieux aux exigences de la loi organique en matière d'évaluation des dispositifs de réduction des prestations sociales, patronales et autres recettes allouées à la sécurité sociale. Trois choses nous ont essentiellement été demandées.

Il s'agissait en premier lieu de réfléchir au périmètre des mesures destinées à être soumises à cette obligation organique. Nous proposons un cadre d'identification de près de 150 mesures pouvant être concernées. Nous recommandons également que la délimitation du périmètre fasse l'objet d'un échange avec les parlementaires.

Il nous était ensuite demandé de proposer une méthode d'évaluation des dispositifs. Il convient de répondre aux exigences de la loi organique, mais aussi aux attentes des parlementaires. Dans la mesure du possible, la méthode devait retenir des critères applicables à l'ensemble des mesures et l'évaluation devait pouvoir être faite annuellement - au moins pour une partie des mesures. Nous avons été invités à nous inspirer d'une précédente mission de l'Igas et de l'IGF.

Enfin, notre mission consistait à mettre en oeuvre cette grille d'analyse transversale et à identifier les mesures qui, à notre sens, auraient mérité des évaluations plus approfondies. Il nous revenait ensuite de proposer les modalités de ces analyses.

Nous avons abordé la mission avec une certaine perplexité. En effet, il nous est rapidement apparu que les nouvelles exigences de la loi étaient extrêmement ambitieuses. Les parlementaires semblent imposer une mesure de l'évaluation de l'efficacité, mais aussi de l'efficience des mesures, c'est-à-dire de l'efficacité rapportée au coût de mise en oeuvre pour les finances publiques. La conduite rigoureuse de tels travaux suppose d'employer des techniques et statistiques économétriques extrêmement sophistiquées. Or, trop peu d'experts sont capables de recourir à ces techniques. Ces travaux impliquent également de disposer de données détaillées et d'un délai suffisant.

Nous avons tout d'abord tenté de tirer les enseignements des pratiques d'évaluation des politiques publiques - en France et à l'étranger - en vue d'émettre des propositions d'organisation à même de répondre aux exigences d'évaluation. Ces considérations méthodologiques sont présentées dans l'annexe 1 et dans la première partie de notre rapport.

Une idée fait consensus au sein de notre mission : les évaluations d'impact doivent sensiblement se développer. La démarche est néanmoins exigeante. Faute de données ou de temps, ces travaux ne peuvent pas toujours être réalisés. En outre, les résultats restent souvent entourés d'une marge d'incertitude.

Dans ce contexte, nous avons envisagé d'autres types d'évaluation, d'une nature micro-économique, structurelle ou qualitative. Nous projetons des démarches ambitieuses, mais également d'autres, plus modestes, dans l'attente des résultats des travaux approfondis.

Nous retenons plusieurs grands principes. Eu égard aux moyens requis pour les évaluations d'impact causal, il convient de proportionner les travaux au regard des enjeux. Nous ne pourrions pas évaluer dans le temps imparti toutes les mesures avec les mêmes exigences. Il nous apparaît également nécessaire d'envisager la mobilisation d'autres acteurs tels que l'Insee, les services statistiques ministériels, les administrations spécialisées dans l'analyse et l'étude des politiques publiques ou encore les chercheurs de la sphère académique. Enfin, il nous semble souhaitable de mener ces travaux avec un grand degré de transparence et de rendre publics les travaux réalisés, dans des délais utiles - au Parlement, notamment.

Nous proposons une grille d'analyse transversale des mesures, élaborée avec le souci de fournir un ensemble d'informations sur les caractéristiques clés ainsi que des éléments d'appréciation objectifs. L'objectif est d'améliorer l'information du Parlement, d'aider à structurer les futures analyses et d'orienter un prochain programme d'évaluation. Nous avons construit cette grille avec le concours de la direction de la sécurité sociale, en nous inspirant des travaux des précédentes missions. La grille se fonde sur 26 caractéristiques, dont 13 caractéristiques descriptives - essentiellement de nature juridique -, 8 caractéristiques quantitatives et 5 caractéristiques destinées à orienter le futur programme d'évaluation.

La grille a été complétée par la direction de la sécurité sociale et a été rendue publique lors de la publication des documents annexés au projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale de 2022.

Nous suggérons de retenir une stratégie d'amélioration du remplissage de la grille. Si les administrations sont d'ores et déjà en mesure de fournir les caractéristiques descriptives, nous avons observé que les caractéristiques quantitatives n'étaient renseignées que pour moitié environ. À quelques exceptions près, nous envisageons que la grille d'analyse puisse être complétée dans sa totalité à horizon mi-2025, dans le cadre de la production de l'annexe du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale relatif à l'année 2024.

Nous avons procédé au recensement des travaux d'évaluation de l'ensemble des mesures. Nous retenons près de 70 études portant sur les dispositifs dits « d'allègements généraux » ainsi qu'une centaine d'études sur les autres mesures. En réalité, une faible part des mesures concernées ont fait l'objet d'une évaluation.

Ces travaux nous conduisent à émettre des propositions d'organisation. Nous suggérons qu'un programme d'évaluation triennal soit mis en oeuvre, distinguant des travaux approfondis et des travaux plus légers.

Les travaux approfondis nécessiteront la mobilisation de moyens conséquents (administrations compétentes, chercheurs de la sphère académique, etc.). Nous envisageons qu'une vingtaine d'évaluations approfondies puissent être conduites. Le bon sens suggère d'évaluer de manière commune les mesures intriquées entre elles. Il serait souhaitable que certains travaux s'appuient sur des comités partenariaux impliquant l'ensemble des acteurs concernés, sur le modèle de ce qui avait été fait pour l'évaluation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) entre 2013 et 2017. Les mesures d'allègements généraux, celles concernant les heures supplémentaires et celles portant sur le partage de la valeur ajoutée pourraient s'appuyer sur de tels comités.

En parallèle, des évaluations plus légères seront à envisager pour les autres mesures.

Enfin, nous recommandons la mise en place d'une gouvernance associant l'ensemble des administrations devant être mobilisées dans le cadre des évaluations. Cette instance pourrait être présidée par une personnalité qualifiée.

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