Intervention de Jocelyne Guidez

Réunion du 25 janvier 2024 à 10h30
Dépistage des troubles du neurodéveloppement — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jocelyne GuidezJocelyne Guidez :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à vous faire part de ma satisfaction de voir cette proposition de loi inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée dans le cadre du temps réservé du groupe Union Centriste.

Avant toute chose, je veux remercier vivement mes collègues, de toutes sensibilités politiques, pour leur soutien et leur confiance.

Je tiens aussi à saluer l’engagement d’Annick Jacquemet, rapporteure de la première proposition de loi que j’ai déposée dans ce domaine, le 25 octobre 2021, ainsi que celui d’Anne-Sophie Romagny, rapporteure du présent texte. Elles ont su s’emparer du sujet et en comprendre les enjeux.

Mes remerciements les plus sincères s’adressent également à mes collègues Laurent Burgoa et Corinne Féret, avec qui j’ai eu l’honneur de travailler pendant plusieurs mois sur le rapport d’information intitulé Prise en charge des troubles du neuro-développement : le compte n ’ y est pas. Les victoires sont belles uniquement si elles sont partagées.

Nous avons donc le plaisir d’examiner aujourd’hui les dispositions d’un texte dont l’intitulé a été amélioré grâce à un amendement de la rapporteure : la notion de « repérage » est en effet préférable à celle de « dépistage ».

Cette initiative parlementaire s’inscrit dans la continuité de ma première proposition de loi et de la mission d’information qui nous a été confiée par la commission des affaires sociales sur les troubles du neurodéveloppement (TND).

À titre personnel, je connais bien le quotidien des enfants concernés, puisque mon petit-fils, qui vient de fêter ses 6 ans, présente un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) haut potentiel et bénéficie d’un suivi pluridisciplinaire hebdomadaire depuis ses 3 ans.

C’est pourquoi j’ai décidé, dès 2021, d’aller plus loin en multipliant les rencontres sur le terrain, auprès des familles, du corps éducatif et du tissu associatif et médico-social.

Je suis heureuse qu’une partie des conclusions de notre rapport d’information aient été reprises par le Gouvernement dans la stratégie nationale 2023-2027 pour les troubles du neurodéveloppement : autisme, dys, TDAH, troubles du développement intellectuel (TDI). Les objectifs de cette nouvelle stratégie me semblent ambitieux. C’est pourquoi j’espère sincèrement qu’ils s’accompagneront de mesures concrètes.

Depuis près de vingt ans, l’action publique a concentré ses efforts sur les troubles du spectre de l’autisme (TSA), et je suis parfaitement consciente de l’ampleur du travail qu’il reste à réaliser. Le passage d’une stratégie pour l’autisme à une stratégie étendue à l’ensemble des TND était néanmoins indispensable.

Je suis satisfaite que le Gouvernement ait pris l’initiative, depuis 2017, de définir de nouvelles priorités pour répondre à l’ensemble des besoins des enfants, des adultes et de leurs familles ; je salue aussi la prise en charge plus spécifique, depuis peu, des personnes souffrant de TDAH.

Les principaux facteurs de risque sont l’existence de TND dans la famille, d’une part, et la prématurité, d’autre part. Or le nombre de bébés nés prématurément augmente depuis plusieurs années. Tous les nouveau-nés vulnérables ne font pourtant pas l’objet d’un suivi spécifique. Selon les études internationales, un enfant sur six présente des TND ; cela représente 18 % des naissances annuelles.

Si l’on transpose ces chiffres à la situation démographique française, on estime que les TDAH concernent 5 % des enfants et 2, 5 % des adultes, les troubles dys 5 % à 17 % des enfants en âge scolaire et les TSA 1 % de la population. Mais les données récentes laissent penser que ce taux est plus proche de 2 % des naissances. Sans doute ces évolutions sont-elles dues non seulement à la redéfinition de certains troubles, mais aussi aux efforts accomplis pour en améliorer le repérage.

Face à ce constat alarmant, il est plus que nécessaire de s’interroger sur la manière de garantir l’accès à une scolarisation en milieu ordinaire à tous ces élèves, qui méritent un suivi spécifique, adapté et concret. Trop souvent, l’enjeu central pointé par les différents acteurs est celui du décalage entre les objectifs et la réalité vécue.

Lors d’une visite faisant suite à une interpellation par un maire de mon département, j’ai été sidérée de constater les difficultés rencontrées par une enseignante non spécialisée dans l’autisme et une accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH) dans une classe qui accueillait une dizaine d’enfants présentant un TSA.

Ces élèves ne parlaient pas. Ils criaient, sautaient d’un canapé à l’autre, tiraient les cheveux de l’enseignante et lui donnaient des coups de pied. Bref, elle vivait au quotidien une situation pour le moins difficile. Elle était d’une patience extraordinaire, mais nous a avoué que, si elle aimait énormément ces enfants, elle était néanmoins épuisée face à la complexité d’une telle situation. À mon sens, on ne peut pas parler ici d’inclusion.

Alors que ce terme est sans cesse mis en avant, mes observations de terrain démontrent malheureusement que l’on se retrouve complètement hors de la réalité par manque de moyens humains d’accompagnement.

Faute de places disponibles en institut médico-éducatif (IME), on rend tout le monde malheureux : le corps enseignant, qui se sent impuissant devant la situation actuelle, et les parents, à qui on a donné trop d’espoir. L’inclusion, oui ! Mais donnons-nous les moyens financiers et humains d’offrir un accompagnement de qualité à ces enfants !

« Le handicap n’est pas dans la personne, mais dans l’environnement qui ne sait pas l’accueillir », disait Albert Jacquard.

Les insuffisances d’un système jusqu’ici défaillant, notamment en ce qui concerne le passage d’une unité d’enseignement en maternelle autisme (UEMA) à une unité d’enseignement élémentaire autisme (UEEA), m’ont motivée à rédiger l’article 1er.

Cela entraîne une rupture dans le suivi de ces enfants entre l’école maternelle et l’école élémentaire. Là aussi, par mon expérience, j’ai pu constater le désarroi des enseignants, du corps médical et des parents quand on leur annonce qu’il n’y a pas de place pour cet enfant en école élémentaire et qu’il doit retourner chez lui alors qu’il a fait tant de progrès pendant son cursus en maternelle. D’où mon combat pour la mesure inscrite à l’article 1er.

Compte tenu de la progression constante du nombre d’enfants souffrant de handicap (ESH) scolarisés – il est passé de 134 000 à 430 000 enfants entre 2004 et 2022 –, force est de constater que les efforts sont largement insuffisants. Cette forte progression ne doit pas masquer l’hétérogénéité des situations, le manque de fluidité des parcours entre écoles maternelle et élémentaire, puis entre le primaire et le secondaire, ni le nombre considérable d’enfants dont la scolarisation est loin d’être effective, leur accès à l’école se limitant à quelques heures de cours par semaine.

La nouvelle stratégie nationale pour les TND ne demeure pas muette sur la scolarisation de ces enfants, mais les dispositifs supplémentaires annoncés sont loin de répondre à leurs besoins. Il est urgent d’avancer sur ce sujet.

Dans cette perspective, la rapporteure propose la création d’au moins un dispositif dédié à la scolarisation en milieu ordinaire des élèves présentant un TND, avec l’appui de professionnels du secteur médico-social, dans chaque circonscription académique métropolitaine et académie d’outre-mer, et ce au plus tard le 1er septembre 2027. Je ne puis que partager cette suggestion, qui a pour objectif d’accompagner, d’anticiper et d’agir en amont, même si je suis favorable à ce qu’on aille encore plus loin !

Aussi, le Gouvernement prévoit l’extension du champ d’intervention des dispositifs d’autorégulation (DAR) aux élèves présentant un trouble spécifique du langage et des apprentissages (TSLA) ou un TDAH, ainsi que la priorité qui semble être donnée à l’ouverture de dispositifs à l’école élémentaire et dans l’enseignement secondaire pour assurer la continuité pédagogique. Sur ce sujet, nous ne pouvons que soutenir le Gouvernement et l’inciter à faire davantage en créant des unités d’enseignement secondaire autisme (UESA).

En outre, un travail structurel doit être mené afin d’améliorer la procédure administrative permettant d’obtenir, auprès des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), la notification des mesures d’inclusion scolaire. Il s’agit d’un parcours du combattant pour les familles concernées !

Pour lever ces difficultés, l’article 4 fluidifie les procédures applicables en inscrivant dans la loi la bonne pratique, déjà appliquée par certaines MDPH, de notifier les mesures d’inclusion scolaire pour la durée d’un cycle pédagogique, soit trois ans.

L’idée est simple : éviter d’avoir à remplir les formulaires de renouvellement de droits, ou encore de multiplier les bilans et les tests auprès de professionnels de santé pour lesquels il existe, sur de nombreux territoires, des files d’attente de plusieurs mois.

Elle est pertinente, puisque le renouvellement trop fréquent des dossiers MDPH contribue à emboliser l’accès aux soins pour les enfants en attente de diagnostic.

Je remercie la rapporteure d’avoir secondé ma préoccupation en déposant un amendement tendant à améliorer l’articulation entre les acteurs du diagnostic et les MDPH, en prévoyant que les premiers seront informés des délais de traitement des seconds. L’objectif est d’éviter la situation dans laquelle la programmation des examens de diagnostic conduits par le corps médical dépasse très souvent le délai, d’un mois, de traitement du dossier par la MDPH, ce qui fait perdre aux enfants un an, voire deux ans de mesures d’accompagnement.

Il est aussi temps de mieux former des équipes pédagogiques à l’échelle nationale. C’est l’objet de l’article 2, qui prévoit également le contrôle de la qualité des contenus de leurs formations.

En outre, il faut sensibiliser les professionnels de santé, afin de les inciter à suivre les formations qui sont à leur disposition.

Enfin, je tiens à souligner qu’il n’existe pas aujourd’hui d’ateliers de formation et de sensibilisation destinés aux parents d’un enfant présentant un TDAH. Ces parents en font pourtant la demande, parce qu’ils se trouvent souvent démunis face aux comportements de leur enfant.

J’en viens au repérage précoce des TND. Il est proposé à l’article 6 d’instaurer deux examens médicaux obligatoires de repérage, l’un à 18 mois et l’autre à 6 ans. Ces examens seraient intégralement pris en charge par la sécurité sociale.

Je souhaite enfin attirer votre attention sur le répit des proches aidants, travail que je mène depuis six ans, et la situation des adultes.

Je soutiens la pérennisation immédiate de l’expérimentation du relayage, prévue à l’article 7. Je défends cette idée depuis le mois de septembre dernier. Néanmoins, je déplore que la prise en charge des adultes présentant des TND n’avance que très lentement. Je souhaite que nos débats n’excluent pas cette question extrêmement importante.

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quelle que soit notre place dans l’hémicycle, quelles que soient nos convictions politiques, nous sommes tous sensibles au sujet du handicap.

Madame la ministre, la prévention a un coût, mais ne pas en faire a un coût aussi : un coût humain, car enfants, parents et enseignants sont fragilisés ; un coût politique, celui qui est lié à la lutte contre le décrochage ; un coût social, celui qui est lié à l’addiction, à la délinquance et au suicide. Il est donc tout à fait judicieux d’investir aujourd’hui pour que toute la société soit renforcée demain.

Comme l’écrivait Albert Jacquard, auteur d’Éloge de la différence : « Notre richesse collective est faite de notre diversité. “L’autre”, individu ou société, nous est précieux dans la mesure où il nous est dissemblable. »

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