Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « un État démocratique doit s’opposer à la barbarie du terrorisme en évitant d’affaiblir l’État de droit et le respect des droits de l’homme. Ne pas réussir à trouver cet équilibre serait une victoire pour les terroristes », disait Nils Muižnieks, ancien commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
M. le garde des sceaux le rappelait la semaine dernière dans cet hémicycle : l’État de droit n’est pas un obstacle à la lutte contre le terrorisme. Bien au contraire, il en est l’instrument.
Le président de notre commission des lois, François-Noël Buffet, soulignait quant à lui que l’équilibre des lois de lutte contre le terrorisme est un enjeu clé de notre société. Nous devons bel et bien suivre une ligne de crête entre la proportionnalité des mesures et l’efficacité de la lutte antiterroriste, alors que la menace terroriste, dont nul ne nie l’existence, est à la fois forte et protéiforme.
Suivi et surveillance judiciaire aux critères de prononcé plus souples, nouveau régime de rétention de sûreté réservé aux condamnés terroristes encore engagés dans une idéologie radicale, extension des possibilités de placement sous contrôle judiciaire pour les mineurs en centre éducatif fermé, ou encore introduction d’un nouveau délit de recel d’apologie de terrorisme, toutes ces mesures le démontrent : sous prétexte d’une efficacité par ailleurs non démontrée, notre assemblée a rompu avec cet équilibre.
L’utilité, la constitutionnalité de ce texte, la proportionnalité, l’opérationnalité des mesures et tout simplement leur efficacité ne nous paraissent pas au rendez-vous.
Je le répète, nous faisons nôtres les principaux constats dressés par les auteurs de cette proposition de loi, ainsi que par M. le rapporteur, qu’il s’agisse des difficultés de prise en charge, y compris psychologique et psychiatrique, des condamnés terroristes à l’issue de leur peine, de l’imprévisibilité croissante des attaques terroristes, souvent perpétrées par des loups solitaires, ou encore de la radicalisation toujours plus forte des mineurs. Mais – c’est là où le bât blesse – aucune des mesures du présent texte ne permet de répondre à ces problématiques.
La prise en charge et le suivi, notamment psychiatriques, des condamnés terroristes après leurs peines ne peut être menée au prix de la suppression des garanties des justiciables.
On ne peut juguler l’autoradicalisation sans comprendre et prendre en charge l’isolement social et les pathologies parfois psychiatriques des individus.
On ne peut envisager la radicalisation des mineurs sous le seul biais de la surveillance, sans se préoccuper de l’accompagnement nécessaire de ces populations parfois fragiles.
M. Darmanin l’a rappelé : la moitié des personnes impliquées dans un projet d’attentat depuis 2021 avaient moins de 20 ans, étaient isolées socialement et très connectées virtuellement, et 30 % d’entre elles étaient instables d’un point de vue psychiatrique. Attaquons-nous à cette réalité ! Les élus de notre groupe se désolent que rien, dans le présent texte, n’aille en ce sens.
Au lieu de renforcer la prévention et l’accompagnement de la radicalisation pour les mineurs, l’on durcit la procédure pénale à leur encontre.
Dans une étude datant de 2018, l’Institut français des relations internationales (Ifri) démontrait que la majorité des actes terroristes étaient perpétrés par des personnes sans antécédent judiciaire. La pauvreté et l’isolement social sont également des facteurs propices à la radicalisation ; mais, sur ces sujets, le présent texte reste également muet.
Cette proposition de loi n’est donc pas équilibrée ; surtout, elle n’a pas évité l’écueil d’une justice prédictive.
Les contorsions auxquelles ce sujet donne lieu n’ont de cesse de nous étonner : les termes « lorsque son comportement manifeste qu’il ne respecte pas les principes de la République » nous paraissent à la fois bien fragiles et bien flous. Nous sommes bel et bien face à un risque d’arbitraire.
Cette rédaction se fonde sur la notion de « dangerosité », figurant dans la loi du 10 août 2020 instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine.
Or, à ce titre, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) avait pris soin de formuler une mise en garde : « La commission rappelle que le système judiciaire français se fonde sur un fait prouvé et non sur la prédiction aléatoire d’un comportement futur. Elle s’inquiète donc de l’instauration de mesures restrictives de liberté reposant sur un fondement aussi incertain, source inévitable d’arbitraire. »
Nous regrettons, tout comme M. le ministre de l’intérieur – ce n’est pas courant ! –, l’affichage de la peine complémentaire d’inscription au fichier des personnes recherchées des personnes interdites de transports en commun. Je parle bien d’affichage, car les personnels des transports n’ont pas accès à ce fichier. M. le ministre a d’ailleurs rappelé que certains d’entre eux y figuraient.
De même, le présent texte ne renforce en rien la coopération européenne ou internationale pour ce qui concerne le financement du terrorisme ou la lutte contre le rôle plus que trouble de certains pays disposant d’une puissance régionale.
Nous continuons de dénoncer les manques de moyens humains dédiés au suivi psychiatrique en prison, aux acteurs de la réinsertion, au temps d’enquête, nécessairement long, mis à mal par la politique du chiffre imposée aux policiers, ou encore à la gestion des signalements sur la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos).
Cerise sur le gâteau – passez-moi l’expression –, le présent texte a repris un certain nombre de mesures du projet de loi relatif à l’immigration avant même la décision du Conseil constitutionnel, qui, depuis lors, les a déclarées contraires à la Constitution.
Les articles 9 et 10 contiennent en effet des mesures de la loi récemment censurée.