Cinq ans après le rapport Libault, qui anticipait le besoin de 6 milliards d'euros supplémentaires en 2024 – soit aujourd'hui – pour accompagner la transition démographique, plus de six ans après que le Gouvernement a promis une loi Autonomie et alors que, depuis 2012, le ratio de huit professionnels pour dix résidents a fait l'objet d'un engagement gouvernemental, nous débattons d'une proposition de loi du parti gouvernemental, sans étude d'impact ni concertation.
Certes, comme lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous soutenons des mesures positives, mais celles-ci sont isolées, hétéroclites et dépourvues de portée systémique, alors que l'enjeu nécessiterait de les inscrire dans une grande loi de programmation à long terme. Malgré une nouvelle promesse pour la fin 2024, un tel texte a fait l'objet d'un nouveau report dilatoire, alors qu'il serait seul à même de répondre à l'urgence de secteurs médico-sociaux sinistrés, financièrement comme en matière d'attractivité.
Aussi les mesures positives qui préfigurent les nécessaires changements de modèles ne permettent-elles pas d'assurer la cohérence de l'action publique.
Il en va ainsi de l'expérimentation des dotations forfaitaires pour les services autonomie à domicile (SAD), qui amorce un changement de modèle et qui devrait faire l'objet d'une réforme pérenne déployée sur le même calendrier que la réforme des services autonomie aide et soins – nous défendrons un amendement en ce sens.
Il en va également ainsi du financement par le forfait soins des actions de prévention, sans inscription pertinente dans les orientations nationales de prévention à définir par la loi.
Il en va encore ainsi de l'information et de l'accord préalable aux prises de contrôle des établissements et services autorisés, avancées timides au regard de l'exigence de transparence financière de groupes internationaux privés à but lucratif.
Enfin, la loi de programmation pluriannuelle devrait inclure le champ du handicap en cohérence avec la cinquième branche autonomie, dans ses dimensions stratégiques, financières et de gouvernance.
En cela, cette proposition de loi relève d'une démarche dilatoire, alors que tous les acteurs exigent la mise en œuvre immédiate d'une véritable stratégie nationale de pilotage des politiques publiques de l'autonomie à laquelle seraient consacrés les moyens nécessaires, pour que la transition démographique ne se transforme pas en choc, à force d'avoir vu sa prise en compte différée.
Sans périmètre cohérent, cette proposition de loi courait le risque de faire l'objet de nombreux amendements, dans la vaine tentative de combler les trous dans la raquette. Aussi a-t-elle grossi, puis maigri, et va-t-elle certainement de nouveau grossir, sans contenter, par construction, les acteurs et les personnes concernées.
D'ici à la loi de programmation promise, des structures fermeront ou tourneront à bas régime, l'effectivité des plans d'aide chutera encore, les professionnels fuiront ou souffriront, l'exaspération ira grandissant.
Selon l'Union nationale de l'aide, des soins et des services aux domiciles (UNA), plus de 90 % des structures ont ouvert des postes en 2019, dont 22 % n'ont pas été pourvus, et deux tiers des structures comptent des postes vacants depuis des années, ce qui contribue à une dégradation des conditions de travail, à une maltraitance institutionnelle, à une souffrance au travail devant la qualité empêchée et à une amplification de la crise d'attractivité.
Enfin, des mesures paraissent symboliques, comme la carte professionnelle, qui est déjà une réalité dans beaucoup d'organismes et à laquelle aucun droit n'est associé.
Aussi, le salutaire rappel des principes du droit de visite – qui est plutôt un droit de recevoir – et de la liberté d'aller et venir participe-t-il d'un changement de regard contre l'institutionnalisation et en faveur du principe d'autonomie.
Un véritable changement de regard est-il toutefois possible dans une société qui juge et hiérarchise, y compris la protection sociale et les prestations de solidarité, à l'aune de la contribution des personnes à l'activité productive ?
Ainsi, comme le souligne la chercheuse Charlotte Puiseux, un système fondé sur « la compétitivité, l'endurance à l'effort de production […] exclut d'emblée les corps handicapés de ce qui est valorisé et valorisable ». Il interdit toute déconstruction des normes induites par le productivisme, comme la valorisation des activités solidaires sur les temps hors travail. Il explique la difficulté à changer radicalement le regard sur les personnes âgées ou en situation de handicap.
Les écologistes portent un projet de reconfiguration des normes sociales et productives, où le concept d'autonomie peut se déployer. Nous en débattrons lors de l'examen de la loi à venir.
Quant au texte proposé, les écologistes espèrent que le débat en séance publique lui donnera plus de souffle et de cohérence. §