Monsieur Giuliani, l'intégration européenne est un choix de la population géorgienne. Encore récemment, les sondages ont montré que 87 % de la population soutient fermement l'intégration européenne.
C'est le gouvernement et le parlement qui l'ont inscrit dans la Constitution, et c'était la volonté du peuple de garantir cet axe de la politique étrangère. La Constitution stipule que la priorité de la politique étrangère de la Géorgie est l'intégration européenne et euro-atlantique.
Il faut prendre cela comme une demande de toute la population. Le parti politique qui arrivera au pouvoir, quel qu'il soit, sera à l'écoute du peuple et ne pourra dévier de ce principe inscrit dans la Constitution. Rien ne peut mobiliser autant la population que l'avenir européen et le fait de réaffirmer son attachement et sa fidélité à la politique européenne de la Géorgie.
Est-ce également le choix des élites politique ? En tant qu'ambassadeur, je peux vous dire qu'à aucun moment je n'ai eu de recommandations ou de conseils pour m'abstenir en matière de politique européenne ou concernant le soutien à l'Ukraine. Je ne serais plus ambassadeur si l'on m'avait demandé de soutenir des décisions pro-russes ou de m'abstenir de toute critique à l'égard de la Russie.
Vous ne trouverez aucune décision ou résolution de ce type dans le cadre bilatéral, multilatéral, au Conseil de l'Europe, à l'OSCE, ou à l'OCDE, dont nous ne sommes que membres observateurs. La Géorgie a toujours soutenu l'Ukraine. Elle s'est alignée sur ses partenaires européens et a toujours voté contre la Russie.
D'ailleurs, la Géorgie a été l'un des initiateurs du mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale de La Haye en vue d'arrêter M. Poutine pour ses crimes. Un pays pro-russe n'oserait pas faire cela.
On peut parler d'une certaine réticence ou même de prudence, qui peut parfois être interprétée comme extrême par rapport à la Russie. Ce gouvernement dit qu'il faut le comprendre parce qu'il a la charge de diriger un pays qui a connu la guerre. Tout en restant compréhensifs, nous connaissons le contexte géopolitique. Ce n'est pas un reproche adressé à la communauté internationale, mais on dit parfois que si une telle mobilisation de la communauté internationale était intervenue en août 2008, la Crimée et l'Ukraine n'auraient peut-être pas connu ce qu'elles ont connu.
La Géorgie, qui ne bénéficie pour l'instant d'aucune protection de l'OTAN ou de l'Union européenne, est tributaire de sa situation géographique. Le gouvernement pense qu'il faut pratiquer une politique de prudence pour ne pas tomber dans le piège des provocations russes répétées.
Il y en a tous les jours. Récemment, l'un de nos citoyens a été tué par les forces d'occupation parce qu'il essayait d'ouvrir la porte d'une église, qu'ils avaient condamnée. Il a voulu allumer un cierge pour une fête religieuse, et il a été abattu sauvagement.
Nous avons la volonté de préserver la stabilité du pays, de développer une économie nationale, tout en respectant les sanctions internationales. Le Gouvernement demande à ses partenaires d'être plus compréhensifs, la Géorgie n'ayant pas introduit elle-même de sanctions contre la Russie. Ces sanctions ne porteraient aucun coup à l'économie nationale russe, mais l'inverse risque d'étouffer celle de notre pays.
C'est toujours dans la perspective d'adhérer à l'Union européenne que nous avançons par petits pas. Nous sommes conscients que l'Europe n'a pas besoin d'une nouvelle guerre dans la région. Nous essayons donc toujours, en partenariat avec les Européens, de dépasser cette étape très tendue, tout en maintenant cette stabilité et en restant fidèles à nos engagements par rapport à l'Europe.
L'élargissement que nous entendons, c'est en effet l'élargissement géopolitique. Les Européens, comme souvent dans le passé, doivent prendre des décisions sages et clairvoyantes, tout en gardant en tête les leçons du passé. D'où viennent la Géorgie, la Moldavie, l'Ukraine ? Dans quelle situation nous trouvons-nous et quelles seraient les conséquences du refus ou de l'acceptation de ces pays au sein de l'Union européenne ?
Ce n'est peut-être pas le meilleur parallèle mais, lorsque l'Union européenne a accepté l'entrée du Portugal, de la Grèce et de l'Espagne pour sauver ces pays d'une dictature, ceux-ci ne satisfaisaient pas non plus aux fameux critères de convergence. Il fallait donc prendre des décisions politiques.
Je suis conscient que je parle de pays éminemment européens mais, aujourd'hui, la question se pose de tenir compte de ce contexte géopolitique et de prendre conscience que les hommes et les femmes politiques européens auront à décider du destin des pays et des nations qui se considèrent comme membres de cette famille. C'est souvent en France qu'on entend poser la question : la Géorgie est-il un pays européen ou non ? En Géorgie, la question ne se pose même pas. Bien sûr que nous sommes de culture européenne !
Quel espace géographique pourrait prétendre appartenir à l'Europe ? Paul Valéry a dit que tout pays qui prétendrait appartenir à l'Europe devrait avoir subi l'influence de la culture gréco-romaine, de la religion chrétienne et les traditions démocratiques. La Géorgie rentre parfaitement dans ces trois critères, et je pense que nos prétentions sont justifiées lorsque nous considérons être un pays européen.
Cette politique sera un outil de l'Union européenne pour s'affirmer davantage en tant que puissance politique dans ce monde chaotique et plein de défis. Vous m'avez demandé quels étaient les programmes prioritaires. La Géorgie est consciente de ce qu'elle a aujourd'hui et aimerait se doter d'un système judiciaire irréprochable, plus libre, adopter des réformes démocratiques qui la doteraient d'outils de développement. Nous avons déjà une politique économique très attractive.
La Géorgie est dans les classements internationaux parmi les premiers pays qui remportent des succès dans la lutte contre la corruption et la réduction de la bureaucratie. Elle est parmi les tout premiers pays à attirer les investissements et à créer des conditions très favorables. Nous sommes le premier pays à afficher une transparence budgétaire et parmi les cinq premiers où faire des affaires est le plus facile. Enregistrer une entreprise ne demande que quelques heures. Il existe également des avantages fiscaux pour les investissements étrangers.
La Géorgie n'entend pas adhérer puis poser des problèmes au sein de l'Union européenne. La Géorgie essaye d'être un partenaire digne et de proposer des avantages. L'Union européenne ne se fera pas à sens unique.
Encore une fois, nous arrivons avec un pacte d'engagement. Nous sommes un peuple responsable. Nous n'avons pas simplement une forte envie d'adhérer à l'Union européenne : nous savons qu'il y a derrière des engagements à respecter, des difficultés qui compliqueront la vie quotidienne, que ce soit au niveau législatif ou au niveau de l'exécutif, mais nous savons que cela vaut la peine de faire partie de cette famille.
Traditionnellement, ce sont les pays baltes et la Pologne qui ont été la locomotive de la Géorgie. Aujourd'hui, l'Allemagne et la Hongrie soutiennent la Géorgie dans cette marche vers l'Union européenne. Nous avons aussi de très bonnes relations avec d'autres pays de l'Union.
L'Union européenne s'intéresse de plus en plus au Caucase du Sud. La Géorgie, qui a d'excellentes relations avec ses voisins, a déjà joué un rôle positif dans la stabilisation de la région. À l'avenir, l'Union européenne devrait prendre en main le destin de cette région.
La Géorgie ne soutient pas le format 3+3, où l'Iran, la Turquie et la Russie décident du sort de la région. Ce n'est pas dans l'intérêt de la Géorgie. Nous ne voulons pas participer à ce format de négociation, mais nous en appelons à l'Union européenne et à la France en particulier, qui a présidé le groupe de Minsk, et les assurons de pouvoir compter sur notre soutien. Un format alternatif exclurait la participation des forces occidentales dans la résolution du conflit du Haut-Karabagh, alors que la Géorgie a du potentiel pour servir de plateforme de négociations.
Il y a moins d'un mois, la Géorgie accueillait la conférence des nouvelles routes de la soie. Les dirigeants de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan étaient en Géorgie.
Chacun a confirmé sa volonté de poursuivre les négociations de paix. Si la paix revient dans cette région sous l'égide de l'Union européenne, la Géorgie sera ravie d'y contribuer.