Monsieur le Président, mes chers collègues, avec Christine Lavarde, nous avons travaillé depuis un mois sur ce sujet et je vais vous exposer notre position commune.
Il y a près de quatre ans, en février 2020, la Commission européenne présentait une communication sur le réexamen de la gouvernance économique de l'UE, qui devait permettre de lancer un débat public sur l'avenir du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Elle y rappelait les progrès enregistrés grâce aux réformes du début des années 2010. Mais elle insistait surtout sur trois défauts majeurs des règles en vigueur : leur caractère pro-cyclique, leur complexité et leur inadaptation pour soutenir les investissements publics. La crise du Covid-19 a suspendu ce réexamen. Face au choc économique, la clause dérogatoire générale, qui permet la suspension temporaire des règles du PSC, a été activée en mars 2020 puis prolongée jusqu'au 31 décembre 2023. Déjà mis en lumière avant la pandémie et la guerre en Ukraine, les défauts des règles du PSC paraissent aujourd'hui encore plus criants. D'abord, compte tenu des niveaux très dégradés de leurs finances publiques, la réintroduction des règles mettrait en difficulté de nombreux États membres. À titre d'illustration, au deuxième semestre 2023, six pays de l'Union européenne, dont la France, ont une dette supérieure à 100 % de leur PIB. Ensuite, la prise de conscience du « mur d'investissements » à réaliser en matière de défense et de transition numérique et climatique rend inadapté le cadre actuel. Je rappelle à cet égard que la Commission européenne estime que 520 milliards d'euros par an d'investissements, publics et privés, seront notamment nécessaires dans l'Union pour répondre aux besoins en matière de transition écologique d'ici 2030.
Je rappellerai dans un premier temps les objectifs et les grandes lignes du paquet législatif proposé par la Commission en avril 2023. Dans un second temps, je vous présenterai notre position sur cette réforme, compte tenu notamment des dernières propositions de compromis de la présidence espagnole et de l'accord obtenu hier soir.
En avril 2023, la Commission européenne a donc présenté un paquet législatif de deux propositions de règlement et une proposition de directive pour une réforme d'ampleur du cadre de gouvernance budgétaire. Il faut noter, avant toute chose, que la Commission propose de conserver les seuils de 3 % du PIB pour le déficit et de 60 % du PIB pour la dette. Ces seuils sont fixés par les traités. De ce fait, les modifier supposerait l'unanimité des États membres. La Commission européenne considère - et nous partageons cet avis - que cela est hors d'atteinte, compte tenu des équilibres politiques européens. Pour parvenir à ce que les États membres se conforment à ces seuils de 3 % et de 60 %, la Commission propose de mettre en place une différenciation de leurs trajectoires budgétaires. Pour ce faire, elle prévoit l'élaboration de plans budgétaires et structurels nationaux à moyen terme qui constituent la pierre angulaire de la réforme. Ces plans seraient élaborés par les États eux-mêmes, permettant une véritable appropriation par ceux-ci des efforts à fournir. Les plans définiraient les cibles d'ajustement et les réformes et investissements prioritaires sur une période de 4 ans. La trajectoire serait ensuite analysée sur 10 ans, période durant laquelle le déficit public devrait être maintenu sous la valeur de référence de 3 % du PIB. Les plans nationaux seraient évalués par la Commission selon la méthode de l'analyse de la soutenabilité de la dette (ASD) et approuvés par le Conseil sur la base de critères communs pour l'Union. Pour inciter aux investissements publics, la trajectoire d'ajustement pourrait être allongée de 4 à 7 ans en cas de réformes et d'investissements répondant aux priorités communes de l'Union. Les investissements ouvrant droit à une prolongation devraient relever du Pacte vert pour l'Europe, du Socle européen des droits sociaux, du Programme d'action pour la décennie numérique, ou de la Boussole stratégique en matière de sécurité et de défense.
Pour assurer une véritable différenciation, la Commission proposait initialement, dans ses orientations de novembre 2022, d'abandonner tout critère numérique uniforme. La règle du 1/20ème pour la diminution de la dette est ainsi supprimée dans la proposition d'avril 2023. Cette règle, introduite par le Six Pack, obligeait les États membres affichant une dette publique excédant 60 % du PIB à réduire annuellement d'1/20ème l'écart entre leur niveau d'endettement observé en moyenne sur les trois dernières années et le seuil de référence des 60 %. L'application de cette règle conduirait de fait la France à un ajustement de 2,5 points de PIB par un et des pays comme l'Italie ou la Grèce à réduire leur dette de 4 à 5 points par an, ce qui paraît irréaliste. Si la règle du 1/20ème est supprimée, la Commission a cependant finalement intégré dans son texte un critère quantitatif qui porte sur le déficit. Les pays dont le déficit excède 3 % du PIB doivent réduire de 0,5 point par an ce ratio, au minimum, tant qu'il reste supérieur à 3 % du PIB. Cet ajout contrevient pourtant à l'esprit de la réforme, qui visait bien à ne pas appliquer à des situations différentes des critères numériques uniformes.
L'autre point majeur de cette réforme est la mise en place d'indicateurs véritablement mesurables. En remplacement de l'indicateur du solde structurel, qui n'est pas observable et qui résulte d'estimations, doit être introduit un indicateur des dépenses publiques nettes. Cet agrégat est dit « net » car les dépenses publiques sont corrigées en leur soustrayant : les intérêts payés au titre de l'endettement (c'est-à-dire la charge de la dette), la part cyclique des dépenses de prestations chômage (ce qui suppose de parvenir à isoler la part des prestations chômage due aux fluctuations du cycle économique) et les mesures de recettes discrétionnaires (c'est-à-dire l'impact des changements de la fiscalité, qui augmentent ou diminuent les recettes publiques). Autrement dit, l'agrégat de dépenses retenu ne tient pas compte des dépenses financées par de nouvelles recettes.
Enfin, et dernier point clé de la proposition de la Commission, le montant des sanctions est abaissé pour rendre celles-ci plus crédibles. Dans les règles actuelles, en cas de dépassement du seuil des 3 %, les États membres s'exposent à une sanction prenant la forme d'une amende pouvant, selon les règles en vigueur, aller de 0,2 % à 0,5 % du PIB. De telles sanctions reviendraient donc à alourdir le déficit de l'État en question, ce qui ne ferait qu'accroître ses difficultés. Elles n'ont de fait jamais été appliquées. Jamais mises en oeuvre, ces sanctions sont ainsi peu crédibles et n'incitent donc pas à respecter les règles. La Commission propose qu'en cas de déficit excessif, le montant de l'amende s'élève à 0,05 % du PIB - soit dix fois moins qu'auparavant - pour une période de six mois et qu'elle soit versée chaque semestre jusqu'à ce que le Conseil estime que l'État membre a engagé une action suivie d'effets. Le montant cumulé des amendes n'excéderait pas 0,5 % du PIB.
J'en viens maintenant à notre position sur cette réforme. Pour la préparer, nous avons entendu des responsables nationaux comme européens : le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique Bruno Le Maire, la direction générale du Trésor, chargée de la préparation des positions françaises sur ce sujet, le cabinet de Paolo Gentiloni, commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, à la fiscalité et à l'Union douanière, la Cour des comptes européenne - qui a récemment publié un document d'analyse assez critique sur les propositions de la Commission sur la réforme des règles budgétaires - et enfin un chercheur en politique économique européenne, rattaché à l'Institut Jacques Delors - Notre Europe, M. Andreas Eisl.
Avant d'en venir au détail de notre position, je voudrais vous préciser le calendrier de cette réforme. Comme l'a rappelé le Président Rapin, un accord a été obtenu hier soir au Conseil ECOFIN sur la réforme du PSC. Cela ne signifie pas pour autant que cette réforme soit finalisée. En effet, le mandat de négociation du Conseil doit encore être approuvé dans le détail aujourd'hui par le COREPER qui réunit les 27 ambassadeurs assurant à Bruxelles la représentation permanente de leur pays. Une négociation doit s'ouvrir ensuite avec le Parlement européen, qui est co-législateur s'agissant du volet préventif. Sa commission des affaires économiques et monétaires (ECON), saisie au fond, a présenté sa position le 11 décembre dernier. La plénière du Parlement européen doit encore se tenir pour arrêter le mandat de négociation côté Parlement européen. Les négociations interinstitutionnelles ou trilogue entre Commission, Parlement et Conseil, ne commenceront qu'une fois ce mandat adopté, c'est-à-dire au premier semestre 2024. Une étape importante a donc été franchie mais ce n'est pas la dernière. L'objectif qui importe est aujourd'hui de faire en sorte que la réforme soit définitivement finalisée avant avril 2024 et la suspension des travaux du Parlement européen du fait des élections européennes de juin.
Cela m'amène à la première observation de notre proposition de résolution. Nous appelons à un accord rapide, pas seulement au Conseil, mais aussi lors des trilogues, pour que les règles obsolètes du PSC ne s'appliquent pas en 2025. Ce risque demeure : il est déjà certain que 2024 sera une année de transition où les anciennes règles, pourtant reconnues comme obsolètes, seront appliquées. En l'absence d'accord définitif avant les élections européennes de juin 2024, le calendrier conduirait à faire de 2025 une deuxième année de transition et à repousser encore l'application de la réforme. Compte tenu des nombreux défauts des règles, sur lesquels un consensus a fini par émerger, cette situation ne serait pas acceptable. Ce risque impose donc d'aboutir vite à une adoption définitive rapide. Je vous précise d'ailleurs que nous vous soumettons à la fois une proposition de résolution européenne (PPRE) et une proposition d'avis politique, la première étant destinée au Gouvernement et la seconde à la Commission européenne, acteur central des trilogues.
Ensuite, je voudrais insister sur la deuxième observation majeure de notre proposition : elle concerne l'introduction de clauses de sauvegarde. Je rappelle que les orientations présentées par la Commission en novembre 2022 ne prévoyaient pas d'introduire de critères numériques communs uniformes de gouvernance budgétaire. Nous regrettons que les propositions d'avril 2023 de la Commission aient finalement introduit un critère quantitatif commun en prévoyant une clause de sauvegarde pour le déficit obligeant à le réduire d'au moins 0,5 point de PIB par an, tant qu'il reste supérieur à 3 % du PIB, et cela que le pays concerné fasse ou non l'objet d'une procédure pour déficit public excessif (PDE).
Par la suite, de nouvelles mesures de sauvegarde - les fameux benchmarks - ont été intégrées dans les propositions de compromis soumises par la présidence espagnole. Là encore, ces ajouts sont bien éloignés de l'esprit initial de la réforme, qui, je le rappelle, visait précisément à ne pas appliquer à des situations nationales différentes des règles numériques uniformes. Tout l'enjeu des négociations des dernières semaines au Conseil a donc porté sur le calibrage de ces mesures de sauvegarde pour préserver un équilibre entre demande de garanties communes et préservation de l'objectif de différenciation. Trois mécanismes ont été proposés avec, en premier lieu, une clause de sauvegarde pour la réduction de la dette. Pour les pays dont la dette dépasse 90 % du PIB, la réduction du ratio dette/PIB devrait être de 1 point en moyenne par an sur la durée de la période d'ajustement (avec un plan de 4 ans par défaut). Pour les pays dont la dette est comprise entre 60 % et 90 % du PIB, cet objectif de réduction de la dette serait fixé à 0,5 point. Ensuite, une clause de sauvegarde pour le déficit sous forme de « marge de résilience » de 1,5 % du PIB serait introduite. Elle viserait à garantir que, dans des circonstances économiques normales, le déficit public soit réduit à un niveau suffisamment inférieur au seuil de 3 % du PIB en fixant un objectif de 1,5 % du PIB. Pour l'atteindre, serait exigé un ajustement d'au moins 0,4 point de PIB par an, qui peut être réduit à 0,25 point en cas de réformes et d'investissements. Enfin, dans le bras correctif, un ajustement annuel de 0,5 point de PIB serait attendu des États membres faisant l'objet d'une procédure pour déficit public excessif.
Pour garantir l'objectif de différenciation et pour permettre d'encourager l'investissement public, nous proposons de ne pas reprendre toutes ces clauses de sauvegarde. Nous faisons également observer que ces dernières réintroduisent une complexité excessive dans cette réforme qui incorporait un objectif de simplification.
S'agissant du bras préventif, nous rappelons que l'objectif de la réforme était de se concentrer sur le niveau de dette et sur sa réduction graduelle à moyen terme. Nous proposons de ne pas retenir la « clause de sécurité » sur le déficit, et donc de ne pas préconiser de règle chiffrée commune de réduction du déficit public sous 3 % du PIB. Cette disposition nous ferait retomber dans les travers de la pro-cyclicité ; or nous avons besoin de disposer de politiques contra-cycliques et donc d'une latitude budgétaire suffisante pour apporter un soutien budgétaire en période de ralentissement économique et pour constituer des réserves en période de conjoncture favorable. Notre position rejoint celle de la commission ECON du Parlement européen qui semble équilibrée : pas de mesure de sécurité sur le déficit, mais une mesure de sauvegarde sur la dette.
S'agissant du bras non plus préventif mais correctif, nous soutenons le principe d'un ajustement annuel de 0,5 point de PIB quand le déficit est supérieur à 3 %. Néanmoins, nous demandons de la flexibilité, en excluant du calcul non seulement l'augmentation des dépenses d'intérêt de la dette mais aussi des investissements verts du calcul. Sur ce dernier point, l'accord obtenu hier soir pourrait ne pas avoir donné satisfaction et un flou persiste sur la prise en compte de la charge de la dette.
Enfin, outre la question du calibrage des clauses de sauvegarde et de la nécessaire flexibilité pour soutenir les investissements, nous appelons également à être vigilants sur la méthode d'analyse de la soutenabilité de la dette (ASD). Celle-ci jouera un rôle central dans la conception des trajectoires techniques pour les dépenses publiques nettes présentées par la Commission afin de fournir des orientations aux États membres. La méthodologie de l'ASD retenue par la Commission européenne est comparable à celle utilisée par les organismes internationaux comme le FMI ou l'OCDE et s'appuie sur un large jeu d'hypothèses dont le taux d'intérêt, le niveau du déficit, la croissance potentielle ou encore les projections de vieillissement. Nous déplorons néanmoins que la Commission propose d'appliquer cette analyse à un horizon de long terme, de 14 à 17 ans. Il est en effet impossible de réaliser des prévisions économiques sérieuses à une échéance si lointaine, comme le souligne la Cour des comptes européenne pour qui de telles projections relèvent de la « boule de cristal ». Nous appelons donc à la constitution d'un groupe de travail, rassemblant des experts de la Commission mais aussi des représentants d'États membres, pour assurer la transparence de l'ASD ainsi qu'une mise en oeuvre cohérente du cadre dans tous les États membres.
Enfin, nous nous interrogeons également sur l'articulation des plans avec les échéances électorales et sur l'association des parlements nationaux. La Commission prévoit certes la possibilité pour un nouveau gouvernement de présenter un plan budgétaire et structurel national révisé à l'issue d'une élection nationale. Néanmoins, dans ce cas, la Commission proposerait « une nouvelle trajectoire technique (...) qui ne permet pas de repousser l'effort d'ajustement budgétaire en fin de période et ne conduit pas à un moindre effort d'ajustement budgétaire ». Quelles seraient dans ces conditions les marges de manoeuvre laissées à un gouvernement nouvellement élu ?
Nous regrettons également que les parlements nationaux ne soient que très brièvement mentionnés dans les propositions de la Commission. Pourtant, les futures règles européennes encadreront de fait les budgets qu'il leur incombe d'adopter. Les parlements nationaux devraient être mieux associés à la mise en oeuvre du cadre réformé de gouvernance budgétaire européenne. Devraient notamment être communiqués en amont à chaque parlement national tous les éléments utiles pour évaluer les trajectoires conçues par les États, ainsi que le détail de l'analyse de la soutenabilité de la dette (ASD).