Intervention de Laurence Boone

Commission des affaires européennes — Réunion du 21 décembre 2023 à 9h05
Institutions européennes — Conseil européen des 14 et 15 décembre 2023 - Audition de Mme Laurence Boone secrétaire d'état auprès de la ministre de l'europe et des affaires étrangères chargée de l'europe

Laurence Boone, secrétaire d'État :

Pour ce qui concerne la solution à deux États au Proche-Orient, la France a toujours soutenu que la seule façon d'aboutir à la paix dans la région était d'assurer à Israël son droit à la sécurité et aux Palestiniens leur droit à un État. À mon sens, il convient d'amener Israël à comprendre qu'un État palestinien sera un facteur de sécurité. Tel était le sens de l'entretien de la ministre Catherine Colonna, publié dans La Tribune Dimanche, le 22 octobre dernier. C'est pourquoi nous essayons de déterminer le moment le plus propice à la relance de ce processus.

Sur l'Ukraine et la Moldavie et le rôle d'Olaf Scholz, en cas de blocage lors des Conseils européens, des réunions en cercle restreint se tiennent à la marge, afin de lever les difficultés, notamment entre la présidente de la Commission européenne, le président du Conseil européen, les représentants de l'Allemagne, de la France, de l'Italie, parfois des Pays-Bas et, en l'occurrence, la Hongrie. Nombre de réunions préparatoires ont également eu lieu avant la tenue du Conseil européen. Il était important que Viktor Orban comprenne qu'il ne pouvait s'opposer seul à cette décision. La France, dès le déclenchement de la guerre, a évoqué la perspective européenne de l'Ukraine, a facilité l'octroi à l'Ukraine du statut de pays candidat lors de sa présidence du Conseil de l'Union européenne et participe désormais à l'ouverture des négociations d'adhésion.

Pour ce qui concerne l'aide financière à l'Ukraine, nous n'avons pas à nourrir de complexe en la matière. En effet, nous sommes le deuxième pays contributeur au budget de la facilité européenne pour la paix, qui fournit des armements à Kiev à hauteur de 1,2 milliard d'euros, soit plus du 18 % du budget total de 6,5 milliards d'euros. Nous formons 5 000 soldats ukrainiens sur les 30 000 soldats formés en Europe. Enfin - nous l'évoquions avec le sénateur de Legge -, la France a lancé la création d'instruments européens pour renforcer les industries de défense et pour aider les Ukrainiens dans la durée.

Au sujet de l'exclusion du viol de la proposition de directive européenne, le périmètre de ce texte est bien plus large, puisqu'il a trait aux violences faites aux femmes, et nous souhaitons enpréserver des dispositions, notamment celles qui visent à lutter contre la mutilation des organes génitaux féminins. Toutefois, en l'espèce, le blocage n'est pas lié à la France, mais à la Bulgarie, à la Hongrie, à la Lituanie, à la République tchèque et à la Slovaquie, des pays qui n'ont pas signé la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique, dite convention d'Istanbul, contrairement à la France et à l'Union européenne. Cette convention renvoie à la notion de consentement. Par conséquent, nous encourageons ces cinq pays à se rapprocher de ces dispositions ; je rappelle que l'Allemagne a adopté notre position.

S'agissant du Pacte de stabilité et de croissance (PSC), l'accord est de mon point de vue tout à fait honorable, d'abord parce qu'il concilie des positions éloignées les unes des autres, mais surtout parce qu'il reprend les piliers sur lesquels nous entendions insister. Il reprend, d'abord, le principe d'appropriation, qui est très important pour nous, car il permet de tenir compte de la situation spécifique de chaque État. Il reconnaît, ensuite, l'importance d'un véritable soutien aux investissements, lesquels seront facilités à la fois dans les domaines de l'environnement, du numérique et de la défense. Nous avons également négocié la possibilité d'un ajustement de l'effort de réduction du déficit des États à 0,2 ou 0,3 point de PIB par an, pour faire en sorte que ces États ne soient pas soumis à des règles et à des conditions d'emprunt excessivement restrictives. Ce point était crucial, même si, aujourd'hui, la plupart des économistes misent sur une baisse plutôt que sur une hausse des taux d'intérêt. Vous avez observé à juste titre qu'un certain nombre de lignes de crédit, notamment celles qui n'ont pas été consommées ou qui ont été sous-employées, sont redéployées. La France a réussi à préserver ses priorités : les migrations, l'Ukraine et la création d'un fonds de souveraineté européen, laquelle nous paraît essentielle si nous entendons continuer à recréer des emplois dans tous les territoires.

J'entends vos interrogations sur les conséquences d'un élargissement de l'Union européenne. Nous devons travailler ensemble à expliquer ce qui se passe en pratique. La durée moyenne pour qu'un nouvel État accède à l'Union européenne est de huit à quinze ans - cette durée a pu même aller jusqu'à vingt-quatre ans, dans le cas de la Macédoine. Il s'agit donc d'un processus qui se déploie dans un temps long. Il est dans notre intérêt de garder ces pays candidats dans notre giron et d'éviter qu'ils dérivent vers la sphère d'influence de la Russie, de la Chine ou d'autres pays peu amènes. J'y insiste d'autant plus que l'on assiste à de nombreuses tentatives de déstabilisation, notamment dans les Balkans occidentaux. En outre, ces pays sont appelés à se réformer pour atteindre nos standards en matière d'État de droit, comme dans les domaines économique, social ou environnemental, ce qui prendra naturellement du temps. Nous n'en sommes donc qu'à la première phase ; la prochaine étape sera celle de l'établissement du cadre des négociations, qui devrait finalement se dérouler à la fin du premier semestre 2024. C'est à ce moment-là que nous définirons nos exigences à l'égard des candidats à l'adhésion en matière agricole, économique, sociale ou environnementale. Ensuite seulement débutera le processus d'ouverture des négociations sous la forme d'une conférence intergouvernementale, un processus qui, je le répète, peut durer cinq, dix, voire vingt ans.

Dans le même temps, nous devons réformer nos politiques. Nous venons de parler de défense européenne comme nous n'en avons jamais parlé depuis trois ans. Nous devons faire en sorte que cette réforme respecte nos souverainetés respectives, qu'elle bénéficie de financements suffisants et d'une gouvernance adéquate, ce qui prendra également beaucoup de temps - les négociations ne devraient démarrer qu'en 2025.

À ce titre, vos suggestions, comme tous les travaux que vous serez amenés à réaliser, seront évidemment très utiles. À mon sens, il y a un changement de logiciel à opérer : nous nous orientons vers une structuration de la défense européenne autour de cercles concentriques - ce n'est pas un tabou : nous le faisons avec l'euro.

À propos de la politique agricole, je prendrais l'exemple de l'Espagne à qui l'on a demandé, il y a quelques années, après son adhésion à l'Union, une période de transition de dix ans pour l'intégration de ses produits agricoles dans le marché européen, afin de protéger notre agriculture. Aujourd'hui, les points de vue divergent sur les risques que ferait peser l'adhésion de l'Ukraine sur nos agricultures. Certains pays la craignent, quand d'autres sont persuadés que, compte tenu de la grande taille des exploitations agricoles ukrainiennes, elles n'auront droit à aucune aide dans le système futur. Prenons le temps d'y réfléchir.

S'agissant du Fonds de solidarité de l'Union européenne (FSUE), sachez que nous avons prévenu la Commission européenne que la France souhaitait y avoir recours à la suite des inondations dans les Hauts-de-France. Nous disposons de dix semaines pour déposer notre dossier, et sommes en train de faire le nécessaire auprès des services déconcentrés pour être en mesure de respecter ce délai - toute aide de votre part à cet égard sera évidemment la bienvenue. Sur le plus long terme, la question de l'évolution et de l'adaptation du FSUE pour une meilleure prise en charge des catastrophes naturelles est en cours de réflexion.

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