Intervention de Benoît Bas

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 27 février 2024 à 16h00
La fiscalité comportementale — Audition de Mme Stéphanie Martel directrice des affaires externes et gouvernementales philip morris france Mm. Benoît Bas directeur des affaires publiques et de la communication japan tobacco international france vincent zappia responsable des affaires publiques british american tobacco france et cyril lalo directeur des relations extérieures imperial tobacco seita

Benoît Bas, directeur des affaires publiques et de la communication, Japan Tobacco International France :

Force est de constater que la fiscalité comportementale sur le tabac n'atteint pas, ou très modestement, son objectif d'une baisse forte et durable de la prévalence tabagique. Les études de Santé publique France nous apprennent que malgré les fortes hausses de fiscalité qui sont intervenues par exemple entre 2003 et 2016 - 72 % d'augmentation pour le paquet de cigarettes -, la proportion de fumeurs est passée de 30 % à 29,4 % sur la même période. En 2019, la prévalence tabagique a légèrement baissé à 24 %, avant de remonter à 25 % en 2020. Elle est donc en stagnation depuis au moins vingt ans. Elle est aussi la plus élevée derrière la Turquie au sein des pays de l'OCDE, qui affichent une moyenne de 16 %.

Non seulement la fiscalité comportementale n'entraîne pas de changement majeur de comportement chez les fumeurs, mais elle s'accompagne d'effets pervers : stratégies de contournement et explosion du marché parallèle, baisses de recettes fiscales, accroissement du risque sanitaire ou encore creusement des inégalités sociales.

Le marché parallèle regroupe deux catégories : les achats légaux transfrontaliers, touristiques ou duty free d'une part, les achats illégaux - produits de contrebande ou de contrefaçon - d'autre part. Je rappelle que la contrefaçon viole les droits de propriété intellectuelle et occasionne d'énormes pertes pour l'industrie. Surtout, elle approvisionne le marché en produits particulièrement dangereux ne bénéficiant d'aucune traçabilité. Au sein des 40 % du marché global que représente aujourd'hui le marché parallèle, 15 % sont des produits de contrefaçon et 61 % des volumes de contrefaçon saisis dans l'Union européenne le sont en France !

Ces chiffres issus de l'étude annuelle KPMG sont confortés par ceux de la Confédération des buralistes. Pour ces derniers, la perte de chiffre d'affaires due à cette concurrence illégale est estimée entre 30 % et 40 % et 450 à 500 bureaux de tabac par an mettent la clef sous la porte. En 2020, la période de confinement avait mis en lumière ce phénomène de marché parallèle : les ventes légales avaient alors augmenté de 25 %, notamment du fait de la fermeture des frontières. Par ailleurs, une étude du cabinet Alvarez & Marsal (A&M) démontre que chaque augmentation de 10 % ou plus du prix du tabac se traduit par une augmentation d'environ 7 % du marché parallèle. Elle souligne également que les moyens alloués aux forces de l'ordre et aux douanes sont très amoindris lorsque la fiscalité demeure très élevée.

Le deuxième effet pervers est le dépassement du seuil fiscal optimal. Nous sommes classiquement en haut de la courbe de Laffer. La tendance à la baisse des recettes fiscales de l'État s'observe en effet depuis 2021. Entre 2021 et 2022, les droits d'accise ont chuté de près d'un milliard d'euros, passant de 14 à 13 milliards d'euros hors TVA. Quant à l'impact du marché illicite sur les droits d'accise, il serait situé entre 2,5 et 3 milliards d'euros selon le rapport d'information des députés Woerth et Park et entre 5 et 7 milliards d'euros d'après KPMG. En parallèle, les volumes de ventes légales chez les buralistes baissent en moyenne de 7 à 8 % par an et jusqu'à 30 à 37 % dans des régions frontalières comme la région Grand Est ou les Hauts-de-France. Les grands perdants de cette politique fiscale sont donc l'État français, les buralistes et les consommateurs, et les grands gagnants les groupes criminels.

J'en viens au risque sanitaire croissant et à l'absence de traçabilité dans la composition des produits de contrefaçon. Il y a six ans, la contrefaçon était quasi inexistante en France. Nous en sommes, je le répète, à 60 % des volumes saisis dans l'Union européenne. Depuis 2021, fait inédit, cinq usines clandestines ont été démantelées en France. Alors que la filière du tabac a mis en place une traçabilité de ses produits depuis l'usine jusqu'au consommateur, les produits de contrefaçon ne sont pas du tout tracés et contiennent des ingrédients dangereux.

Autre effet pervers, la dernière étude de Santé publique France met en évidence le creusement des inégalités sociales, avec un écart de 12 points de prévalence tabagique entre les plus bas et les plus hauts revenus, de 14 points entre les personnes non diplômées et les personnes diplômées de l'enseignement supérieur et de 16 points entre les chômeurs et les actifs. La fiscalité comportementale s'apparente donc aujourd'hui à un impôt régressif. Elle est profondément inégalitaire, car elle pénalise les populations les plus précaires. C'est un point très important.

La France est dans une situation paradoxale en ce qu'elle détient un triple record européen en matière de niveau de fiscalité, de prévalence tabagique et de taille du marché parallèle. Ce constat nous amène aux réflexions suivantes. Les États connaissant une baisse forte et durable de leur prévalence tabagique sont ceux qui ont mis en place une politique de santé publique fondée sur le triptyque information-éducation-incitation, avec un usage minimal de l'outil fiscal. L'Allemagne, classée en avant-dernière position dans une étude sur les pays les plus moralisateurs fiscalement, affiche pourtant un taux de prévalence tabagique de 15 % seulement. Une étude de l'Institut économique Molinari montre par ailleurs que l'innovation est un outil plus puissant pour agir sur les comportements que la hausse des taxes ou les interdits. Elle conclut qu'il faudrait, d'une part, appliquer une fiscalité et une réglementation distinctes, plus favorables pour les produits à risque réduit que pour les produits avec combustion, et, d'autre part, renforcer l'information des consommateurs sur les produits alternatifs à la cigarette et sur leur bon usage. Un cadre réglementaire spécifique pour ces produits protégerait en outre les consommateurs, le segment étant inondé de produits chinois très bon marché échappant à tout contrôle.

En conclusion, on pourrait croire que la fiscalité comportementale joue sur la prévalence tabagique. Au contraire, nous avons vu qu'elle était davantage punitive que comportementale. Sa principale conséquence est d'alimenter le marché parallèle, mais aussi de priver l'État de plusieurs milliards d'euros de recettes fiscales. Elle n'atteint pas son objectif, engendre de nombreuses externalités négatives, va à l'encontre même de la politique de santé publique : sortons de cette logique punitive pour aller vers une fiscalité incitative !

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