Intervention de Marine Jeantet

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 18 janvier 2024 à 9h35
Audition de l'agence de la biomédecine sur les évolutions récentes des connaissances et des techniques dans les domaines relevant des lois de bioéthique

Marine Jeantet, directrice générale de l'Agence de la biomédecine :

Merci, monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés et sénateurs, je suis très honorée de pouvoir faire un état des lieux de notre action devant vous ce matin. Je vais d'abord commenter rapidement un diaporama qui présente l'avancement des trois plans ministériels dont nous avons la charge. Les graphiques qu'il contient permettront de rendre compte des dernières évolutions de manière plus explicite. Je répondrai ensuite au questionnaire que vous nous avez envoyé. Je vous enverrai de toute façon une réponse écrite dans la journée. Vous verrez qu'elle est assez détaillée. Je tâcherai donc d'aller à l'essentiel dans mon exposé oral, pour vous présenter les principaux points, car vous recevrez tous les détails et les chiffres, par écrit.

L'Agence de la biomédecine, que vous connaissez bien, est un établissement public qui relève du ministère de la santé, créé il y a bientôt vingt ans. L'Agence compte effectivement dans ses domaines d'activité tout ce qui relève de la greffe d'organes et de cellules souches hématopoïétiques, ainsi que de l'AMP et de la médecine génétique.

Sur ces différents champs, trois plans ont été annoncés en 2022 ; ils s'étendent jusqu'en 2026. Nous sommes donc aujourd'hui à mi-parcours. C'est un moment opportun pour faire un état des lieux de leur avancement.

Je commencerai par les greffes d'organes et de tissus. La première diapositive est assez importante : elle montre l'évolution de la liste nationale d'attente de greffe. Plus de 20 000 personnes sont actuellement inscrites sur la liste. On compte plutôt 10 000 personnes potentiellement greffables, certaines étant en situation de contre-indication, par exemple du fait d'une infection, qui empêche d'être greffé. En face, le nombre de greffes effectuées chaque année se situe aux alentours de 5 000. Si l'on regarde l'évolution de cette liste, le constat est assez simple : il y a 23 nouvelles inscriptions par jour sur la liste d'attente de greffe, 2,3 personnes de cette liste décèdent tous les jours, faute de greffons disponibles, et environ 15 greffes sont effectuées quotidiennement. Ainsi, près de 6 personnes augmentent structurellement la liste d'attente de greffe d'organe chaque jour. Cela vous donne une idée de l'ampleur des besoins.

Si l'on considère seulement le nombre de greffes, on se situe dans les couloirs de croissance fixés par le plan. En revanche, il y a un vrai problème en matière de réponse aux besoins de santé publique. Il est important d'en avoir conscience, même si l'on parvient à réduire le nombre de décès sur la liste d'attente. Nous essayons à présent de promouvoir une logique préventive de parcours de soins, en considérant notamment les nouvelles technologies et nouvelles thérapies qui préviennent l'évolution vers l'insuffisance rénale chronique, pour éviter le besoin de greffe. Cela est essentiel, d'autant plus qu'il y a une grande hétérogénéité dans le prélèvement d'organes en France, en particulier en lien avec l'opposition au don.

Comme vous le savez, nous sommes tous présumés donneurs, mais il faut en avoir parlé à sa famille. En effet, on demande toujours l'accord des proches au moment de prélever, ce qui est la moindre des choses, compte tenu des situations dramatiques dans lesquelles cela intervient. C'est pour cette raison que toutes nos campagnes de sensibilisation mettent l'accent sur ce point. Les Français sont à 80 % favorables au don d'organes, mais ils n'en ont parlé que dans 50 % des cas à leur famille. Dès lors, dans un moment dramatique - et on ne sait jamais quand il va arriver -, les familles ne savent pas et, dans le doute, s'abstiennent. Le taux d'opposition augmente en ce moment, ce qui est très inquiétant : en 2023, le taux était de 36 %, alors qu'il se situait structurellement à 30 % pendant de nombreuses années. On ne connaît pas exactement les déterminants du taux d'opposition. On sait qu'il est tout de même assez corrélé à la colère sociale. On a observé en effet des pics d'inscription sur le registre de refus au moment du passe sanitaire ou de la réforme des retraites, avec, même si cela ne concerne qu'une faible partie, des explications par courrier, - les gens faisant cette démarche de leur vivant et en profitant pour exprimer leurs motivations. Il y a probablement aussi des facteurs religieux. C'est pour cette raison que nous allons travailler avec toutes les obédiences religieuses, car dans aucune des trois grandes religions monothéistes, il n'y a d'opposition au prélèvement d'organes mais il faut que cette information parvienne aux familles concernées.

À cette problématique du refus s'ajoute l'évolution du prélèvement dans les hôpitaux. Je ne vous cache pas que la situation actuelle, difficile, des hôpitaux a un impact. En effet, pour que des organes puissent être prélevés, il faut que les donneurs soient admis en réanimation. Or nous faisons face à des problèmes d'accès, en réanimation et au bloc. Dans certaines régions, comme en Auvergne-Rhône-Alpes, la situation a été assez catastrophique cette année, avec de nombreux problèmes aux Hospices civils de Lyon, où les prélèvements ont beaucoup diminué. À l'inverse, l'Île-de-France s'est quelque peu réveillée. Nous sommes en effet allés stimuler l'AP-HP, qui représente un potentiel de donneurs important. Les régions où le taux d'opposition est le plus élevé sont d'abord les DOM, sans surprise vu le climat social, l'Île-de-France, la région PACA et les Hauts-de-France, c'est-à-dire également des endroits en tension sociale.

Comme je vous le disais, l'activité de greffe est en train de redémarrer. On a bien progressé en 2023, avec une hausse de 2,5 % par rapport à 2022. On est dans les couloirs de croissance. On n'est toutefois pas encore complètement revenu à la moyenne d'avant covid, qui était plus élevée, mais qui avait déjà commencé à décroître avant le début de l'épidémie. En effet, le covid n'est pas le seul responsable de la chute ; il y a aussi des problèmes au sein des hôpitaux et dans la structuration des filières d'organisation des soins.

Concernant les greffes rénales, qui constituent la majeure partie de nos greffes, environ 70 % sont issues de donneurs décédés, 16 % de donneurs vivants - elles réussissent mieux parce qu'elles sont programmées et ont un temps d'ischémie froide très faible - et 13 % de donneurs DDAC M3, c'est-à-dire les donneurs à coeur arrêté relevant de la catégorie III de la classification de Maastricht (le décès fait suite à une décision de limitation ou d'arrêt des thérapeutiques en raison du pronostic). L'augmentation de la part de greffons issus de ces deux derniers types de prélèvement était l'un des objectifs du plan greffe. Votre questionnaire nous interrogeait sur l'échec du plan précédent. Aujourd'hui, nous agissons pour développer le prélèvement multi-sources, notamment pour le don vivant au sujet duquel nous venons de publier de nouvelles recommandations. Un référent national a été nommé pour aller dans les centres hospitaliers qui sont très en deçà des objectifs, pour rencontrer les directions et les équipes, afin d'essayer de lever les freins.

On va également essayer d'avancer sur le don croisé. Comme vous le savez, la loi de bioéthique a autorisé un appariement croisé de paires de donneurs et receveurs, mais nous n'avons pas réussi à démarrer pour l'instant. Il faut en effet recevoir beaucoup de propositions en don croisé pour que ce dispositif fonctionne, d'où l'intérêt d'aller stimuler les équipes. Plus on aura d'équipes qui proposent des patients au don croisé, plus on pourra faire d'appariement de paires.

Un autre sujet important, auquel je suis très sensible au regard de mes précédentes fonctions, porte sur les inégalités d'accès à la greffe. La diapositive suivante illustre l'accès à la greffe depuis le début d'un traitement de dialyse, selon les régions. Il y a une différence importante entre l'ouest de la France et les outre-mer, par exemple. Ces inégalités territoriales sont le reflet d'inégalités, à la fois d'incidence des pathologies - avec moins de prévention et plus de surpoids et de diabète dans certaines régions de France -, et aussi d'inégalités d'accès au soin et de pratiques médicales. C'est l'un des sujets sur lesquels l'Agence se penche, pour aller sensibiliser les professionnels, car certaines pratiques médicales sont comme une double peine pour certains patients.

S'agissant des grands axes du plan, je me concentrerai sur les réponses proposées par l'Agence. L'augmentation du nombre de prélèvements d'organes est un sujet important, le nombre de greffes dépendant du nombre de greffons disponibles. Nous voulions mettre en place des infirmières en pratique avancée (IPA) mais ce n'est pas encore validé par le ministère. C'est assez compliqué et finalement, ce n'est pas forcément une bonne idée. Nous avons suggéré des solutions alternatives d'incitation ou de valorisation financière du prélèvement pour les établissements, sur le modèle espagnol, qui a bien fonctionné. C'est en discussion, mais ce n'est pas facile à construire, notamment du fait du turnover actuel dans notre ministère de tutelle. Nous espérons reprendre la discussion avec la nouvelle équipe.

Nous menons également un travail sur les coordinations hospitalières, que nous accompagnons et que nous formons. Nous faisons également des audits. Grâce au financement du plan, nous révisons actuellement les forfaits des hôpitaux. Il est très important de reconnaître l'investissement des établissements en temps et en hommes. On crée des indicateurs de performance. Nous avons mis en place un comité de suivi qui associe toutes les parties prenantes : les professionnels, les associations de patients, l'Assurance maladie, les agences régionales de santé (ARS) et le ministère, ce qui est assez novateur dans le champ de la santé publique. Des réunions sont organisées deux fois par an avec tous ces acteurs, avec des réunions préparatoires où chacun peut exposer son point de vue. Ce n'est pas simple à gérer, il y a beaucoup de heurts et d'oppositions, mais cela permet de partager les difficultés, d'essayer de trouver des solutions et de faire remonter les idées locales. Nous avons complété ce comité avec un pilotage régional, en impliquant les ARS, qui disposent désormais de référents. Nombre de blocages constatés résultent en effet des problèmes d'organisation territoriale des soins. Sans les ARS, on ne peut pas avancer sur ces sujets.

La diapositive suivante reprend les objectifs quantifiés. On a défini des couloirs de croissance qui fixent des objectifs. Les trajectoires commencent modérément, en sortie de crise, avant de devenir plus ambitieuses. Pour l'instant, l'activité s'inscrit dans les couloirs de croissance. Si elle reste au même niveau l'année prochaine, elle en sortira. Il y a donc un vrai enjeu pour arriver à transformer l'essai en 2024, ce qui n'est pas simple, compte tenu de l'état des établissements hospitaliers, certains CHU ayant un tiers de leurs blocs et de leurs services de réanimation fermés.

Je vais à présent vous parler rapidement des cellules souches hématopoïétiques. La diapositive illustre l'activité de greffe de moelle osseuse, qui est en progression en France depuis quelques années. En vert figurent les donneurs non apparentés, c'est-à-dire les donneurs que l'on va chercher, à l'étranger ou sur un registre français. En bleu sont représentés les donneurs apparentés, c'est-à-dire les greffes intra-familiales. On est à peu près à 2 000 greffes par an, avec une légère prédominance des donneurs non apparentés (55 %). Vous pouvez voir que la répartition par région est assez hétérogène. À nouveau, ce n'est pas qu'un sujet de prévalence des pathologies mais aussi un sujet d'accès aux soins.

Il faut rappeler qu'il y a plusieurs sources de cellules souches hématopoïétiques : on peut récupérer les cellules souches périphériques dans le sang par cytaphérèse, on peut effectuer un prélèvement de moelle sur l'os iliaque, ou on peut recourir aux greffons appelés « unités de sang placentaire ». Depuis plusieurs années, les greffes à base de cellules souches périphériques sont largement dominantes (80 %), ce qui se retrouve aussi au niveau mondial. On ne fait guère plus de prélèvements sur l'os iliaque : ils étaient douloureux et nécessitaient une hospitalisation du donneur.

La diapositive suivante illustre l'activité du registre sur lequel ont été inscrits environ 2 000 nouveaux patients en 2023. Nous inscrivons les personnes qui sont en attente de greffe de moelle et nous essayons de leur trouver le meilleur greffon compatible, que ce soit dans notre registre national ou à l'étranger puisque nous sommes interconnectés avec 75 registres. Par le passé, 6 % des personnes greffées en France recevaient un greffon issu d'un donneur national. Ce taux est passé à 10 %, et un objectif de 25 % a été fixé. Je ne suis pas sûre qu'on arrivera à 25 % dans deux ans et demi, mais il reste que nous sommes en progression. En revanche, point très intéressant, on a connu en 2023 une explosion de la demande pour des patients internationaux (+ 71 % de demandes). Ceci est dû à la qualité de notre registre, pour lequel on a fait le choix d'une diversification. Notre registre ne compte que 400 000 personnes, tandis que celui des Allemands en contient 9 millions, mais ce sont tous les mêmes phénotypes et les mêmes génotypes. De notre côté - c'est aussi l'histoire de la République française -, on a la chance d'avoir une population extrêmement variée et on joue sur cette diversité, ce qui fait qu'on a un registre de qualité, qui permet de répondre à des besoins internationaux. On a un objectif de masculinisation et de rajeunissement de notre registre. Les greffons sont de meilleure qualité quand vous prélevez des personnes jeunes, qui plus est des hommes. En effet, du fait des grossesses, la moelle des femmes s'immunise et est de moins bonne qualité. Aussi, à 70 %, les greffeurs privilégient plutôt les donneurs masculins. Il est possible de s'inscrire jusqu'à 36 ans, puis vous pouvez être prélevé jusqu'à 60 ans. On a encore une part importante de personnes âgées, mais on enregistre un rajeunissement significatif.

On observe par ailleurs des tensions hospitalières sur le sujet, avec un accès difficile à la cytaphérèse, pour pouvoir trier le sang, ce qui restreint l'activité. Il y a d'ailleurs une concurrence avec l'activité de CAR T-cell, qui est un traitement basé sur la modification des cellules d'un patient afin de traiter son cancer. C'est une innovation extraordinaire, mais qui repose sur les mêmes ressources que les greffes de moelle. Comme ces ressources n'ont pas augmenté, certains patients sont traités au détriment des autres. On a également des besoins en pédiatrie et dans le parcours post-greffe. On essaie de soutenir ces équipes, pour leur trouver des solutions et surtout attirer l'attention des directions hospitalières sur ces sujets un peu particuliers. Les personnes qui gèrent ces greffes sont en effet des techniciens très compétents, qui ne sont pas remplaçables facilement.

Comme vous le savez, la loi de bioéthique de 2021 a ouvert l'AMP aux couples de femmes et aux femmes non mariées. Elle a également permis l'autoconservation des gamètes à des fins non médicales et l'accès aux origines pour les enfants issus d'un don de gamètes. On est face à une véritable révolution. On a connu une explosion de la demande, qui n'avait pas tout-à-fait été anticipée au moment du vote de la loi. Sur ces nouveaux publics, on a eu plus de 30 000 demandes en deux ans et cette demande ne faiblit pas. La demande a été multipliée par huit par rapport au parcours AMP que nous connaissions précédemment, pour les couples hétérosexuels. Cette évolution a mis en très forte tension les centres. Les chiffres des demandes, des premières consultations et des premières tentatives, représentés sur la diapositive, sont tous corrélés et connaissent cette même augmentation massive. Pour ce qui est de l'âge, les femmes sont proches de l'âge limite de fertilité, avec 70 % qui se présentent après 35 ans, quand elles n'ont pas pu faire un enfant dans des conditions plus classiques. Il y a, parmi ces femmes non mariées, 7 % de femmes qui ont moins de 29 ans. On ne s'attendait pas à ce que des femmes seules aussi jeunes décident de recourir à l'AMP. En revanche, l'âge des couples de femmes est davantage distribué sur les âges classiques de procréation, comme les couples hétérosexuels.

Les nouveaux publics, c'est-à-dire les couples de femmes et les femmes seules, représentent 80 % de la liste d'attente sur les parcours d'AMP, ce qui est très significatif. Les délais sont d'à peu près 16 mois, avec des variations significatives selon les centres, hors parcours à l'étranger. Je ne connais pas les délais pour celles qui vont à l'étranger, mais c'est un point important pour les femmes seules qui atteignent ces âges limites où tous les mois comptent. On sait en effet que la fertilité chute brutalement après 38 ans.

Si le nombre de donneuses d'ovocytes continue de progresser, on n'en a toujours pas assez et on reste en tension majeure. Les délais d'attente pour un don d'ovocytes sont de presque deux ans. Et encore, il y a une restriction d'inscription sur la liste d'attente, pour réguler le flux de demande, parce qu'on sait qu'on est en pénurie majeure.

L'autoconservation est une deuxième révolution. Là aussi, la demande explose, notamment en Île-de-France, et elle ne faiblit pas. Je pense que cela va devenir presque quelque chose de routinier pour les jeunes femmes de faire conserver leurs ovocytes à 30 ans, qu'elles les utilisent ou non à l'avenir. L'expérience des autres pays européens montre qu'environ 40 % d'entre elles les utilisent. Ce stock pourrait donc constituer une source de dons d'ovocytes pour faire face à la pénurie. Une fois qu'elles ne peuvent plus les utiliser, les jeunes femmes peuvent faire le choix de les détruire ou de les donner à des couples en attente de dons. Actuellement, la hausse de la demande d'autoconservation se traduit par une forte tension dans l'accès aux soins. L'autoconservation est réservée aux seuls centres publics mais il y a une forte demande pour qu'elle soit possible dans des centres privés, sachant qu'à l'étranger, ce sont des centres privés qui gèrent l'autoconservation.

C'est surtout en Île-de-France que les délais sont importants. On est à huit mois environ pour la France entière et à quatorze mois pour l'Île-de-France. C'est cependant un délai faussé. Les professionnels expliquent en effet que la grande majorité des jeunes femmes vont à l'étranger pour faire cette autoconservation, maintenant que cela est remboursé, car elles bénéficient de délais beaucoup plus courts en Espagne. S'agissant de l'âge, il s'agit majoritairement de femmes jeunes. L'autoconservation est autorisée à partir de 29 ans et elle est en grande majorité réalisée à 35 ans, quand les jeunes femmes se rendent compte qu'elles n'ont pas encore eu une grossesse dans un contexte classique. Elles se tournent alors vers l'autoconservation, pour gagner quelques mois de préservation de leur fertilité.

J'en viens à la génétique médicale, autre sujet qui est devant nous. Les professionnels font état d'un tsunami de demandes. Les typages génétiques, de plus en plus nombreux, sont utilisés dans de multiples circonstances et deviennent de routine. Ils permettent de savoir si vous allez bien répondre à une thérapeutique, si vous avez une prédisposition à une pathologie, etc., autant d'informations qui concernent aussi vos ascendants et vos descendants. Ces tests sont très intéressants pour limiter l'errance diagnostique : on arrive en effet à poser des diagnostics pour nombre de pathologies chroniques que l'on n'arrivait pas à diagnostiquer précédemment. Cependant, l'offre de soins n'est pas encore en mesure de faire face à cette demande qui n'a pas encore été pleinement documentée. Nous ne disposons pas de chiffres comme pour l'AMP - ce sera l'un de nos objectifs pour les prochaines années - mais on voit bien qu'il s'agit de l'un des sujets de demain.

Je pense que ce propos liminaire était important pour dresser le contexte. Je vous laisserai l'ensemble des éléments que je vous ai présentés et vous pourrez aussi retrouver les données dans nos rapports d'activité. Je vous propose maintenant de balayer votre questionnaire avec le directeur médical et scientifique de l'Agence, le professeur Michel Tsimaratos, qui m'accompagne aujourd'hui.

Votre première question portait sur l'état des lieux de l'application de la loi de bioéthique. On vous donnera tous les éléments. Aujourd'hui, tous les textes sont sortis. Le dernier, sur la génétique, a été publié au Journal officiel du 31 décembre 2023.

Vous nous avez demandé ensuite un état des lieux des différents plans d'action. Je vous ai répondu sur les principaux points clés, mais nous pourrons y revenir si vous avez des questions spécifiques. Nos comités de suivi, mis en place pour les trois plans, offrent un réel apport. C'est grâce à ces comités qu'on a pu suivre en temps réel l'augmentation de la demande d'AMP et adapter les financements et les moyens disponibles pour les établissements. Un effort colossal de plus de 16 millions d'euros supplémentaires a été consenti pour accompagner la montée en puissance des centres en deux ans. C'est le dialogue permanent avec les associations de patients et les professionnels qui a permis de répondre à ces demandes.

Vous nous avez posé une question sur notre cinquième rapport d'information au Parlement et au Gouvernement. Je propose de passer la parole à Michel Tsimaratos, qui va vous détailler les points saillants.

M. Michel Tsimaratos, directeur général adjoint de l'Agence de la biomédecine chargé de la politique médicale et scientifique. - Mesdames et Messieurs, le rapport d'information au Parlement et au Gouvernement (RIPG) vise à assurer une information permanente sur les progrès de la science et de la clinique. Dans ce document, qui est paru à la fin de l'année 2023, figure une analyse des points les plus marquants et de leurs conséquences en termes d'organisation des soins, de qualité de prise en charge, d'éthique et, plus globalement, de santé publique.

Concernant la greffe, le rapport aborde l'analyse des techniques les plus prometteuses comme la xénotransplantation, qui ouvre un certain nombre de perspectives. Le rapport oriente aussi quelque peu le regard sur le fait que les risques qui sont portés par ces techniques doivent être pris en compte, notamment le risque de transmission inter-espèces d'un certain nombre de maladies et de virus, qui peuvent être intégrés au génome de l'animal utilisé comme source de ces organes. Il y a aussi l'idée que la greffe est une solution mais n'est pas une guérison. On analyse donc l'ensemble de ces techniques, à la lumière d'un parcours de maladie chronique, qui est une alternance entre la greffe et la lutte contre le rejet, d'une part, et le retour à une forme de substitution de l'organe, comme la dialyse, d'autre part. On peut aussi le faire pour un court laps de temps pour le coeur, le foie ou le poumon, mais on ne peut évidemment pas vivre avec un poumon artificiel ou un coeur artificiel très longtemps. On essaie donc de mettre en perspective toutes ces possibilités et toutes ces évolutions techniques, pour comprendre comment la greffe d'organes, marquée par la pénurie, peut bénéficier à un moment donné de techniques comme la xénotransplantation.

Il y a aussi d'autres techniques, dont vous avez peut-être entendu parler, comme CRISPR, qui permet, dans certains cas, de transformer une partie du génome du greffon qui code le mécanisme qui va générer le rejet et ainsi diminuer le risque.

Le rapport aborde également la façon dont la technique peut aider à mieux apparier le donneur et le receveur. Vous savez qu'on a tous une carte d'identité biologique, qu'on appelle le HLA (Human Leukocyte Antigen), avec un allèle qui vient de notre père et un allèle qui vient de notre mère. Lorsqu'on fait une greffe, l'incompatibilité HLA entre le donneur et le receveur va être un élément de stimulation du rejet. Plus le HLA du donneur et celui du receveur sont compatibles, moins les phénomènes de rejet vont s'activer précocement et plus la greffe va durer longtemps. Ce n'est pas le seul déterminant, mais c'est l'un des déterminants. L'amélioration des techniques de dosage de ces HLA permet de proposer aux patients des greffons avec une très forte compatibilité. C'est l'une des raisons pour lesquelles, comme Marine Jeantet vous le disait tout à l'heure, beaucoup de receveurs de greffe de moelle reçoivent une moelle qui vient de l'étranger. On va en effet chercher la meilleure identité HLA dans le monde entier, dans les 70 registres connectés.

On a aussi proposé différentes façons d'optimiser l'allocation des greffons parce que nous sommes en situation de pénurie. Marine Jeantet vous a indiqué que trois personnes décédaient chaque jour sur la liste d'attente. Jusqu'à présent, on utilisait ce qu'on appelle les scores, manière de réfléchir à l'ensemble des déterminants, pour affecter le meilleur greffon à la meilleure personne, au bon moment. Par exemple, pour gérer l'attente d'une greffe cardiaque, on va probablement être tenté de faire passer en priorité les patients les plus gravement atteints. Néanmoins, ceux qui sont les plus gravement atteints le sont parfois en raison d'une maladie globale, qui peut diminuer les chances de succès dans le temps de ces greffes. Avant l'utilisation d'un score pour la greffe de coeur, on avait l'impression que les patients qui étaient les moins gravement atteints étaient ceux qui passaient en dernier. Cette prime à la gravité ne tenait pas compte de la perspective de vie qu'il pouvait y avoir, à la suite de la greffe. L'utilisation du score nous permet donc d'intégrer un risque de décès, indépendamment de la gravité de la maladie. Ceci permet d'avoir une gestion intelligente de la pénurie. Toutes les techniques d'intelligence artificielle nous aident évidemment, puisque les scores sont en fait une préfiguration de ce que permet de faire l'intelligence artificielle.

Dans le domaine de l'embryologie et la génétique, l'assistance médicale à la procréation bénéficie aussi de progrès. Par exemple, les techniques d'imagerie à très haute définition permettent à des systèmes guidés par intelligence artificielle de sélectionner le meilleur embryon à implanter. Comme vous le savez, en France, on n'implante plus qu'un ou parfois deux embryons, pour éviter les grossesses multiples, qui ont d'autres impacts sur la santé des femmes et des enfants. L'intelligence artificielle permet d'avancer dans ce domaine.

Le rapport aborde aussi les techniques de conservation ovocytaire ou l'obtention de cellules gamétiques à partir de cellules souches. Tous ces points de progrès sont illustrés dans le rapport, de manière à permettre l'information la plus complète possible et à jour des progrès de la recherche. On vous adressera le document qui présente ces différents points.

Pour la génétique, je reviens une minute sur l'errance diagnostique. À l'heure actuelle, notre système de santé est essentiellement mobilisé autour des maladies chroniques, qui s'expriment dans la deuxième partie de la vie. Nombre de ces maladies chroniques sont découvertes au stade d'une insuffisance terminale de l'organe. Parfois, si elles sont diagnostiquées un peu plus tôt dans la vie, la prise en charge de ces pathologies peut bénéficier d'avancées techniques. Ainsi, pour le retard mental, on est aujourd'hui en mesure d'utiliser les progrès en génétique pour diminuer l'errance diagnostique et caractériser la maladie sur le plan moléculaire. Quand on caractérise la maladie sur le plan moléculaire, que cela soit pour du retard mental ou pour une maladie chronique, on est en mesure d'identifier la cible sur laquelle on peut faire porter un certain nombre de progrès thérapeutiques. L'enzymothérapie, les CAR T-cells ou les progrès de la pharmacopée permettent aujourd'hui, avec cette diminution de l'errance thérapeutique et la définition des cibles moléculaires, de préciser et de transformer la prise en charge de certaines maladies très handicapantes, par exemple la maladie de Fabry ou la maladie de Hunter. Aujourd'hui, les personnes atteintes par ces maladies peuvent suivre un chemin de vie normal, à l'aide, par exemple, d'une perfusion d'une enzyme tous les quinze jours ou tous les mois. Ces techniques permettent de transformer des personnes qui étaient jusqu'à présent une charge pour le système en des personnes actives, insérées dans la vie courante. Ce sont des points extrêmement importants, sur lesquels insiste le rapport.

Je n'oublie pas les cellules souches, et notamment les cellules souches reprogrammées, dont Marine Jeantet vous a parlé. Elle a évoqué la thérapie par cellules CAR T qui consiste à prélever les cellules cancéreuses d'une personne, identifier les épitopes - c'est-à-dire les antigènes spécifiques au cancer - et reconditionner les cellules immunitaires de cette personne pour combattre les cellules qui expriment l'épitope du cancer. On transforme alors des cellules en médicament. C'est extrêmement coûteux. Nous sommes très attachés à ce qu'on puisse se souvenir que la matière première est une matière vivante. Lorsque ces cellules-médicaments sont réinjectées aux patients, elles attaquent la tumeur et parviennent à guérir 80 % des cancers sur lesquels elles sont utilisées. Ceci ne se fait néanmoins pas sans mal, car cela crée une réaction inflammatoire extrêmement importante dans l'organisme, qui mobilise les lits des services d'oncologie, ce qui explique en partie la difficulté d'accès aux services de soins.

En matière de cellules souches, Marine Jeantet vous a parlé de la banque d'unités de sang plasmatique. On recueille le sang du cordon ombilical pour le stocker car celui-ci contient des cellules souches. Dans notre banque globale de cellules souches en France, nous avons identifié un certain nombre d'individus qui ont ce qu'on appelle une triple homozygotie, c'est-à-dire que, pour un grand nombre de gènes HLA présents chez ces individus, l'allèle hérité du père et celui hérité de la mère sont identiques. Or, ces cellules sont des cellules souches que l'on pourrait transformer en n'importe quel effecteur. On a là de quoi imaginer - ce qui pourrait venir, puisqu'on porte un projet dans ce sens - un potentiel traitement de type CAR T-cell, mais allogénique. S'il est impossible, chez un patient donné, de récupérer ses cellules pour les transformer en cellules tueuses de cancer, on pourrait prendre dans une banque de sang placentaire des cellules souches pluripotentes et les transformer en cellules tueuses pour ce patient. Cela n'existe pas pour l'instant. Ce n'est que de la recherche, mais le sujet apparaît dans notre rapport au Parlement et au Gouvernement.

Nous avons le projet de construire une banque publique de cellules souches pluripotentes induites (IPS). Il n'y a actuellement aucune banque publique au monde, toutes sont privées. C'est l'un des projets que l'on voudrait proposer à notre nouveau ministre, en lien avec l'Établissement français du sang (EFS), car celui-ci est dépositaire de nos unités de sang placentaire. C'est assez intéressant en termes de recherche et de potentiel, car on a la matière première. Ce serait en outre une manière de valoriser l'excellence de la recherche française.

Vous avez ensuite posé une question sur les activités de prélèvement et de greffe d'organe. Je pense que je vous ai déjà répondu sur le sujet. Vous aurez le détail dans la documentation.

Il y avait aussi une question sur les scores. Michel Tsimaratos vient d'en parler.

Une question porte sur les dons croisés. Pour l'instant, on est encore un peu au milieu du gué, car on n'a pas assez de propositions, mais on y travaille. C'est un peu le même problème qu'avec le don du vivant en termes de disponibilité hospitalière, avec la difficulté supplémentaire qui résulte de la nécessité de disposer simultanément de deux blocs. Cette contrainte logistique est aggravée par les tensions actuelles dans les unités de soins des hôpitaux. Néanmoins, elle n'est pas le problème principal, celui-ci étant l'insuffisance des propositions pour faire des appariements.

Une question porte sur l'âge des donneurs. Cet âge augmente, on prélève de plus en plus tard, même jusqu'à plus de 80 ans. Vous pouvez mourir à 80 ans et avoir des reins en parfait état. Si des personnes de 70 ans ou de 65 ans ont besoin d'être greffées, cela est toujours préférable au traitement par dialyse. Néanmoins, l'impact n'est pas négligeable en termes de gestion. En effet, une personne âgée a plus de pathologies chroniques associées à des comorbidités. On a donc adapté toutes les recommandations à destination des préleveurs, pour qu'ils puissent qualifier les dons. Ainsi, avoir un cancer ne signifie pas que l'on n'est pas prélevable. Tout dépend du type de cancer dont il s'agit. Certains organes ne sont pas touchés par le cancer et sont sans risque de transmission.

À la question portant sur la baisse du nombre des personnes en mort encéphalique, qui étaient la principale source de donneurs, je vous ai indiqué qu'on a déployé le protocole Maastricht 3, qui progresse vraiment bien. C'est une bonne nouvelle, même si c'est également très mobilisateur de ressources.

Pour la question portant sur les greffes composites et les nouveaux types de greffes, je laisse la parole à mon collègue.

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