Monsieur le commissaire, nous sommes heureux de vous recevoir aujourd'hui, au Sénat, pour une audition commune devant la commission des affaires sociales, présidée par Philippe Mouiller, que je salue, et la commission des affaires européennes, que j'ai l'honneur de présider.
Notre commission avait déjà pu échanger avec vous en mai 2021, mais en visioconférence en raison des restrictions que nous imposait alors la pandémie de covid-19. Nous sommes donc heureux de poursuivre ce dialogue, dans l'enceinte du Sénat, sur les enjeux de l'Europe sociale, que suit de près notre commission.
Le sommet social de Val Duchesse s'est tenu il y a une semaine, presque quarante ans après celui qui avait été organisé en janvier 1985 sur l'initiative de Jacques Delors, dont je salue de nouveau la mémoire, et qui avait donné naissance au dialogue social européen. L'Europe sociale reste un défi d'actualité.
En effet, les crises successives qu'a traversées l'Europe ont accentué les écarts et les inégalités sociales à l'intérieur des États membres et entre eux. La fragmentation du marché du travail, qui participe au phénomène de dumping social, ainsi que le taux de pauvreté dans l'Union européenne, se sont aggravés : en 2022, plus de 95 millions d'Européens vivent sous le seuil de pauvreté. La construction d'une Europe sociale représente ainsi un enjeu majeur pour élever les standards sociaux dans tous les pays membres de l'Union européenne et contribuer à renforcer la solidarité entre les peuples européens.
Notre commission des affaires européennes s'est intéressée aux différentes facettes de ce défi ces derniers mois. Elle a appelé à un plan d'action ambitieux pour donner corps au socle européen des droits sociaux et elle a notamment marqué son soutien à la proposition de directive sur les salaires minimaux. Pourriez-vous, monsieur le commissaire, dresser le bilan de la Commission européenne, à l'approche de sa fin de mandat, concernant la mise en oeuvre de ce plan d'action ? Où en est-on de la transposition de la directive sur les salaires minimaux dans les États membres ?
Je souhaiterais également revenir sur le sommet de Val Duchesse évoqué précédemment, dont il a été fait très peu de communication alors qu'il avait pour objectif la relance du dialogue social en Europe. Qu'en est-il ? Pourriez-vous nous en dire plus sur les principales conclusions de ce sommet et leur mise en oeuvre concrète, notamment pour remédier aux pénuries de main-d'oeuvre dont souffrent deux tiers des PME européennes ?
Nous sommes également désireux de vous entendre sur un autre sujet majeur sur lequel notre commission des affaires européennes a travaillé dans le détail : la proposition de directive sur les travailleurs de plateformes, publiée en décembre 2021 par la Commission européenne. Sur l'initiative de notre commission, le Sénat a adopté, le 14 novembre 2022, une résolution pour soutenir la nécessité d'un cadre juridique régulant le développement des plateformes et encadrant les conditions de travail de ces travailleurs, dont le nombre devrait s'élever à 43 millions en 2025. Ce texte fait, depuis plusieurs mois, l'objet de négociations difficiles, notamment au sujet du mécanisme de présomption légale de salariat qui cristallise toutes les oppositions.
D'après nos informations, la dernière version - négociée avec le Parlement il y a quelques jours seulement - opérerait un changement total d'approche concernant la présomption légale de salariat : elle confierait au niveau national la mise en place des mécanismes de présomption légale sur la base de principes généraux européens et d'exigences minimales, en abandonnant ainsi le système des critères harmonisés qui figurait au coeur de la proposition de directive. Pourriez-vous nous le confirmer ? Ne faut-il pas craindre des divergences entre les mécanismes mis en place par les États membres, ce qui inciterait les plateformes à rechercher les législations les plus favorables ?
Je souhaiterais enfin dire un dernier mot sur un texte important, également en cours de négociation : la révision des règlements sur la coordination des régimes de sécurité sociale. Ce texte, proposé en 2016, n'a toujours pas abouti. Il semblerait que la présidence belge soit sur le point d'abandonner l'affaire alors que ce texte porte l'ambition essentielle de lutter contre le dumping social au sein de l'Union européenne. Quelle est la position de la Commission européenne sur ce texte ? Son adoption avant la fin de la mandature est-elle encore possible ?
Les deux derniers textes que je viens de citer font l'objet de négociations ardues qui illustrent les lignes de fracture existant entre les États membres, reflets de la diversité des modèles sociaux. Comment surmonter ces lignes de fracture, qui sont finalement autant de freins au renforcement de l'Europe sociale ? Peut-on être optimiste sur la poursuite de la convergence sociale au sein de l'Union européenne, à la veille d'un éventuel élargissement qui verrait entrer dans l'Union un certain nombre d'États aux standards économiques et sociaux encore plus éloignés des nôtres ?