Il faut prendre en compte le fait que lors de son éventuel second mandat, Donald Trump sera mieux préparé, probablement plus agressif et plus polarisant que lors de son premier mandat.
Selon un scénario positif, les Européens n'auront plus le choix et devront prendre leur destin en main : nous devons assumer notre responsabilité stratégique et investir ensemble. Mais selon un scénario dangereux, que nous ne pouvons pas exclure, nous courons le risque de la bilatéralisation. Donald Trump fera tout pour diviser les Européens, en essayant de conclure des accords bilatéraux pour diviser et convaincre ceux qui seront tétanisés à l'idée de perdre la garantie de l'article 5 du traité de de l'Atlantique Nord et en tentant de faire du transactionnel, comme il l'a fait pendant son premier mandat. Il faudra protéger la cohésion et l'unité des Européens pour éviter de tomber dans ce piège du transactionnel et de la bilatéralisation. Il peut y avoir un sursaut mais également de grosses divisions, surtout en cas de menaces commerciales de la part de Donald Trump.
J'ai été ambassadeur de France en Turquie pendant presque cinq ans, avant de prendre mes fonctions au SEAE. J'ai fait vivre la relation franco-turque, qui n'était pas toujours facile. C'est très souvent la Turquie qui bloque la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne car elle ne reconnaît pas Chypre. Mais comme elle n'est pas membre de l'Union européenne, elle ne nous empêche pas de développer notre propre agenda de défense. En revanche, lorsque je me rends à l'OTAN, je rencontre un ambassadeur se plaignant du fait que la Turquie n'est pas assez associée à notre agenda européen.
Le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan ne nous a pas empêchés de mettre en place une mission civile en Arménie, qui compte plus de 200 personnes. Nous avons renforcé ses effectifs et elle fait du bon travail : sa présence a eu un effet dissuasif. Certes, les hostilités pourraient reprendre, notamment à l'initiative de Bakou. Nous avons effectué 1 700 patrouilles en un an et sécurisons la situation sur le terrain. J'espère que nous ne sommes pas dans un nouvel engrenage. Nous soutenons toutes les initiatives, notamment celle du Président Charles Michel, pour aboutir à un accord de paix entre ces deux pays.
Je prends note de la réaction du Sénat cet après-midi à la suite des propos du Président de la République. Cela ne modifie pas notre agenda. Il y a un conflit en Ukraine, et nous devons soutenir l'Ukraine aussi longtemps que nécessaire - Josep Borrell disait, « whatever it takes ». C'est presque « quoi qu'il en coûte » : le coût d'une défaite ukrainienne serait pour nous bien supérieur à celui que nous payons pour la soutenir. Nous sommes plus que jamais aux côtés de l'Ukraine. Les différentes options stratégiques et militaires ont été débattues lundi soir à l'Élysée et engagent les États, non l'Union européenne en tant que telle. Tout en respectant les opinions des uns et des autres, je m'en tiendrai à mon devoir de réserve. Cela ne change pas notre trajectoire : par tous les moyens, nous sommes résolus à soutenir l'Ukraine.
Dans les Balkans, nous sommes engagés au travers de la politique de sécurité et de défense commune. Nous avons une mission en Bosnie et une au Kosovo, qui réalisent un très bon travail. Mais il existe dans les Balkans occidentaux des interférences très fortes venant de Chine, de Turquie et de Russie. Il est important d'arrimer ces pays à l'Europe et de relancer les négociations d'adhésion. Ce qui s'est passé en Ukraine, en Géorgie et en Moldavie a alerté les Balkans. Nous devons relancer cette dynamique. Il n'y a pas d'autre choix pour l'Europe que d'aider ces pays à se rapprocher de nous. Nous les aidons massivement financièrement et leur demandons de s'aligner sur notre politique étrangère. Nous savons qu'il y a un contournement des sanctions, notamment en Serbie. J'ai lu aussi les déclarations appelant à une protection de la minorité russe en Transnistrie. Nous aidons beaucoup la Moldavie et avons lancé une mission sans précédent. Pour la première fois, nous avons lancé une mission pour traiter les menaces hybrides, en un temps record. Nous aidons le pays à se doter de capacity building, c'est-à-dire de mécanismes pour détecter, analyser et attribuer les attaques cyber et hybrides en provenance de Russie. Mais je souscris à vos propos, ces déclarations sont inquiétantes.