Monsieur le secrétaire d'État, vous avez eu le courage de répondre le plus rapidement possible à une situation très difficile, mettant en péril - le terme n'est pas trop fort - l'avenir même de ce parc, symbole du midi de la France. Et ce n'est pas l'éminent maire de Marseille, ici présent, qui me démentira !
En effet, la Camargue est considérée comme l'une des plus grandes zones humides d'Europe et se caractérise par la richesse biologique de ses écosystèmes et la présence d'une avifaune très diversifiée, car elle se situe sur l'axe de migration des oiseaux du nord de l'Europe.
Mais ces espaces naturels ont été très largement façonnés par la main de l'homme, à partir du xixe siècle, avec l'endiguement des bras du Rhône et la construction de digues à la mer pour protéger la terre des inondations.
Cela a eu pour conséquence la suppression d'apports réguliers en eau douce et limons, fournis initialement par le fleuve. Pour maintenir ces espaces naturels et développer l'agriculture, un réseau hydraulique complexe a été mis en place, avec l'installation de stations de pompage et le creusement de canaux d'irrigation, mais aussi d'assainissement.
La Camargue, site naturel d'intérêt majeur, est donc un milieu artificiel géré par l'homme et dépendant étroitement des activités qui y sont pratiquées : la riziculture, l'élevage, mais aussi la saliculture.
Au sein du parc naturel régional, des démarches de qualité sont développées et reconnues, au travers, notamment, de deux appellations d'origine contrôlée que vous connaissez sans doute : « riz de Camargue » et « taureau de Camargue », cette dernière étant la deuxième appellation d'origine contrôlée pour la viande, après le « fin gras du Mézenc » dans la Haute-Loire, bien connue de mon collègue Adrien Gouteyron.
De nombreuses protections et reconnaissances, tant nationales qu'internationales, confirment ce caractère exceptionnel. Ainsi, depuis 1927, le site de Vaccarès, d'une superficie de 13 000 hectares, est protégé et est devenu site classé en 1942, puis réserve nationale en 1975.
La protection de la Camargue se traduit également par des acquisitions foncières conduites par le département des Bouches-du-Rhône, grâce au produit de la taxe départementale sur les espaces naturels sensibles, et par le Conservatoire du littoral, propriétaire ou affectataire de plus de 15 000 hectares sur le territoire du parc.
Le parc naturel régional, dont la quasi-totalité du territoire est couvert par des sites Natura 2000, est responsable de l'élaboration du document d'objectifs.
La reconnaissance internationale s'est notamment traduite par le classement, en 1977, de la Camargue en réserve de biosphère, réseau coordonné par l'UNESCO, et par l'adhésion, en 1986, à la Convention de Ramsar, ville située en Iran, sur les zones humides.
Pour mieux faire comprendre la menace qui pèse, à très court terme, sur l'existence même du parc naturel régional, je rappelle que sa structure gestionnaire aurait dû, depuis de nombreuses années, évoluer dans ses statuts, mais que des oppositions fortes de la part de certaines personnes ont entraîné une série de recours contentieux, successivement perdus par le parc. Il faut le dire, le blocage institutionnel est aujourd'hui total.
Le parc naturel régional de Camargue, troisième dans la chronologie des parcs, a été créé en 1970 et il est géré par une fondation, reconnue d'utilité publique en 1972. Il s'agissait alors de réunir les grands propriétaires, mais aussi l'ensemble des collectivités et acteurs locaux, à savoir les exploitants, les pêcheurs et les chasseurs, soucieux de préserver la qualité emblématique d'un territoire face à de grands projets d'aménagement, comme Fos-sur-Mer ou le Cap d'Agde.
On parlait à l'époque du « Parlement de Camargue », et son rôle a été essentiel dans la mise en valeur du territoire : le classement du parc naturel régional a été ainsi renouvelé en 1998, pour dix ans, avec une charte révisée.
Toutefois, mes chers collègues, la fondation a ensuite été confrontée à de multiples difficultés juridiques, comptables et budgétaires. De plus, il est apparu très difficile de maintenir le statut privé d'un organisme ne bénéficiant quasiment que de fonds publics, d'autant que la loi du 2 février 1995, dite « loi Barnier », a posé le principe, pour les nouveaux parcs naturels régionaux, du recours à un syndicat mixte pour leur gestion.
Tant l'administration centrale que la majorité des acteurs locaux ont tenté de faire évoluer le statut de l'organe gestionnaire du parc, tout en préservant sa spécificité historique, à savoir la très forte implication des propriétaires fonciers.
Ainsi, en décembre 2001, est créé un groupement d'intérêt public par arrêté préfectoral, repris par un arrêté interministériel de janvier 2003, le budget et le personnel de la fondation lui étant transférés. Mais la procédure de retrait d'utilité publique, puis de dissolution de la fondation n'ayant pas été engagée, cela laissait coexister deux structures sur le même territoire, pour exercer des compétences identiques, ce qui était source d'une très grande complexité.
De plus, les deux arrêtés de création du groupement d'intérêt public font l'objet de recours contentieux et ont tous les deux été annulés, l'arrêté préfectoral pour vice de forme, et l'arrêté interministériel au motif qu'en cas de changement de l'organe gestionnaire du parc le nouvel organisme doit être impérativement un syndicat mixte.
L'étape suivante est le décret du 9 novembre 2004, qui transfère la gestion du parc naturel régional à un syndicat mixte créé par l'arrêté préfectoral du 1er décembre 2004.
Les deux structures, à savoir la fondation et le syndicat mixte, continuent de coexister de fait, la première dans des conditions de régularité douteuses et sans réels moyens, et la seconde, avec un budget et des personnels. Mais les difficultés quotidiennes de fonctionnement sont importantes, les locaux du parc naturel régional restant propriété de la fondation et ne faisant pas l'objet d'une convention de mise à disposition.
En outre, le feuilleton judiciaire se poursuit : le décret du 9 novembre 2004 est annulé par le Conseil d'État en février 2007 au motif que le changement d'organisme gestionnaire d'un parc naturel régional constitue parallèlement une révision de la charte, laquelle devait donc être assurée par l'organisme gestionnaire historique, en l'occurrence la fondation.
Le recours contre l'arrêté préfectoral de création du syndicat mixte est pendant devant le tribunal administratif de Marseille, mais, selon toute vraisemblance, cet arrêté sera aussi annulé, la décision risquant de tomber avant la fin de l'année.
Pour l'instant, et ce depuis février 2007, le parc naturel régional expédie les affaires courantes et, ceci mérite d'être souligné, le trésorier-payeur général a accepté de payer les trente-sept personnes qui y sont salariées. Cependant, si l'arrêté de création du syndicat mixte est annulé, celui-ci devra être mis en liquidation, ce qui entraînera le licenciement du personnel. Le coût social est d'autant plus inacceptable que, comme j'ai pu moi-même le constater, les salariés sont très attachés au parc et à son développement. Ce sont aussi toutes les conventions de gestion signées par le parc naturel régional en matière agricole, de lutte contre les inondations ou, encore, d'accueil du public qui tomberaient, ce qui porterait gravement préjudice à la Camargue.
En outre, il faut le rappeler, le classement du parc naturel régional a été renouvelé jusqu'au 20 février 2008 seulement. Si, à cette date, aucune procédure de révision de la charte n'est en cours, le parc perdra son label « parc naturel régional ».
Mes chers collègues, avec le projet de loi que nous présente aujourd'hui M. le secrétaire d'État, le Gouvernement prend acte de cette impasse juridique, qui interdit de recourir à la procédure de droit commun pour réviser la charte du parc et modifier le statut de la structure gestionnaire. Il prend acte également de l'accord auquel sont parvenues l'ensemble des parties prenantes réunies sur place, grâce à l'engagement sans faille de M. le ministre Jean-Louis Borloo, le 2 août dernier.
Au travers de la volonté de concertation, de dialogue et de la force de conviction dont le M. le ministre a fait preuve, je constate une fidélité à l'esprit même des parcs naturels régionaux, qui, vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, ont été créés voilà quarante ans, le 1er mars 1967, par un décret du général de Gaulle. Pour la petite histoire, celui-ci l'aurait signé dans sa DS noire, entre l'Élysée et Orly.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je rappellerai, pour étayer mon propos, cette déclaration d'Henri Beaugé, dont nombre d'entre nous se souviennent. Responsable à la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, il fut l'un des initiateurs des parcs naturels régionaux. Personne n'a oublié son engagement exceptionnel dans la Résistance, pour lequel il fut promu commandeur de la Légion d'honneur, et il reçut la Croix de guerre avec palme. En 1966, à Lurs, en Provence, ce précurseur visionnaire déclarait ainsi : « Pour protéger, il faut d'abord convaincre. C'est la méthode la plus longue, la plus dure, mais aussi la plus solide, la plus démocratique et la plus digne. »
Oui, le Gouvernement a osé agir, afin de sortir ce parc exceptionnel de l'impasse. Il a su apporter une vraie réponse à ce constat que Sénèque faisait en son temps : « Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles. » Vous et vos collaborateurs avez osé, monsieur le secrétaire d'État, et il fallait un certain courage, en posant des principes essentiels pour donner un cadre général.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement stabilise la structure juridique actuelle du parc, en proposant notamment plusieurs avancées.
Il s'agit, premièrement, de valider les actes juridiques passés par le syndicat mixte depuis sa création.
Il s'agit, deuxièmement, de reconnaître le syndicat mixte comme unique organe gestionnaire du parc naturel régional, nonobstant toute disposition contraire, ce qui permet de remplacer, dans la charte du parc, la mention « fondation » par la mention « syndicat mixte ».
Il s'agit, troisièmement, d'aménager la composition du syndicat mixte, par dérogation à l'article L. 5721-2 du code général des collectivités territoriales, pour que les propriétaires soient membres du comité syndical au travers de la désignation de trois délégués par le syndicat mixte de gestion des associations syndicales du pays d'Arles, lequel représente notamment les associations de propriétaires gestionnaires du système hydraulique de Camargue.
Enfin, il s'agit, quatrièmement, de prolonger jusqu'au 18 février 2011, c'est-à-dire pour trois ans, la durée de validité du classement du parc naturel régional de Camargue, afin de laisser au syndicat mixte le délai nécessaire pour réviser la charte.
La commission des affaires économiques a adopté à l'unanimité ce projet de loi de circonstances, assorti d'un amendement rédactionnel, car elle est convaincue que c'est la seule voie possible pour sortir le parc naturel régional de Camargue de l'impasse juridique dans laquelle il se trouve.
En tant que rapporteur, j'ai pris soin de recevoir l'ensemble des acteurs concernés et de les écouter attentivement.