Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 22 février 2010 à 14h30
Accord international de 2006 sur les bois tropicaux — Adoption d'un projet de loi

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous ne pouvons qu’approuver une convention visant à concilier le commerce des bois tropicaux avec la préservation des forêts, qui jouent un rôle majeur dans l’équilibre écologique de la planète.

Pour cela même, nous ne pouvons nous contenter d’un geste de bonne conscience, sans prendre la mesure de notre responsabilité quant aux conditions de réussite des objectifs visés dans cette convention.

J’ai donc souhaité intervenir ici pour souligner quelques réalités qui doivent nous engager à une certaine humilité et à plus de volontarisme dans l’action.

Par ailleurs, en tant que sénateur de la Guyane, vous me permettrez, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, d’apporter une rectification essentielle sur ce qui a été dit durant l’examen du texte en commission, concernant la gestion de la forêt guyanaise.

Je voudrais, par la même occasion, éclairer mes collègues sur la position particulière de la France en tant que pays à la fois consommateur et producteur de bois tropicaux – le seul de toute l’Union européenne, grâce à la Guyane.

Nous évoluons aujourd’hui dans un contexte où les contradictions entre les intérêts économiques des pays du Nord et les enjeux écologiques de toute la planète se heurtent, comme nous l’avons vu pour le paquet « énergie-climat », et, encore récemment, à Copenhague.

Dans ce contexte, force est de le constater, pour sauver la planète et, partant, pour préserver les intérêts des pays industrialisés qui peinent à transformer leurs pratiques, les pays du Sud reçoivent l’injonction d’épargner leurs ressources.

Ce faisant, ils limitent leur croissance économique et endossent la fonction de variable d’ajustement des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.

Ces contraintes semblent inévitables. Mais nous ne pouvons ignorer l’insupportable servitude par laquelle un continent comme l’Afrique, par exemple, tout en étant le moins pollueur de la planète, est aussi le plus affecté par les changements climatiques et le plus contraint dans ses stratégies de développement économique. Au départ, il était contraint à la déforestation au profit de cultures à grande échelle répondant aux besoins des pays industriels. Désormais, il doit reboiser pour limiter les dégâts perçus toujours trop tard.

Chaque fois, on agite le spectre d’un retrait des aides au développement, des sanctions financières du FMI, ou des embargos sur les produits. Cela n’est pas très satisfaisant.

Aujourd’hui, un dispositif alléchant se met en place avec les marchés internationaux de CO2, mais ce dispositif est utilisé par certaines compagnies comme un droit de polluer, perpétuant ainsi la perversion des rapports entre le Nord et le Sud.

Nous devons donc véritablement agir sur deux plans : légiférer avec rigueur et aider avec justesse les pays concernés.

Ce n’est pas tout de le dire. Certes, l’accord de 2006 instaure un fonds pour financer des projets forestiers durables. Le Parlement européen, à l’occasion de sa propre signature de l’accord, a demandé aux États membres de l’Union d’accroître les ressources financières consacrées à l’exploitation écologiquement responsable des forêts tropicales. Toutefois, l’alimentation de ce fonds, de même que l’aide au développement restent aléatoires en temps de crise.

Par ailleurs, sur le terrain, les situations à gérer sont complexes.

Par exemple, il y a quelque chose d’anachronique dans le parcours des grumes du Brésil, exportées en Chine afin d’être transformées, puis en Europe sous forme de produits finis.

Certains pays ont des difficultés réelles à répondre à toutes les exigences d’une gestion durable des forêts ou d’une chaîne de production complète du bois.

Ainsi, des États qui s’y sont efforcés, comme le Ghana, passent par des périodes de surcapacité, de mise à mal des petits exploitants et de surendettement. Tout récemment, le Congo a décidé d’interdire l’exportation de bois illégal, créant ainsi une grande panique chez tous les professionnels du secteur.

Il ne suffit donc pas d’imposer des labels et des certifications, de contraindre les marchés publics, ou d’inciter à la transformation sur place des grumes pour obtenir des résultats satisfaisants.

Je conclus sur ce premier point, en espérant avoir été compris : j’approuve pleinement cet accord international dans la mesure où il est assorti d’une action concrète des États consommateurs, dans l’accompagnement du développement des pays producteurs aux économies les plus fragiles. C’est ainsi qu’il faut faire disparaître cette part de production illégale, avec, en perspective, la seconde étape du protocole de Kyoto, après 2012.

J’en viens tout naturellement au second point, la gestion de la forêt guyanaise.

Tout d’abord, monsieur le rapporteur, permettez-moi de rectifier ce qui est écrit en toutes lettres dans le compte rendu de la commission des affaires étrangères du 3 février dernier. Je ne peux pas laisser dire et encore moins écrire une telle phrase : « La forêt guyanaise est de faible qualité, difficile à exploiter, ce qui n’empêche pas sa dévastation par les clandestins brésiliens. »

Ces propos sont d’un autre temps, monsieur Beaumont, et témoignent, sinon d’une ignorance incompréhensible, du moins d’un préjugé hautement nuisible pour la Guyane, s’agissant de déclarations mises à la disposition du public.

N’étant pas expert en bois tropicaux, je me suis adressé au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, le CIRAD. Je tiens de M. Jacques Beauchêne, chercheur et responsable du laboratoire de sciences du bois au CIRAD de Guyane, les précisions suivantes : « Pour la plupart des gens qui connaissent le sujet, la forêt guyanaise est bien supérieure à n’importe laquelle des forêts tempérées. Il est aussi maintenant admis que la diversité interspécifique – en Guyane, elle est de 200 à 300 espèces à l’hectare – est de loin le potentiel le plus important de la mise en valeur des forêts tropicales. L’exploitation de la forêt guyanaise n’est ni plus ni moins difficile que celle des autres forêts tropicales. »

Les forêts du Brésil, du Surinam, du Guyana ou du Venezuela ne sont pas affublées de ce qualificatif de « faible qualité » ; celui-ci n’échoit qu’à la forêt de la Guyane française, située pourtant sur le même plateau morpho-géologique que les autres, avec la même géographie, le même relief et le même climat. Ne trouvez-vous pas cela étrange, chers collègues ?

Toujours d’après le CIRAD, la forêt guyanaise relève d’une gestion exemplaire et unique en zone tropicale. C’est un organisme de renom, l’Office national des forêts, qui a en charge 5, 5 millions d’hectares sur les 8 millions d’hectares de forêt du département, et qui, d’ailleurs, travaille actuellement sur les deux grandes certifications forestières existantes, le PEFC, ou programme de reconnaissance des certifications forestières, et le FSC, le conseil de bonne gestion des forêts.

S’agissant de l’exploitation, en Guyane, le prélèvement par hectare est faible – de deux à trois arbres par hectare – et se situe en deçà des limites admises pour un renouvellement naturel de la forêt – de quatre à cinq arbres par hectare. Les rotations sont longues, la pause dure au minimum soixante-cinq ans. Les zones d’exploitation sont sélectionnées avec soin et il existe désormais d’importantes zones protégées.

En revanche, si la destruction de la forêt est bien réelle et grave, cela est dû non pas à une exploitation illégale du bois mais à l’orpaillage clandestin, comme vous devez le savoir.

Ces rectifications étant faites – il était essentiel qu’elles le soient de façon officielle –, je souhaiterais maintenant m’adresser à vous, monsieur le secrétaire d’État.

La Guyane représente 8 millions d’hectares de forêt primaire, certifiée d’un seul tenant, 1 200 espèces d’arbustes recensées – pour 130 en métropole – et un potentiel de prélèvement allant jusqu’à 5 tonnes de bois par hectare, sans impact négatif sur l’environnement.

La gestion forestière en Guyane est irréprochable sur le plan écologique. Vous en comprenez tout l’intérêt face aux enjeux de ce projet de loi.

Sur le plan économique et humain, en revanche, son exploitation ne suffit même pas à couvrir les besoins locaux. Or ce n’est pas à cause d’une faible qualité ni de difficultés insurmontables d’exploitation, que la filière forêt-bois en Guyane est à peine développée, c’est en raison de freins technologiques, c’est-à-dire financiers, d’obstacles réglementaires et d’un manque de formations adaptées de la ressource humaine aux particularités de cette forêt.

La filière – le bout de la filière – mobilise aujourd’hui de 700 à 800 emplois et produit 65 000 mètres cubes de bois par an.

Or des études scientifiques ont établi, sur la base de scénarios réalistes, que la Guyane pourrait porter l’ambition, d’ici à 2030, de créer 10 000 emplois supportés par une filière forêt-bois performante.

À titre d’exemple, Bernard Thibaut, directeur de recherche au CNRS, a montré, en 2009, que, sur la base d’une exploitation écologiquement responsable d’un million d’hectares étalée sur soixante-cinq ans, en zone Nord de la Guyane, proche des concentrations d’habitat, soit 15 000 hectares parcourus par an pendant soixante-cinq ans, on pourrait produire 700 000 tonnes par an de bois, lui-même fournissant 200 000 mètres cubes de matériaux – poteaux, sciages et placages –, 400 000 tonnes de combustible et 1 000 tonnes de molécules.

Sur le plan réglementaire, le bois commercialisé de Guyane répond à l’exigence du marquage « Communauté européenne » ou marquage « CE », comme des autres certifications.

Il est cependant handicapé par le non-référencement de certaines essences et la non-adaptation des normes de construction aux conditions climatiques locales.

Cependant, ces contraintes ouvrent des perspectives à terme pour les bois de Guyane, qui ont toutes les chances, face aux bois tropicaux étrangers, de mieux répondre aux garanties exigées par la Communauté européenne.

Dans le cadre des négociations internationales concernant l’accord sur le climat pour l’après-2012, la Commission européenne ambitionne de stopper la diminution de la couverture forestière de la planète en 2030, au plus tard, et de réduire la déforestation tropicale brute d’au moins 50 % d’ici à 2020.

Il est important que ces démarches prennent en compte la situation de la forêt guyanaise. Il est vital que les bois guyanais parviennent non seulement à couvrir les besoins internes mais aussi à trouver des débouchés naturels dans les départements d’outre-mer, l’Hexagone, l’Europe, ou ailleurs.

Monsieur le secrétaire d’État, la France ne peut pas faire moins pour sa propre forêt tropicale que ce qu’elle s’engage à faire pour les bois tropicaux étrangers.

Quel avenir espérer pour la filière forêt-bois en Guyane ? Quelles mesures concrètes seront prises pour favoriser ce modèle de développement responsable, qui peut faire de la France, grâce à sa forêt guyanaise, un exemple pour la planète ?

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