Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 22 février 2010 à 14h30
Action extérieure de l'état — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Heureusement, la commission des affaires étrangères, sur l’initiative conjointe de son rapporteur et du groupe socialiste, a réintroduit les dotations de l’État, que votre projet de loi avait écartées, et les a placées au premier rang des ressources de l’Agence. Mais, au regard de la dégradation des crédits affectés au ministère, confirmée la semaine dernière encore à l’occasion de l’adoption du collectif budgétaire, on peut douter de l’effectivité de la correction apportée.

Selon notre groupe, le statut d’établissement public administratif paraît plus adapté s’agissant d’un établissement public chargé d’une mission de nature régalienne, telle que la culture. Nos amendements tenteront d’y remédier.

À l’évidence, la création de la nouvelle Agence ne suffira pas à donner sens et visibilité à notre action culturelle à l’étranger si elle ne s’accompagne pas de mesures fortes dans trois directions : une stratégie claire, des moyens adaptés et un fort investissement dans la gestion des personnels.

Tout d’abord, la création de cette agence ne dispense évidemment pas l’État de définir les objectifs stratégiques de notre diplomatie culturelle. Or, à cet égard, on peut avoir des inquiétudes. D’ores et déjà, en matière d’audiovisuel extérieur, le ministère des affaires étrangères et européennes a renoncé à son rôle de pilotage au profit d’une société holding, malgré l’extrême importance de ce secteur pour notre influence culturelle et linguistique.

Avec la création de la nouvelle Agence, ne risque-t-on pas d’aboutir également à un organisme largement autonome, sans véritable pilotage stratégique ?

La création du Conseil d’orientation stratégique, sur l’initiative de notre commission, va dans le bon sens, à condition que le ministre des affaires étrangères et le ministre de la culture y travaillent vraiment de concert et réussissent l’harmonisation des objectifs et l’addition de leurs réseaux, ce après quoi l’on court depuis des années.

Malheureusement, vous n’avez pas retenu l’une des recommandations du rapport conjoint des présidents Josselin de Rohan et Jacques Legendre visant justement à assurer le pilotage stratégique : la création d’un secrétariat d’État chargé de l’action culturelle, de l’audiovisuel extérieur et de la francophonie.

La seconde question que pose avec acuité ce projet de réforme est celle des moyens consacrés à l’action culturelle extérieure.

L’ensemble des crédits consacrés à notre diplomatie culturelle représentent actuellement pour l’État un montant évalué à 136 millions d’euros, soit un montant inférieur à ceux de la Bibliothèque nationale de France ou de l’Opéra de Paris, dont je ne conteste bien entendu pas l’utilité.

Monsieur le ministre, vos crédits n’en finissent pas de fondre ; et ce mouvement s’est accéléré en 2009, avec une baisse des subventions de 20 % à 30 % en moyenne. Aujourd’hui, la plupart des conseillers culturels et des directeurs de centres ou d’instituts en sont réduits à faire des économies de bouts de chandelle pour financer l’acquisition de quelques livres ou DVD.

Vous nous avez annoncé, certes, avoir obtenu une enveloppe exceptionnelle de 40 millions d’euros supplémentaires. Mais cette enveloppe ne sera pas suffisante, à elle seule, pour compenser la baisse programmée des crédits consacrés à l’action culturelle extérieure, qui devraient être réduits d’un quart entre 2009 et 2011.

Disons les choses clairement : depuis des années, la cure d’amaigrissement budgétaire imposée à votre ministère se fait régulièrement aux dépens de l’action culturelle extérieure. Comment croire, dès lors, que celle-ci figure tant soit peu au rang des priorités de votre ministère ?

Dans le même temps, nos principaux partenaires en Europe – Britanniques, Allemands, Espagnols... – ont pris le chemin inverse et augmentent fortement les crédits consacrés à leur action culturelle à l’étranger. Même la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, ne manque pas de souligner l’importance de la diplomatie dite « de l’intelligence ». Notre pays sera-t-il le seul à y renoncer ?

Le troisième impératif de la réforme est l’engagement d’une nouvelle politique de gestion des ressources humaines, un sujet sur lequel votre texte initial faisait étrangement l’impasse.

À l’inverse des employés de l’Institut Goethe ou du British Council, les personnels de nos centres et instituts ne peuvent pas faire carrière dans le réseau culturel. Or on ne devient pas, du jour au lendemain, conseiller culturel ou directeur de centre ou d’institut. C’est un vrai métier, qui demande une formation adaptée et qui devrait permettre à ces agents de valoriser leurs compétences au cours d’un véritable parcours professionnel.

Arbitraire des nominations, insuffisance des formations aux tâches indispensables de gestion ainsi qu’aux langues et cultures des pays d’accueil, absence de perspective d’un déroulement de carrière après trois ans dans un poste, absence de passerelles, dans les deux sens, avec le réseau des établissements culturels en France : tels sont les handicaps majeurs pour nos agents culturels à l’étranger.

Sans la volonté de changer profondément la gestion de ces personnels, toute réforme de l’action culturelle extérieure ne pourra qu’échouer.

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