Intervention de Yves Pozzo di Borgo

Réunion du 22 février 2010 à 14h30
Action extérieure de l'état — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Yves Pozzo di BorgoYves Pozzo di Borgo :

Le deuxième opérateur créé par le projet de loi est l’établissement public pour l’expertise et la mobilité internationales. Il sera chargé de l’appui à la mobilité des étudiants et des chercheurs étrangers.

L’objectif est d’améliorer l’accueil des étudiants et chercheurs étrangers, mais aussi, et c’est très important, le placement des experts français hors de nos frontières. Nous pensons que la gouvernance proposée le permettra. Là encore, nous soutenons les améliorations apportées au texte par la commission.

Je formulerai toutefois une remarque complémentaire. Mes fonctions passées d’inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche m’ont permis de constater qu’il existe un « relationnel » très important entre les différentes universités françaises et les différents réseaux de chercheurs français, d’une part, et les instances européennes et étrangères, d’autre part. L’autonomie des universités va conforter ce « relationnel ».

Aux termes de l’alinéa 10 de l’article 5, le ministère chargé de l’enseignement supérieur participera à la définition des orientations de l’agence. Je ne conteste pas l’autorité du ministère des affaires étrangères sur cette question, mais je regrette que le ministère de l’enseignement supérieur ne soit pas un acteur plus important dans ce texte.

Ce que je souhaite, monsieur le ministre, c’est que l’autorité du ministère des affaires étrangères n’implique pas que le patron de l’agence soit obligatoirement un ambassadeur qui n’a pu obtenir de grande ambassade ou qu’on ne sait où nommer. Votre ministère doit s’ouvrir, de telle sorte que ce poste puisse être occupé par un grand président d’université, par un chercheur incontestable, ou même, pourquoi pas ? par un grand chef d’entreprise ; et j’espère que la commission des affaires étrangères et la commission de la culture seront saisie de ces nominations !

Si je fais cette remarque, c’est que toutes les réflexions qui sont actuellement menées sur la mondialisation, sur la montée en puissance de la Chine, de l’Inde et des pays d’Amérique latine, mettent en évidence l’affaiblissement potentiel de l’Europe : l’Europe ne restera une grande puissance que si elle sait contrôler ce que l’on appelle le développement de l’économie de la connaissance. C’est bien à cela que cette agence a vocation à participer.

Pour pouvoir porter tous ses fruits, la réforme devra relever de nombreux défis.

Le tout premier d’entre eux, le plus crucial sans doute, c’est la rénovation de la gestion des ressources humaines de notre réseau culturel à l’étranger. Pour la réussir, j’y ai déjà fait allusion, il nous faudra sans doute élargir notre vivier de compétences. Nous y parviendrons en développant des passerelles non seulement entre les administrations, qui en ont bien besoin, mais aussi entre les secteurs public et privé. Là encore, il y a beaucoup à faire !

Il nous faudra également donner de vrais moyens à la formation professionnelle permanente, de façon que nos agents puissent acquérir et consolider leurs compétences tout au long de leur carrière.

Cela m’amène au deuxième défi qu’il faudra relever dans les années à venir : le défi des moyens. Les moyens humains doivent être optimisés, les moyens financiers doivent être à la hauteur. Ce ne sera pas facile !

Le troisième défi sur lequel j’aimerais attirer votre attention et avoir votre sentiment, monsieur le ministre, c’est le défi technologique. Depuis plusieurs années déjà, nous vivons une révolution numérique. Internet bouleverse notre manière d’échanger, de communiquer, de diffuser notre savoir, notre culture et nos idées. Aujourd’hui, on ne peut pas prétendre exercer une influence culturelle dans le monde si l’on ne prend pas cette révolution à bras-le-corps. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, quels moyens seront mis en œuvre pour relever ce défi de demain, qui est d’ailleurs, en fait, un défi d’aujourd’hui ?

Internet offre à chacun la possibilité de s’exprimer à travers le monde. Évidemment, la France doit prendre toute sa place sur la Toile.

Un autre défi me semble au moins aussi important : la valorisation de la société civile. Je sais que vous y être très sensible, monsieur le ministre.

Les ONG, les entreprises, les associations, les individus occupent de nos jours une place bien plus importante qu’hier sur la scène internationale. Il faut prendre cette réalité en compte. Pour être efficace, la diplomatie d’influence doit s’inscrire au-delà de la simple action gouvernementale.

Aujourd’hui, l’influence dépend de la capacité à tisser des réseaux d’idée, d’opportunité, de médiation. Dans cette optique, l’État doit s’entourer d’acteurs de la société civile. Les pays anglo-saxons l’ont très bien compris : leurs think tanks et leurs médias projettent leur vision du monde sur tous les continents. Peut-être pouvez-vous nous faire connaître, monsieur le ministre, quelle place la société civile occupera dans la diplomatie d’influence que ce projet de loi vise à promouvoir ?

J’ajouterai que les nouvelles agences doivent être les supports de cette société civile bien plus que des opérateurs hiérarchiquement décisionnaires.

Par ailleurs, je regrette – mais peut-être est-il encore un peu tôt pour cela ! – que le projet de loi s’inscrive dans un cadre strictement national, alors que l’adoption du traité de Lisbonne a permis à l’Union européenne de se doter d’une Haute Représentante pour les affaires étrangères et d’un service étranger d’action extérieure.

Je sais que, dans les domaines de l’éducation et de la culture, l’action extérieure relève avant tout des diplomaties nationales. Mais ne serait-il pas judicieux de commencer à réfléchir à l’inscription de notre propre action extérieure en ces matières dans un cadre européen ? Vous le savez, le groupe Union centriste considère que c’est là le cadre naturel dans lequel elle doit s’insérer. Monsieur le ministre, la prochaine étape de la réforme de votre ministère permettra peut-être de mieux articuler nos actions avec les initiatives européennes !

En dépit de ces réserves, le projet de loi constitue une première étape nécessaire, même si, nous le savons, elle est loin d’être suffisante. Sur l’initiative de son rapporteur, la commission des affaires étrangères a accompli un travail que je tiens à saluer, tout comme je salue celui de la commission de la culture.

Pour toutes ces raisons, le groupe de l’Union centriste soutiendra le texte tel qu’il nous est soumis.

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