Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Réunion du 22 février 2010 à 14h30
Action extérieure de l'état — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici presque arrivés au terme de l’examen de ce projet de loi relatif à l’action extérieure de l’État.

Je voudrais tout d’abord vous remercier, monsieur le ministre, de votre magnifique discours et de l’initiative que vous avez prise pour moderniser et rationaliser notre dispositif culturel à l’étranger, en lui donnant le cadre juridique approprié, mais aussi en créant ce si nécessaire statut du conjoint, et pour responsabiliser nos compatriotes devant les risques encourus dans certains pays.

Ce week-end, j’ai lu dans un grand quotidien national un certain nombre de critiques, dont certaines me paraissent inacceptables. Oui, la baisse des crédits dévolus à notre action culturelle extérieure est considérable. Mais, que je sache, et vous l’avez d’ailleurs rappelé, c’est vous qui avez stoppé cette hémorragie dans le projet de loi de finances pour 2009 en inscrivant 40 millions d’euros supplémentaires ! Vous avez également fait en sorte que le programme 209, « Solidarité à l’égard des pays en développement », échappe aux ponctions faites aux différents ministères pour le grand emprunt.

Certes, il faut faire beaucoup mieux, nous le savons et nous le disons tous. Mais, monsieur le ministre, cela ne doit pas se faire au détriment de notre enseignement français à l’étranger, ni de notre indispensable action sociale envers les plus démunis de nos compatriotes.

J’ai lu aussi, à propos de CulturesFrance, des attaques qui me semblent plutôt indignes. Aussi, je tiens à saluer le travail accompli par CulturesFrance depuis sa création, ses efforts de rationalisation et de rigueur budgétaire, en réponse d’ailleurs à une demande de notre excellent collègue M. Adrien Gouteyron, et le succès rencontré par ses initiatives ; je pense, par exemple, à l’année de la France au Brésil ou de la Turquie en France.

Monsieur le ministre, on vous accuse de tergiverser parce que vous avez procédé à des consultations. Eh bien, moi, je voudrais au contraire vous remercier d’avoir écouté. Je vous suis tout particulièrement reconnaissante d’avoir accepté, lors de votre dernière audition par la commission des affaires étrangères, que l’Assemblée des Français de l’étranger, organe représentatif de nos compatriotes expatriés, soit représentée au titre des personnalités qualifiées dans les deux établissements créés par la loi.

Certes, j’aurais préféré que cette assemblée, qui représente 2, 5 millions de Français expatriés et a pour mission de conseiller le Gouvernement, fût plus étroitement associée à l’élaboration même de ce texte et qu’il y fût fait expressément référence. Je compte donc sur vous, monsieur le ministre, pour qu’elle soit dorénavant davantage consultée et informée. Nous ne pouvons, en effet, nous passer de l’expertise et de l’expérience de ces élus, eux-mêmes acteurs et vecteurs de notre rayonnement !

Le temps qui m’est imparti étant très court, je me concentrerai sur des points qui me paraissent essentiels au succès de votre démarche : la part que doit y prendre le ministère de la culture et l’appellation même des centres culturels.

Aujourd’hui, la culture, même si elle est extérieure, ne peut plus être le domaine réservé du seul ministère des affaires étrangères. Nous ne pouvons dissocier la culture sur le territoire français et la culture hors du territoire, car la mondialisation a cassé l’étanchéité des frontières. De plus, une culture riche et vivante en France contribuera au succès de notre diplomatie. La vocation de notre action culturelle est justement de rayonner hors de nos frontières.

Nos créateurs ne réussiront que si ces deux dimensions sont étroitement imbriquées.

Certes, les attentes ne sont pas les mêmes à Brive-la-Gaillarde, à Alger ou à Santiago, mais partout nous devons avoir une ambition d’excellence. Nous ne nous en approcherons que si nous parvenons à faire de notre action culturelle un creuset où s’enrichiront mutuellement cultures française, francophones et étrangères, sensibilités et attentes de nos partenaires étrangers. L’international ne peut plus être un domaine à part ; il doit au contraire imprégner toutes nos politiques, être le fil transversal et conducteur à l’aune duquel, si j’ose dire, devraient être jaugées toutes nos initiatives.

Les ambassadeurs doivent bien évidemment garder leur rôle prééminent. Mais il leur faut aussi être appuyés par une administration culturelle forte, par souci de continuité et de cohérence, afin d’éviter les morcellements et les discontinuités de notre stratégie culturelle. Il s’agit non pas de fragiliser leur rôle, mais de les aider à mieux l’assumer.

Dans cet esprit, il importe, en prolongement de l’avancée remarquable de l’Association française d’action artistique, l’AFAA, et de CulturesFrance, qui avait obtenu la cotutelle des ministères des affaires étrangères et de la culture, d’impliquer fortement la Rue de Valois dans ce conseil d’orientation stratégique, comme l’a souhaité notre commission des affaires étrangères.

Supprimer la cotutelle de la Rue de Valois pourrait en effet, à terme, faire courir le risque de la voir développer elle-même son propre outil de rayonnement international. Nous avons trop souvent, en France, l’habitude de dupliquer nos institutions, ce qui entraîne un appauvrissement potentiellement dommageable. Il nous faut, au contraire, plus de cohérence et d’esprit d’équipe pour mieux appréhender l’avenir.

Dans ce cadre, je soutiens la proposition de certains de nos collègues, en particulier de Mme Catherine Tasca, visant à créer un poste de secrétaire d’État à l’action culturelle extérieure, lequel pourrait, sous l’autorité du ministre des affaires étrangères, assurer la coordination avec le ministère de la culture.

J’en viens maintenant à l’appellation choisie pour l’agence, qui s’intitulerait « Institut Victor Hugo ». Certes, la commission des affaires étrangères est favorable à une telle dénomination, mais puisqu’un amendement déposé par certains de nos collègues vise à revenir sur ce choix, je veux vous dire de nouveau, mes chers collègues, combien il me semble important de prévoir un nom générique tel que « Institut français » plutôt que celui de Victor Hugo.

Comme nous tous, j’ai évidemment une immense admiration pour ce magnifique écrivain, que j’ai d’ailleurs eu l’occasion de citer à plusieurs reprises du haut de cette tribune. Il a en outre, à mes yeux, le double avantage d’avoir été sénateur et… Français de l’étranger !

Toutefois, au xxie siècle, nous ne pouvons plus nous permettre une telle référence, réductrice par nature, à un écrivain du xixe siècle. Après tout, pourquoi choisir Hugo, alors que lui-même rêvait d’être « Chateaubriand ou rien » ? Nous avons un patrimoine culturel, artistique et littéraire tellement riche !

Dans de nombreux pays, les centres culturels ou les instituts portent également le nom d’une personnalité liée au lieu dans lequel ils sont implantés : Henry de Monfreid à Sanaa, Charles Baudelaire à Maurice, Arthur Rimbaud à Djibouti ou encore Léopold Sédar Senghor à Dakar. Leur imposer le nom d’un écrivain me semble une grave erreur. Nous risquerions d’être accusés de « jacobinisme », on nous prêterait une volonté d’uniformisation et d’étouffement, ou encore on nous reprocherait de faire preuve de ce despotisme de la pensée que vous dénonciez vous-même tout à l’heure, monsieur le ministre.

Certes, l’Allemagne, l’Espagne ou la Chine ont fait ce choix. Mais notre problématique est différente ! Et avons-nous vraiment besoin de les imiter ? Tout le monde, à l’étranger, sait que nous sommes un peuple de culture et d’histoire. Savez-vous quel est le premier adjectif qui vient à l’esprit des Chinois ou des Américains pour qualifier la France et les Français ? Ce n’est pas « innovant », « moderne », « créateur » ou même « universaliste » : c’est « romantique » !

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