Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de commencer par quelques remarques de forme concernant cette proposition de loi.
Monsieur le ministre, dans votre présentation introductive, vous avez détaillé une batterie de dispositifs tous plus performants les uns que les autres, au point de me faire douter de la pertinence de notre débat d’aujourd’hui. Aussi me suis-je interrogée sur la genèse du texte qui arrive en discussion devant notre assemblée.
Rappelons-nous que l’initiative de cette proposition de loi revient au député Éric Ciotti : elle devait, à l’origine, être intégrée au projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dit LOPPSI 2, mais, sur demande du Président de la République, elle est devenue une proposition de loi particulière. Il s’agit donc d’un texte de commande, mais aussi d’un texte de circonstance : le Président de la République a sollicité Éric Ciotti le 20 avril dernier, quelques jours après la défaite de la majorité aux élections régionales, en pleine reprise en main sécuritaire – un hasard, sans doute !
Car il s’agit bien d’un texte sécuritaire. Permettez-moi de m’interroger, monsieur le ministre : votre collègue le ministre de l’intérieur n’aurait-il pas dû prendre votre place au banc du Gouvernement ? En effet, cette proposition de loi n’a rien d’éducatif, ni de pédagogique !
Une question se pose : ce texte exprime-t-il la volonté de répondre au véritable problème de l’absentéisme scolaire ? Je ne le crois pas. Il n’est d’ailleurs pas innocent que l’auteur de cette proposition soit non pas un spécialiste de l’éducation, mais le secrétaire national de l’UMP... à la sécurité ! Le même qui, il y a quelques semaines, proposait de rendre les parents pénalement responsables des agissements de leurs enfants.
Avec ce texte, comme avec tant d’autres, le Gouvernement essaie en réalité de déployer un écran de fumée pour masquer son incapacité à résoudre les problèmes sociaux et économiques, bien réels quant à eux, que rencontrent quotidiennement nos concitoyens. La méthode est toujours la même : stigmatiser une population, l’exposer à la vindicte de l’opinion en faisant croire que le problème sera ainsi résolu. Cette fois, les familles les plus défavorisées sont visées.
En effet, qui sera pénalisé par la suppression des allocations familiales ? Certainement pas les familles aisées, ni les familles à enfant unique, mais les familles nombreuses, les plus pauvres, celles dont la subsistance est liée à la solidarité nationale. Il s’agit, vous le savez bien, de familles souvent issues de l’immigration et résidant dans les quartiers populaires, celles que, régulièrement, on accuse de tous les maux.
À mon sens, la suspicion d’instrumentalisation dont cette proposition est entachée dès l’origine devrait nous conduire à ne pas en débattre, ou pour le moins à la renvoyer en commission. Mais, puisque cet appel au bon sens sera sans doute insuffisant, il nous faut aborder le fond de cette proposition de loi : sera-t-elle utile, et même applicable ?
Concernant l’efficacité présumée de la proposition de loi de M. Ciotti, je dois dire que son rapport, ainsi que le vôtre, monsieur le rapporteur, m’ont fourni quantité d’arguments pour en douter. En effet, ces deux rapports montrent bien l’ampleur du phénomène d’absentéisme scolaire, ainsi que la grande diversité de ses causes et de ses manifestations, ce qui conduit naturellement à douter du recours à la seule coercition.
Permettez-moi de citer quelques statistiques : l’absentéisme scolaire représente 7 % des effectifs, tous établissements confondus, mais la situation diffère de façon importante selon les degrés et selon le type d’établissement. Le taux d’absentéisme est de 6 % dans les lycées d’enseignement général, de 3 % dans les collèges et de 15 % dans les lycées d’enseignement professionnel. Pis encore, plus du tiers des élèves absentéistes sont concentrés dans seulement 10 % des lycées professionnels.
Quant aux causes de cet absentéisme, elles sont, elles aussi, diverses. S’agit-il d’une prétendue démission des familles, qui justifierait de les priver d’allocations familiales ? Là encore, les rapports de MM. Carle et Ciotti sont éclairants. Ils dressent un diagnostic que je partage : l’absentéisme est avant tout fonction des conditions de vie de l’élève, matérielles ou affectives, et surtout d’une orientation jamais choisie, toujours subie. Il n’est nullement question des parents.
Je vous cite, monsieur le rapporteur : « Les difficultés d’apprentissage et les retards accumulés depuis le primaire rendent souvent le suivi des cours impossible dès le collège. » Vous continuez en évoquant l’ennui ressenti par l’élève « devant des cours qu’il ne peut comprendre ». La conclusion d’un tel développement serait logique : l’absentéisme est un corollaire du décrochage scolaire, il devrait donc être combattu comme tel et faire l’objet d’une véritable politique de prévention. Ce constat est bien éloigné de la solution proposée, à savoir la seule suspension des allocations familiales !
Échec scolaire et absentéisme touchent tout d’abord les enfants des catégories déjà défavorisées, reproduisant ce que leurs parents eux-mêmes ont connu. Ce diagnostic, nous pourrions le partager. Mais, face à cette tragique reproduction sociale, votre seule réponse est de stigmatiser un peu plus des familles déjà au bord de l’exclusion.
La réponse proposée repose sur un dispositif déjà existant, le contrat de responsabilité parentale, en dépit de son échec patent. Vous rejetez souvent cet échec sur les présidents des conseils généraux, mais c’est un mauvais procès : le contrat de responsabilité parentale est inappliqué, tout simplement parce qu’il est inapplicable.
Prenons quelques exemples. Allez-vous rendre responsable de l’absentéisme de son fils cette femme élevant seule trois enfants, travaillant tôt le matin et tard le soir, que j’ai croisée dans les allées d’un supermarché ? Elle remplissait son chariot, le portable collé à l’oreille, car elle appelait son fils pour le décider à partir à l’école. Elle commençait son travail dès six heures et demie du matin et avait dû le laisser seul.
Allez-vous pénaliser toute une fratrie d’une famille modeste parce qu’un seul enfant décroche et manque l’école ? Avec votre système, un bon élève pourrait se trouver pénalisé dans la poursuite de ses études, parce que ses parents sont asphyxiés financièrement par une suppression d’allocations familiales dont il n’est pas responsable.