Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est vain de vouloir lutter contre l’absentéisme scolaire sans prendre la mesure des carences de notre système éducatif. De trop nombreux jeunes sortent encore de celui-ci sans diplôme ni perspective d’avenir. Je vous rappelle que, chaque année, 150 000 élèves terminent leur parcours scolaire sans qualification.
L’augmentation régulière de l’absentéisme scolaire est l’une des causes de cet alarmant constat. Même si l’école buissonnière n’est pas un phénomène nouveau, les enfants concernés, de plus en plus jeunes et livrés à eux-mêmes, se retrouvent pris dans la spirale de l’échec.
Les causes en sont multiples. Il est grand temps de reconnaître qu’un taux d’encadrement trop faible explique, à lui seul ou presque, cette dérive inquiétante pour l’avenir de notre pays.
Les assistantes sociales, les infirmières et psychologues scolaires, les surveillants, les conseillers principaux d’éducation – ou CPE – font partie intégrante du projet éducatif au sens large. Leurs effectifs, je le regrette, ne cessent de diminuer, tout comme ceux des enseignants des RASED spécialisés contre l’échec scolaire.
Je me demande d’ailleurs, monsieur le ministre, comment, dans ces conditions, l’école peut encore être en mesure de remplir ses missions.
Nous en débattons ici régulièrement, mais nos inquiétudes demeurent. L’école ne joue plus son rôle d’ascenseur social. Le système éducatif français est devenu l’un des plus inéquitables, selon les critères du classement établi par l’OCDE. Au cours de la scolarité, les inégalités se creusent. C’est un comble !
Dans ce contexte, je dirai simplement que la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui est hors sujet.
Malgré de multiples tentatives, aucune solution n’a encore été trouvée pour régler durablement le problème de l’absentéisme scolaire. Toutefois, au travers de ces expériences, nous avons pu entrevoir des pistes qui doivent nous aider, aujourd’hui, à prendre les bonnes décisions. Nous sommes désormais en mesure d’affirmer que l’accent doit être mis sur la prévention dès le plus jeune âge et sur l’accompagnement des familles.
Les jeunes les plus fragilisés socialement, psychologiquement et culturellement sont aussi les plus touchés par l’absentéisme et l’échec scolaires. Des études démontrent qu’ils sont le plus souvent issus de quartiers défavorisés. En effet, il s’avère que les parents d’enfants déscolarisés sont eux-mêmes confrontés à de graves difficultés financières et sociales. Certains, dépassés malgré leur bonne volonté, n’arrivent plus à transmettre une éducation à leurs enfants, éducation qu’ils n’ont parfois jamais reçue eux-mêmes.
Mes chers collègues, voici ce que me confiait une mère de famille : « Vous n’imaginez pas combien il est difficile de tenir les enfants. Les copains sonnent à la porte, téléphonent, crient sous les fenêtres jusqu’à ce que je craque. Ce serait plus facile si j’habitais ailleurs. » Vous comprendrez, eu égard à cette anecdote, que je préconise la mixité sociale.
Pour répondre au problème, on n’a rien trouvé de mieux que de suspendre une proportion importante du budget du foyer : les allocations familiales. Pourquoi, dans la période de crise économique que nous traversons, choisir d’enfoncer encore davantage des familles souffrant déjà d’une forte précarité ?
Le Gouvernement et sa majorité ont une fâcheuse tendance à aborder de manière récurrente l’absentéisme scolaire au travers du prisme de la délinquance et de la répression, alors que les sanctions administratives et pénales apparaissent comme inadaptées et inutiles. Et ils s’entêtent !
Pourtant, le dispositif de suspension des prestations familiales s’est déjà révélé particulièrement inefficace et injuste. C’est la raison pour laquelle, dans un beau consensus, le dispositif avait été supprimé lors du vote de la loi relative à l’accueil et à la protection de l’enfance, en 2004. Personne n’invoquait alors une prétendue baisse de l’absentéisme, le caractère inéquitable et inopérant de la mesure étant mis en avant.
Tous ces éléments me conduisent à affirmer que la réponse que votre texte est censé apporter au phénomène complexe de l’absentéisme scolaire n’est ni complète ni satisfaisante.
Les prestations familiales n’ont pas pour seul objet de financer la scolarité de l’enfant. Les allocations familiales ne sont pas non plus la récompense d’une bonne éducation. Elles ont avant tout une vocation sociale et solidaire.
L’éducation n’est pas une marchandise. Elle ne se monnaie pas. Elle a un prix, j’en conviens, mais elle ne peut pas se faire à n’importe lequel. On n’achète pas la soif de connaissances, on la transmet, et la relation humaine est essentielle pour y parvenir. D’ailleurs, la prime à l’assiduité expérimentée par certains chefs d’établissement en octobre 2009 s’est révélée d’une totale absurdité.
La sanction proposée dans cette proposition de loi est doublement discriminatoire. D’une part, les familles avec un enfant unique, ne percevant pas d’allocations familiales, ne seront donc pas pénalisées, contrairement aux familles nombreuses. D’autre part, je me demande comment la majorité entend pouvoir pénaliser, certes indirectement, les enfants assidus d’une fratrie du fait des écarts d’un autre membre de cette fratrie.
Ce dispositif, réintroduit en 2006 dans le cadre du contrat de responsabilité parentale, a rarement été appliqué.
Alors, monsieur le ministre, pourquoi légiférer de nouveau ?
Plutôt que de créer des dispositifs toujours plus répressifs – est-ce l’approche de nouvelles échéances électorales ? –, il faudrait donner les moyens nécessaires au développement des outils dont la pertinence et l’efficacité ont déjà été démontrées.
Je prendrai l’exemple des classes relais, qui accueillent les élèves de collège ou de lycée, entrés dans un processus de rejet de l’institution caractérisé par des manquements au règlement intérieur, un absentéisme chronique et une démotivation allant jusqu’à la déscolarisation. Ce modèle fonctionne et a fait ses preuves. Pourquoi ne pas le développer plutôt que de toujours stigmatiser davantage les enfants et les familles en difficulté ?
Pour toutes ces raisons, la proposition de loi que nous examinons m’apparaît comme un facteur aggravant. La pénalité financière ne redonnera pas le goût d’apprendre aux enfants et aux adolescents. Je préconiserai plutôt de consentir, comme je l’ai déjà indiqué, les moyens matériels et surtout humains permettant le renforcement de l’accompagnement scolaire personnalisé, le dialogue et la remédiation.
Les clefs du problème sont bien la prévention dès l’école primaire et la responsabilisation des parents. La lutte contre l’absentéisme scolaire doit s’inscrire dans le cadre d’une politique plus large et plus ambitieuse que celle qui nous est proposée aujourd’hui. C’est à ce prix que l’on viendra à bout de l’absentéisme, de la violence et de l’échec scolaires.
En résumé, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, sans ambition, se révélera inefficace, discriminante et injuste. Elle n’a décidément rien pour convaincre les membres du groupe RDSE, qui voteront contre ce texte dans leur grande majorité.