Intervention de Brigitte Gonthier-Maurin

Réunion du 15 septembre 2010 à 14h30
Lutte contre l'absentéisme scolaire — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Brigitte Gonthier-MaurinBrigitte Gonthier-Maurin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteure pour avis du budget de l’enseignement professionnel, je souhaite vous faire part de ma grande inquiétude concernant cette filière, qui connaît le plus fort taux d’absentéisme.

Le rapport sénatorial souligne l’existence d’une problématique spécifique au lycée professionnel. Sont avancées, à juste titre, la hiérarchisation néfaste des filières et une orientation souvent forcée par l’échec, stigmatisante et peu valorisante pour les élèves, ainsi que l’a déjà montré le rapport Machard en 2003.

Comme je m’associe à la volonté de faire de l’enseignement professionnel une voie d’excellence, je ne peux que m’interroger sur le contenu de la proposition de loi.

Ce texte vise à améliorer la lutte contre l’absentéisme scolaire, mais ne fait nulle part référence à l’école, et encore moins à la situation particulière de l’enseignement professionnel, pourtant le plus touché par ce phénomène.

Il n’y est question que de répression et de suppression des prestations sociales accordées aux familles, mesure qui touche proportionnellement davantage les familles les plus défavorisées, alors même que ce dispositif, parce qu’il n’apparaissait ni juridiquement fondé ni équitable, avait été supprimé par la loi du 2 janvier 2004.

La problématique de l’absentéisme est soulignée de façon récurrente par les acteurs du système éducatif. Les absences répétées constituent effectivement des facteurs aggravants d’un échec scolaire préjudiciable aux élèves, hypothéquant leur avenir.

Je m’inquiète de ne trouver dans ce texte aucune différenciation, aucune analyse des situations parfois difficiles des jeunes et de leur famille. Comment alors proposer des mesures adaptées et efficaces de lutte contre l’absentéisme ?

Monsieur le rapporteur, les absentéistes ne sont pas systématiquement dans la rue. D’après l’étude menée en 2007 par les inspecteurs de l’éducation nationale de l’académie de Créteil dans les lycées professionnels, cette filière est confrontée à un absentéisme régulier, touchant particulièrement les élèves exerçant une activité professionnelle, ou à un absentéisme forcé, pour les élèves subissant des situations plus ou moins graves.

Au final, tous s’accordent à dire que la définition de l’absentéisme par sa quantification, comme c’est le cas malheureusement dans cette proposition de loi, est réductrice.

Une multiplicité de facteurs peut expliquer, à différents niveaux, l’absentéisme des élèves.

Peut-on décemment penser que priver les familles des prestations sociales améliorera le « présentéisme » scolaire, alors que c’est surtout la très grande sensibilité des élèves aux conditions de vie dans la classe et dans le lycée qui impacte directement leur fréquentation scolaire ?

Beaucoup d’élèves sont orientés en lycée professionnel avec des difficultés scolaires et des lacunes non comblées au collège. Cette orientation, souvent imposée et vécue comme un échec supplémentaire, accentue leur démotivation. Jumelée à l’absence de projet personnel et professionnel, elle conduit à une lassitude à l’égard du système scolaire, amplifiée par des représentations erronées.

Le sens de l’école n’est plus perçu, ce qui entraîne le développement de l’absentéisme, pouvant aller jusqu’au décrochage et à la déscolarisation.

D’une façon générale, les problèmes d’orientation sont systématiquement cités dans les causes de la démotivation et du découragement.

C’est donc plutôt le levier d’un travail nécessaire de coopération et d’apprentissage des missions de l’école, et non celui de la sanction, qui doit être exploré avec les jeunes et leurs familles.

Par ailleurs, la généralisation du baccalauréat professionnel en trois ans, menée au pas de charge, a créé un bouleversement bien réel et suscité des inquiétudes. Le discours gouvernemental de revalorisation de la voie professionnelle est resté axé sur l’obtention du baccalauréat et la poursuite d’études en BTS.

Or, la transformation du BEP en certification intermédiaire, le risque d’une orientation excessive vers le CAP à l’issue de la troisième ainsi que la surdétermination du choix de diplôme ou de filière par le critère de l’éloignement géographique sont de véritables facteurs à risque pour la réussite des élèves.

C’est notre conception même de l’orientation qu’il faut remettre à plat pour accroître l’équité du système scolaire. Il convient notamment d’assurer la cohérence géographique des formations, l’articulation des programmes entre la certification intermédiaire et le baccalauréat, puis entre le baccalauréat et l’enseignement supérieur, ainsi que la réorientation possible d’une seconde professionnelle vers une autre.

Il est donc urgent de briser la fatalité de l’orientation par défaut. L’orientation ne doit pas seulement servir à la gestion des flux du marché du travail ; au contraire, elle doit être considérée comme un levier de développement et de réussite pour tous les élèves.

Les conseillers d’orientation psychologues sont précisément à même de prendre en charge l’adolescent dans sa globalité et de bâtir avec lui un projet personnalisé. C’est pourquoi il faut stopper leur mise en extinction, revoir à la hausse leur recrutement et confirmer leurs compétences en psychologie.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, fondée sur le cliché de mauvais élèves venant de mauvaises familles, avec de mauvais parents, cette proposition de loi est donc bien loin des enjeux que je viens d’évoquer. C’est pourquoi notre groupe votera contre.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion