Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’école est un symbole fort de la République. Aussi, tout ce qui aurait pour conséquence d’empêcher la réalisation de sa mission d’instruction mérite notre vigilance.
La soudaine amplification, depuis 2007, du phénomène de l’absentéisme scolaire, suppose donc l’attention de tous. Alors que, entre 2003 et 2007, le taux d’élèves considérés comme absentéistes dans le second degré oscillait entre 2 % et 6 %, il a atteint 7 % en 2007-2008.
Il convient dès lors de s’interroger sur les raisons de cette désaffection grandissante de l’institution scolaire chez nos jeunes. Et c’est bien là que le bât blesse ! Car loin de tenter de comprendre ce fait social dans sa complexité et de définir une politique globale et cohérente, cette proposition de loi consacre une vision simpliste et une dérive autoritariste par la mise en place d’un dispositif de sanction financière.
Suffirait-il alors simplement de culpabiliser et de pénaliser des familles déjà socialement défavorisées pour nombre d’entre elles pour susciter chez nos jeunes un sentiment d’adhésion à l’ordre scolaire ?
Bien au contraire ! L’absentéisme est un phénomène complexe auquel on ne peut répondre de façon honnête et efficace que par une solution à la fois éducative et sociale. Il ne s’explique pas uniquement par la démission des parents et la répression ne suffit pas à l’endiguer.
Cela a déjà été dit à de nombreuses reprises, la mesure prévue dans le texte est à la fois injuste, stigmatisante et inefficace.
Elle est, tout d’abord, injuste.
L’éducation est en effet la cible d’attaques récurrentes : suppression massive de postes, démantèlement des dispositifs d’aide aux élèves en difficultés, ghettoïsation de l’éducation prioritaire par l’exfiltration des meilleurs éléments plutôt que par la réussite collective.
Comment s’étonner, dans ces conditions, du développement de l’absentéisme, du décrochage, ou même de la résurgence des violences scolaires ?
Par ailleurs, la mesure prévue est contraire à la vocation première des prestations familiales, dont l’objet est de compenser pour partie le coût de l’entretien d’un enfant. Or, cela paraît évident, ce coût reste le même quelle que soit l’assiduité scolaire.
Sur un plan financier, elle prévoit même une double peine pour certaines familles. Non seulement les allocations sont suspendues, voire supprimées, mais, en plus, le montant de l’allocation suspendue continue d’être pris en compte, au titre des revenus, dans le calcul des droits au RSA, le revenu de solidarité active.
Cette mesure est, ensuite, stigmatisante.
Face à un problème social, elle désigne des responsables-coupables : les mauvais parents de certaines familles, disiez-vous, monsieur le ministre, les démissionnaires.
Elle stigmatise aussi par l’amalgame qui est fait avec les violences scolaires et l’insécurité, alors que le lien entre violence et absentéisme n’est pas établi.
Elle est, enfin, inefficace.
La pénalisation des parents ne résout pas le problème de l’absentéisme. Plusieurs expériences réalisées à l’étranger ont mis en avant l’absence de corrélation entre sanction des parents et diminution du taux d’absentéisme. Ainsi, en Grande-Bretagne, alors que le nombre de parents emprisonnés augmentait de 62 % entre 2002 et 2007, le taux d’absentéisme est passé de 0, 7 % à 1 %.
Une telle mesure coercitive arrive bien trop tardivement : une sanction financière ne saurait rétablir une autorité parentale en faillite. Le nouveau dispositif pourrait, en revanche, exacerber les tensions intrafamiliales.
Soyons objectifs, dans un contexte de réduction des dépenses publiques, le Gouvernement fait un choix économique : il opte pour une mesure rentable plutôt que de s’attaquer au cœur du problème. M. Ciotti nous propose donc ici une amende déguisée.
Agitation, communication et inflation législative n’ont jamais permis de construire les bases d’une société durable. L’absentéisme scolaire mérite, à l’opposé, une politique globale intégrant des solutions tant éducatives que sociales. Il est avant tout une responsabilité de l’éducation nationale et un révélateur de l’inadaptation de notre système scolaire.
Il convient d’appréhender cette question, tout comme celle du décrochage scolaire, dans le cadre d’une refonte du système éducatif. Celui-ci doit défendre une approche plus inclusive, plus ouverte, avec un suivi personnalisé, afin d’amener le plus grand nombre d’élèves à la réussite, en y impliquant le plus d’acteurs possible, y compris les parents.
Or cette proposition de loi est une non-réponse éducative !
Les élèves ont besoin d’espoir. Le système doit leur redonner confiance. Nous devons donc défendre une approche positive. Pour cela, il faut nous interroger sur l’équité du système, questionner notre pédagogie et revoir notre système d’orientation. Car l’absentéisme est révélateur des inégalités du système éducatif.
En France, l’impact du milieu d’origine sur les résultats scolaires est deux fois plus élevé que dans les pays de l’OCDE les plus performants. L’étude de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’éducation nationale ainsi que le rapport des membres socialistes de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication le soulignent fort bien.
La concentration des difficultés est l’un des problèmes majeurs de notre système. Une minorité d’établissements est confrontée à des difficultés sans commune mesure avec celles de l’ensemble du système : l’absentéisme récurrent est supérieur à 20 % dans les 10 % des établissements les plus en difficulté ; en France, Françoise Cartron l’a rappelé, seuls 45 % des élèves se sentent à leur place en classe, contre 81 %, en moyenne, dans les pays de l’OCDE.
Une orientation subie ou vécue comme un échec par l’élève peut être le premier facteur d’absentéisme. L’orientation ne peut se fonder sur le seul constat de difficultés. Elle doit faire l’objet d’une évaluation des aptitudes et des intérêts de chaque élève afin de définir un projet partagé par lui et ses parents. En ce sens, l’enseignement professionnel mérite une attention particulière, dans la mesure où l’orientation s’y fait par défaut.
Un autre problème est à souligner : l’inadéquation entre les affectations des élèves et les filières proposées. On constate ainsi qu’un élève sur sept abandonne dans les premiers mois de l’année de CAP et un sur cinq en première année de bac professionnel.
Il faut une véritable préparation à l’orientation dès le collège afin d’insuffler aux équipes pédagogiques une logique de parcours, d’accompagnement de chaque élève dans ses choix et d’assurer un véritable suivi. Or la présence d’adultes se fait de plus en plus rare. Outre les enseignants, les conseillers principaux d’éducation, pivots de la lutte contre l’absentéisme avec les emplois de vie scolaire, ont vu leur nombre diminuer : 700 en 2010, contre 5 000 en 2004.
De plus, il importe que l’orientation ne soit jamais « bloquante ». Des passerelles doivent être possibles à chaque étape scolaire afin de faciliter les changements de voies.
L’absentéisme peut aussi être le signe d’un mal-être de l’élève ou le révélateur de souffrances d’origine personnelle ou familiale. Mme Cartron l’a montré tout à l’heure avec brio.
Certes, me direz-vous, monsieur le ministre, il existe déjà diverses mesures. Vous nous avez rappelé tout l’arsenal existant, qui semble tout à fait satisfaisant. Je me pose donc moi aussi la question : à quoi sert cette proposition de loi ?
Reste que ces dispositifs sont difficilement généralisables. La raison en est simple : c’est une question d’argent. Le budget de la politique de la ville, par exemple, qui rassemble pourtant tous les partenaires, dont les parents, autour de ces difficultés sociales et scolaires, voit ses crédits diminuer.
Vous avez également évoqué au début de votre intervention les internats d’excellence. Je viens d’avoir connaissance de l’ouverture de l’un d’eux dans un collège où, pour pouvoir assurer la prise en charge de seize élèves, on a retiré les personnels qui assuraient les aides aux devoirs du soir pour l’ensemble des collégiens, soit 383 élèves. En fait, on a déshabillé Pierre pour habiller Paul !
Il en va de même avec les auxiliaires de vie scolaire. On a retiré un certain nombre d’entre eux qui travaillaient en unités pédagogiques d’intégration pour les mettre en primaire quinze jours après la rentrée, car il en manquait cruellement.
L’organisation du rythme scolaire que vous avez mise en place autour d’une pratique culturelle ou sportive n’est qu’un aménagement de l’emploi du temps. Les élèves ont exactement les mêmes horaires et le même programme. Toutes ces expérimentations sont juste une caution pour la pénurie générale. Dans certains cas, elles se font au détriment de la globalité des élèves, sans oublier qu’elles coûtent fort cher.
Pourquoi ne pas mettre en place une politique de prévention précoce des difficultés ? Assurer la formation de nos jeunes est un investissement nécessaire pour l’avenir de notre pays.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, une telle politique, à la fois éducative et sociale, contribuerait surtout à renforcer les liens de solidarité qui manquent tant à notre pacte social. Elle offrirait à ces jeunes un peu désespérés la place qu’ils méritent dans ce cheminement commun qu’est la construction de la société française.