Intervention de Bernadette Bourzai

Réunion du 15 septembre 2010 à 14h30
Lutte contre l'absentéisme scolaire — Article 1er

Photo de Bernadette BourzaiBernadette Bourzai :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec cet article, nous entrons dans le vif du sujet de la proposition de loi de M. Ciotti, qui est guidée par une seule volonté : sanctionner financièrement les parents d’élèves absentéistes, dès lors qu’ils ont recours aux mécanismes de la solidarité nationale par le biais des allocations familiales ou le revenu de solidarité active.

Dans un entretien accordé au journal, à l’occasion de la rentrée, vous avez déclaré, monsieur le ministre : « La suspension des allocations est une mesure nécessaire, mais elle ne fonde pas à elle seule notre politique de lutte contre l’absentéisme ». Immédiatement, le journaliste vous a fait remarquer que cette mesure avait existé jusqu’en 2004 et vous a demandé si vous disposiez de chiffres prouvant son efficacité. Vous avez répondu : « Il n’y a jamais eu d’analyse précise sur ce sujet ».

Pourtant, vous vous réjouissez aujourd'hui que ce vieux dispositif soit remis au goût du jour, donc sans véritable évaluation et pour des raisons uniquement électoralistes.

Monsieur le ministre, on ne saurait mieux dire que ces mesures de stigmatisation, qui ajoutent de la « misère à la misère », pour reprendre l’expression de Luc Ferry, votre prédécesseur, sont hors sujet par rapport à la question de l’absentéisme scolaire, qui est, quant à elle, la grande absente du texte que nous examinons.

L’environnement de l’élève, c’est d’abord sa famille, qui, parfois, mais pas toujours, dans les cas d’absentéisme, est en difficulté sociale, ou bien éclatée, recomposée, voire monoparentale.

M. Ciotti sait-il que, s’agissant des enfants vivant dans les familles monoparentales, qui sont plus souvent victimes du chômage et du travail à temps partiel subi, donc particulièrement exposées à la précarité, le taux de pauvreté approche 40 % ? Ce sont là des données extraites du rapport de la Cour des comptes pour 2010, que je ne développerai pas, mes collègues ayant abordé ce point tout à l'heure, avec toutes ses conséquences.

Mais l’environnement de l’élève, c’est aussi la collectivité, qui doit intégrer les jeunes. C’est d’abord le rôle de l’école, sur lequel je veux insister dans le temps qui m’est imparti.

Par définition, les interlocuteurs de l’élève à l’école sont formés à ce rôle – sauf depuis que vous avez inventé la catégorie des enseignants non formés ! –, mais tel n’est pas forcément le cas des parents.

Les interlocuteurs scolaires doivent ouvrir des perspectives à l’élève et lui redonner confiance, à plus forte raison lorsqu’il se sent en difficulté et qu’il s’interroge sur le sens de la vie et la société.

Du chef d’établissement aux enseignants en passant par les conseillers d’éducation, chacun a sa tâche. Pour les problèmes d’absentéisme, les interlocuteurs, ce sont d’abord et surtout les conseiller principaux d’éducation, les CPE.

Ce sont eux qui contactent les familles pour les informer des absences et rechercher auprès d’elles les causes de l’absentéisme.

Dans la pratique, dès qu’ils en ont les moyens, les CPE n’attendent pas que soit atteint le nombre réglementaire de cinq demi-journées d’absence dans le mois pour considérer qu’il faut aider l’élève. En conseil de classe, les professeurs s’alarment dès que ce nombre est dépassé pour un trimestre.

C’est ce qu’attendent l'Union nationale des associations familiales, l’UNAF, les parents et les élèves eux-mêmes : une intervention rapide et réactive.

Même si le dispositif proposé par M. Ciotti présentait un quelconque intérêt, le mécanisme serait trop lent et trop complexe à mettre en œuvre pour être véritablement efficace.

Les CPE, spécificité française, doivent jouer pleinement leur rôle, ce qu’ils font le plus souvent. Malheureusement, ils sont « en voie de disparition » : absents dans plusieurs centaines de collèges, ils sont en sous-effectifs dans les lycées. Or un CPE tout seul peut être vite dépassé. S’ils sont plusieurs, ils peuvent mieux se coordonner et mettre en œuvre les ressources du milieu scolaire pour rattraper l’élève décrocheur.

Malheureusement, les CPE ne sont pas seulement moins nombreux, ils disposent de moins en moins de conseillers d’éducation adjoints, faute de ressources, et de moins en moins de temps pour faire face à des tâches qui se sont multipliées. C’est la triste réalité, malgré vos dénégations sur l’encadrement, monsieur le ministre.

Vous évoquez sans cesse les structures créées par le Gouvernement et devant concourir à la lutte contre l’absentéisme, notamment le soutien personnalisé. En fait, votre dispositif fonctionne non pas pour chaque élève pris individuellement, mais pour des groupes qui peuvent comprendre jusqu’à vingt élèves selon les cas. Il y a donc loin de ce que l’on comprend de votre discours à la réalité.

Or les structures novatrices, qui constituent plutôt des exceptions que des exemples, provoquent souvent, là où elles existent, la dispersion du temps des CPE et de l’encadrement.

À cet égard, je pourrais vous citer un internat d’excellence ouvert depuis la rentrée, qui permet en effet d’accueillir dans de bonnes conditions seize élèves internes. Cependant, l’encadrement n’ayant pas été renforcé, c’est l’étude surveillée traditionnelle de dix-sept à dix-huit heures qui a été supprimée pour une cinquantaine d’élèves. Pourtant, ils méritaient, eux aussi, de bénéficier d’un encadrement pour faire leurs devoirs !

C’est déshabiller Pierre pour habiller Paul, selon la formule consacrée. Avec la suppression massive des postes, depuis des années, l’éducation nationale en est réduite à gérer la pénurie.

L’absentéisme scolaire est aussi lié à un manque de perspective offerte aux élèves. Là encore, les conseillers d’orientation sont des interlocuteurs précieux, mais ils sont également en sous-effectifs. Sur le fond, il faut leur permettre de mettre en œuvre une véritable orientation qui suive les vœux des élèves, à la place de la pseudo-orientation fondée sur une sélection par les notes, qui nourrit le sentiment de frustration, de désintérêt, voire de culpabilité, et qui conduit à l’échec.

D’autres personnels sont indispensables, mais eux aussi en sous-effectifs : les infirmières, les psychologues, les assistantes sociales, les médecins scolaires, qui ne sont présents, au mieux, qu’une demi-journée par semaine dans l’établissement. Or ils sont les plus à même d’entendre le mal-être intime des élèves, qui voient en eux des confidents sûrs et responsables.

Faute, malheureusement, d’une analyse sérieuse des causes de l’absentéisme, les dispositions de cette proposition de loi sont contre-productives. Elles entretiennent les fantasmes. Ce ne sont pas les élèves qui vont au café du commerce, ce sont plutôt les électeurs à qui s’adresse M. Ciotti à travers cette proposition de loi !

Monsieur le ministre, l’éducation nationale a besoin d’un plan de sauvetage, ce que résume ainsi le titre du Monde Éducation daté du 15 septembre : « L’école, un service public en danger ».

Nous demandons plus de moyens non par principe, mais parce que les besoins sont avérés pour répondre à des problèmes bien identifiés, dont l’absentéisme scolaire fait partie.

Cette proposition de loi ne reconnaît même pas ces besoins, car le diagnostic sur lequel elle est fondée est profondément erroné. C’est pourquoi nous nous y opposons sans hésitation et nous demandons la suppression de l’article 1er.

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