Désormais, le mouvement de contestation provient des étudiants travailleurs sociaux : ces deux dernières années, tous les centres de formation en travail social ont été affectés, à des degrés divers, par des mouvements de grève et de blocage des cours ; de nombreuses manifestations d’étudiants ont été organisées à Paris et en province, et ce encore très récemment.
Je rappelle que les travailleurs sociaux suivent une formation pour être assistants de service social, éducateurs spécialisés, éducateurs de jeunes enfants, conseillers en économie sociale et familiale, assistants familiaux ou encore auxiliaires de vie sociale. Dans leur cursus pédagogique, enseignement théorique et formation pratique alternent à quasi-parité.
Les employeurs du secteur social et médico-social se sont engagés et ont su prendre toute leur part dans ce dispositif d’alternance, qui a d’ailleurs démontré sa pertinence et son efficacité en termes d’apprentissage des métiers et d’insertion professionnelle.
Or, ce système est aujourd’hui menacé par la pénurie de stages suscitée par l’obligation de gratification, qui a créé trois difficultés.
La première tient à l’inégalité entre le public et le privé.
Initialement, seuls les établissements et services sociaux et médico-sociaux de droit privé – ils sont le plus souvent gérés par une association – étaient tenus de rétribuer les stagiaires ; ce n’était pas le cas des administrations et des établissements publics administratifs. Il en résultait une inégalité de traitement entre les étudiants effectuant leurs stages dans le privé et ceux qui avaient choisi de les réaliser dans le public.
Depuis lors, ce problème a été en partie résolu, puisque le champ d’application de l’obligation de gratification a été étendu en 2009 aux administrations et établissements publics de l’État. En revanche, cette obligation ne concerne toujours pas les administrations territoriales et les établissements publics qui leur sont rattachés.
La deuxième difficulté a trait à l’appauvrissement quantitatif et qualitatif des lieux de stage.
Dès la mise en place des gratifications, les établissements et services sociaux et médico-sociaux ont fait savoir qu’ils rencontreraient des difficultés pour assumer cette nouvelle charge financière. Il s’est ensuivi un net désengagement de leur part dans l’accueil des étudiants en travail social.
À cet égard, la raréfaction de l’offre concerne essentiellement les établissements sociaux et médico-sociaux de droit privé, puisque ce sont les premiers à avoir été soumis à l’obligation de rétribution des stagiaires. Le secteur associatif, gestionnaire historique de ces structures, a été contraint soit de chercher de nouveaux financements, soit de se désengager de la formation.
Cette réduction de l’offre apparaît moins sensible dans les établissements sociaux et médico-sociaux financés par l’État – celui-ci a encouragé ces derniers à assumer la charge de la rémunération – que dans ceux qui sont financés par les départements.
Elle se traduit par la diminution du nombre de stages longs au profit des stages courts, qui sont, bien évidemment, moins propices à l’acquisition de connaissances pratiques approfondies.
Enfin, le troisième écueil concerne la remise en cause des projets personnels de formation.
Il est demandé à chaque étudiant en travail social de s’engager dans un processus de formation personnalisée destiné à lui donner une vision d’ensemble des secteurs où il pourra être amené à intervenir à l’avenir.
La contraction de l’offre de stage a fortement altéré ce processus. Actuellement, il n’est pas rare que les étudiants soient contraints d’accepter des stages sans rapport avec les impératifs pédagogiques de leur formation, uniquement pour respecter l’obligation qui leur est faite d’en réaliser un certain nombre.
Il est malheureusement clair que le principal obstacle à l’accueil des stagiaires est d’ordre financier : les établissements sociaux et médico-sociaux ne s’estiment pas en mesure de prendre en charge les dépenses de gratification.
Aussi, pour répondre à leurs inquiétudes, la DGAS, la direction générale de l’action sociale, a pris en 2008 deux circulaires destinées à préciser les modalités de financement de la mesure.
Celles-ci rappellent tout d’abord que la gratification « constitue une dépense qui s’impose aux employeurs qui les accueillent et, partant, à vocation à être couverte par les tarifs ». Autrement dit, elle doit être prise en charge par les budgets des établissements.
Elles indiquent ensuite que, s’agissant des ESMS, les établissements et services médico-sociaux financés par l’État, via l’assurance maladie, il appartient aux DRASS et aux DDASS, les directions régionales et départementales des affaires sanitaires et sociales, de prendre en compte ces dépenses dans le cadre des financements qu’elles leur octroient.
Pour ce qui concerne les ESMS tarifés par les conseils généraux, la DGAS se contente de rappeler que les dépenses afférentes aux gratifications sont imputables sur les budgets. Elle estime donc avoir pris, selon ses termes, « les dispositions nécessaires » pour que l’accueil des stagiaires ne se heurte pas à un obstacle financier, du moins pour ce qui relève des structures financées par l’État.
Malgré les recommandations des syndicats d’employeurs, les efforts des services de l’État et l’engagement d’un certain nombre de conseils généraux, les établissements de formation en travail social continuent de rencontrer de sérieuses difficultés pour garantir les temps de formation pratique, du fait – j’y insiste – d’une diminution du nombre de lieux de stages.
C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. Celle-ci vise un unique objectif : permettre aux étudiants travailleurs sociaux d’achever leur cursus et d’obtenir leur diplôme au moment où le secteur social et médico-social connaît d’importants besoins de recrutement.
Son dispositif s’inspire directement de la solution retenue pour les auxiliaires médicaux dans la loi HPST : exclure les stages intégrés à la formation des étudiants travailleurs sociaux de l’obligation de gratification, à l’exception, bien évidemment, des indemnités justifiées par les contraintes liées à ces stages.
À court terme, cette solution nous semble la plus à même de faciliter rapidement l’accès aux stages.
Cependant, elle ne peut être que temporaire, car il n’est, bien sûr, pas question de remettre en cause le principe de gratification que la commission a vigoureusement soutenu en 2006. Je suis, et vous l’êtes aussi sûrement, très attachée aux objectifs qui lui ont été assignés, notamment l’amélioration des conditions de vie des étudiants.
La mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes, dont j’ai fait partie, a montré combien la précarité étudiante était une réalité alarmante : un jeune de dix-huit à vingt-quatre ans sur cinq dispose de revenus inférieurs au seuil de pauvreté – inférieur donc à 800 euros par mois –, ce qui représente plus de 1 million de personnes.
L’objectif n’est donc pas de « démonter » progressivement, secteur par secteur, l’obligation de gratification, mais de chercher les moyens d’en atténuer les effets contre-productifs et de faire en sorte que les structures d’accueil soient en mesure d’assurer leurs obligations légales.
En décembre dernier, l’IGAS a été chargée d’évaluer l’incidence de la réglementation des stages, ce qui suppose, au-delà de la question de la gratification, d’engager aussi une réflexion sur l’organisation du cursus pédagogique des étudiants travailleurs sociaux. Après un point d’étape prévu pour mai, l’IGAS devrait remettre son rapport définitif en juillet prochain.