Madame la présidente, madame le secrétaire d’État, madame le rapporteur, mes chers collègues, notre débat d’aujourd’hui ne vise pas à remettre en cause le principe de la gratification des stages, inscrit dans la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, et qui est une mesure d’équité.
La gratification des stages constitue indiscutablement une avancée.
D’une part, elle permet de pallier les difficultés financières de nombreux étudiants en situation de précarité. Le montant de la gratification a été fixé par décret à 12, 5 % du plafond horaire de la sécurité sociale, ce qui représente 417 euros pour un stage effectué à plein temps. Or, comme l’a souligné notre rapporteur, un jeune de 18 à 24 ans sur cinq dispose de revenus inférieurs au seuil de pauvreté.
D’autre part, la gratification permet de lutter contre les pratiques abusives de certaines entreprises, qui adoptent comme système de fonctionnement la multiplication des stages non rémunérés. Les stagiaires sont trop souvent utilisés comme une main-d’œuvre à bon marché.
Cependant, la difficulté d’application du texte pour certains secteurs est rapidement apparue. Les étudiants en orthophonie, tout d’abord, nous ont alertés sur les problèmes qu’ils rencontraient pour trouver des stages, dès lors qu’ils devaient être rémunérés. Après examen de la situation, notre Haute Assemblée a prévu, dans la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, de créer une exemption à l’obligation de gratification des stages pour les étudiants en orthophonie et l’ensemble des étudiants auxiliaires médicaux.
La question se pose de nouveau aujourd’hui, cette fois-ci dans les filières formant les travailleurs sociaux, c’est-à-dire les assistants sociaux, les éducateurs, etc. Ces filières prévoient en effet de nombreux stages d’application, qui, dans certains cas, représentent près de la moitié du temps total de la formation.
Or de nombreux établissements ou associations ne sont pas en mesure de faire face à cette charge nouvelle. Aussi a-t-on pu constater que les offres de stages se raréfiaient, au point que de nombreux étudiants ont rencontré des difficultés pour valider leur année. C’est ce qui s’est produit, dans ma région, pour des étudiants des écoles de Strasbourg et de Mulhouse : j’ai perçu, en tant que président de l’Institut supérieur social de Mulhouse, que cette crise concernant les stages était révélatrice de difficultés plus globales affectant la formation des travailleurs sociaux.
Les refus de stages remettent en question la validation des formations de travailleurs sociaux et, plus largement, la légitimité des formations en alternance, ce qui est infiniment regrettable.
La professionnalisation des travailleurs sociaux passe par l’alternance. Le temps passé au contact du public, de l’usager et des institutions est lié à l’enseignement plus théorique dispensé par le centre de formation. La question de la gratification n’est qu’un élément de la problématique. Un stage de qualité nécessite la présence de formateurs, mais aussi de formateurs de formateurs, ainsi que le suivi et l’évaluation des rapports et missions formatrices effectués par l’étudiant.
Cela devrait nous éloigner du concept d’ « utilisation » du stagiaire. Ce dernier est, de toute façon, dans l’incapacité juridique de se substituer au professionnel, sous peine de courir un risque.
La réforme des formations sociales a été engagée en 2004 par la loi de modernisation sociale, puis par la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social, et par la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. Tous ces textes constituent des acquis très positifs.
Le stage permet aux jeunes de découvrir la vie active et d’approcher le secteur professionnel auquel ils se destinent. Il joue un rôle majeur d’insertion, tout d’abord parce qu’il permet de se projeter dans une profession, mais aussi, concrètement, parce qu’il ouvre bien souvent les portes vers une première embauche.
Il faut prendre en considération la grande diversité de situations des stagiaires. Selon une étude du ministère de la santé de 2006, la majeure partie des étudiants bénéficie d’une prise en charge financière. Parmi les futurs assistants de service social, par exemple, 53 % des étudiants recevaient en 2004 une bourse d’État et 13% étaient rémunérés par un conseil régional ou un conseil général.
Je rappelle que dans les formations aux métiers sociaux, le nombre d’étudiants a plus que doublé en vingt ans. En 1985, le nombre d’étudiants inscrits dans les dix filières de formation aux professions sociales ne dépassait pas 20 000. En 2004, on en comptait 53 600. Ces formations sont donc particulièrement importantes et doivent pouvoir se dérouler au mieux.
Sans doute aurait-il fallu réaliser des études d’impact sur la question de la gratification des stages avant l’adoption de la loi. Toujours est-il que le ministère du travail a demandé à l’IGAS, en décembre 2009, d’évaluer l’incidence de la réforme sur l’offre de stages, en particulier dans le secteur médico-social. Mais nous ne découvrons pas le problème !
Le recours à un rapport officiel est une pratique classique, qui ne doit pas nous permettre de nous décharger et de laisser à d’autres les forces de propositions. Nous pouvons attendre des constats de gestion, des axes de réflexion, mais pas des réponses. C’est à nous de tenter, à présent, de trouver des solutions en rapport avec des réalités de terrain.
Un rapprochement avec les collectivités territoriales serait intéressant, mais pas, comme on nous l’a proposé, pour créer ou gérer un fonds de plus, pris sur des moyens constants et non pérennes. Il ne s’agit pas de transférer des compétences. La région, partenaire direct dans le financement du fonctionnement des instituts de formation, devrait avoir la liberté de négocier les besoins adaptés. Des conventions passées avec les conseils généraux, grands employeurs de travailleurs sociaux et financeurs des associations recevant les stagiaires, devraient permettre d’adapter l’accueil de ces jeunes dont ils bénéficieront en tant que futurs professionnels.
Nous reconnaissons qu’il faut faire le point sur la gestion de la gratification des stagiaires : se limiter à des préconisations financières dans ce contexte ne nous permettra pas d’améliorer la qualité du stage. Les représentations de la formation doivent changer. L’évolution des réformes et les conduites de changement doivent influer sur le stagiaire, qui n’est pas dans une posture de service, mais de formation.
Dans ces conditions, la gratification – que nous ne mettons pas en question ! – est une aide. Le stagiaire n’est pas un professionnel ; considéré comme tel, il deviendrait l’enjeu d’un emploi au rabais. Il est donc nécessaire de ne pas l’intégrer dans une structure en difficulté avec des emplois vacants. Il n’est pas un remplaçant : lui confier une charge de travail ne peut signifier lui demander un rendu dans le seul intérêt du service, sous couvert de formation. Former par le stage correspond à un processus évolutif permettant une progression.
Le lieu d’accueil doit pouvoir offrir une convention de formation, et avoir le souci de développer des référentiels de formation validés par la profession et l’État.
La solution proposée par la commission semble justifiée : il s’agit, en l’attente de solutions permettant le financement des stages, de suspendre la gratification des stages des étudiants travailleurs sociaux jusqu’au 31 décembre 2012. L’intérêt de cette mesure est de supprimer l’angoisse face à l’échéance du diplôme. Mais combien de demandes d’apprentissage, par ailleurs, ne trouvent-elles pas d’issue, du fait de l’absence de lieu d’accueil dans d’autres professions ?
Une réflexion éthique s’impose. Le stagiaire n’est pas en situation d’emploi, avec un travail à produire. Il ne peut être laissé seul en situation de travail et doit bénéficier de règles déontologiques.
Nous souhaiterions invoquer la responsabilité sociale de l’entreprise, ou mieux, des institutions accueillant le stagiaire.
Il est reproché aux directions des ressources humaines, quelquefois à juste titre, d’occulter leur responsabilité sociale dans les entreprises de production ou de services. On pourrait espérer que les institutions sociales et médico-sociales soient exemplaires en matière de responsabilité sociale, c’est-à-dire de formation de leurs futurs professionnels. Des gratifications dans un contexte médiocre sont aussi insupportables professionnellement qu’une absence de gratification.
Il est indispensable de mener une réflexion plus large sur l’organisation même des stages. Il s’agit d’évaluer les différences de situations selon les départements, et de voir comment les besoins pourraient être mieux anticipés par les directions des ressources humaines.
Les conditions d’accueil des stagiaires sont perfectibles. Je tiens à souligner, à cet égard, l’importance des « formateurs » de stage. Les travailleurs sociaux expérimentés intègrent cette mission dans l’exercice de leur profession. Il s’agit même d’un fondement de l’identité en travail social.
Voilà les quelques pistes de réflexion dont je souhaitais vous faire part.
Cette proposition de loi est très attendue. Plusieurs fédérations de travailleurs sociaux viennent d’écrire au nouveau ministre de la jeunesse et des solidarités actives, Marc-Philippe Daubresse, pour protester contre l’application de la gratification des stages, qui n’est pas adaptée à leur secteur.
Par ailleurs, l’Association française des organismes de formation et de recherche en travail social, l’AFORTS, que nous connaissons de longue date, en association avec le Groupement national des instituts régionaux du travail social, le GNI, appelle à une grande manifestation, le 6 mai prochain, pour préserver l’alternance dans toutes les formations sociales. Des manifestations se tiendront dans chaque région de France et une conférence de presse aura lieu le même jour, à Paris. Ce sujet est donc bien d’actualité. C’est la première fois que l’AFORTS organise une manifestation nationale, ce qui montre combien l’enjeu est important et les inquiétudes réelles.
Nous devons être attentifs aux institutions de formation, proches des collectivités et des besoins de l’usager, et liées à l’Université. Diverses commissions professionnelles spécialisées dans le travail social et les interventions qui y sont liées peuvent ainsi inspirer notre réflexion.
Le principe de gratification des stages ne doit pas prévaloir sur le droit pour tout étudiant de bénéficier d’une formation de qualité visant à la professionnalisation, à l’accès à l’emploi et à l’obtention d’un diplôme. Aussi notre groupe votera-t-il cette proposition de loi.