Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes donc quelques-uns à être à nouveau réunis pour examiner le projet de loi relatif à la transparence et la sécurité nucléaire.
Je tiens, à cet égard, à mentionner la qualité des débats au sein de cet hémicycle, ainsi qu'à l'Assemblée nationale en première lecture.
Madame la ministre, vous avez souhaité, dans un esprit constructif, que ce texte puisse être largement amendé par les parlementaires, y compris ceux de l'opposition.
Dans ce sens, la levée de l'urgence a été un signe fort pour nous laisser le temps de travailler dans des conditions à la hauteur des enjeux.
Alors comment expliquer votre volonté d'obtenir un vote conforme sur ce texte ? C'est totalement contradictoire avec ce que je viens de souligner.
Certes, nous bénéficions d'une deuxième lecture, mais nous savons d'emblée que le texte ne bougera pas d'une virgule parce qu'il doit être adopté en l'état. Nous ne pouvons nous satisfaire de cette décision. C'est un déni du rôle des parlementaires qui nous est insupportable, particulièrement sur un sujet aussi important. J'y reviendrai dans la conclusion de mon intervention.
Concernant le projet de loi, nous reconnaissons que ce texte comporte des points positifs, notamment en ce qui concerne la transparence en matière nucléaire.
Nous estimons que la création d'un Haut comité pour la transparence sur la sécurité nucléaire, chargé de veiller à la garantie du droit à l'information, est une bonne mesure même si nous souhaiterions que sa saisine soit élargie aux parlementaires, aux représentants des organisations syndicales ainsi qu'aux représentants du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
De plus, nous estimons que ce texte fait oeuvre utile en reconnaissant l'existence légale des commissions locales d'information et en élargissant leurs pouvoirs, notamment concernant la possibilité de faire réaliser des études endémiologiques.
Nous sommes assez satisfaits de ces garanties apportées par la loi, même si, concrètement, les CLI ne disposent pas de réels pouvoirs de contrainte pour obtenir certains documents et que l'exercice de leur nouvelle compétence dépendra largement de la hauteur de leur financement.
Cependant, nous sommes plus circonspects sur le droit à l'information créé à l'article 4. Nous estimons qu'en restreignant ce droit aux documents qui ne sont touchés ni par le secret défense, ni par le secret commercial ou industriel, ce texte ne permet pas de garantir effectivement ce droit.
Cette nouvelle obligation est source d'insécurité juridique pour les exploitants qui ne sauront pas quels documents ils sont dans l'obligation de fournir. Nous estimons donc que ce projet de loi aurait dû renvoyer à un décret pris en Conseil d'État la liste des documents transmissibles.
En outre, si nous considérons l'information de la population indispensable, nous pensons également qu'il ne faut pas oublier l'information des salariés de ce secteur.
L'exercice de la démocratie sociale est un élément important de la transparence nucléaire.
De ce point de vue, le statut d'EPIC d'EDF permettait un minimum de consultation des personnels grâce aux dispositions statutaires.
Aujourd'hui, la situation s'est nettement dégradée : les salariés sont systématiquement écartés de toutes les questions de sécurité.
Le nouveau chapitre 1er bis du titre III, introduit par l'Assemblée nationale, permet de répondre en partie à ces préoccupations en étendant les prérogatives du CHSCT aux domaines de la sûreté nucléaire. Nous avions déjà, en première lecture, déposé un certain nombre d'amendements dans ce sens. Certains, qui avaient été rejetés ici, ont même été adoptés à l'Assemblée nationale, notamment la participation des CHSCT à l'élaboration du plan d'urgence interne. Nous nous en félicitons.
Ainsi, les dispositions prévues par le code du travail pour les sites SEVESO sont dorénavant étendues aux installations nucléaires de base. Les CHSCT notamment seront consultés sur le recours à la sous-traitance et leurs réunions seront élargies aux représentants des entreprises sous-traitantes.
Cependant, une nouvelle fois, si cette intention est louable, elle sera fortement limitée.
Cette disposition ne s'appliquera pas dans les centrales nucléaires de production d'électricité où le recours à la sous-traitance est pourtant de plus en plus pratiqué.
Nous regrettons tout de même que ces nouveaux pouvoirs restent limités à l'information sans pouvoir d'expertise ni d'analyse de sûreté et de droit d'alerte.
Sur le fond, je rappellerai tout de même que les politiques de libéralisation du secteur énergétique et de l'ouverture du capital d'EDF ont de lourdes conséquences concernant la transparence nucléaire elle-même.
La gestion privée des entreprises énergétiques correspond à un recul démocratique important puisque les citoyens et les salariés n'ont plus leur mot à dire. Ce déficit démocratique est alors potentiellement facteur de manque de transparence.
De plus, non seulement la mise en oeuvre des principes de libéralisation dans le secteur énergétique est source d'un déficit de transparence, mais également les impératifs du marché sont difficilement compatibles avec ceux de sûreté en matière nucléaire.
Même s'il s'agit d'une énergie permettant de lutter efficacement contre le réchauffement climatique et qu'en l'état actuel des connaissances elle est la mieux à même de répondre à l'explosion des besoins, son développement et son acceptation par les citoyens ont pour corollaire la garantie d'une sécurité maximale.
Je voudrais, à ce sujet, vous rappeler que, depuis maintenant cinq années, les rapports annuels de l'inspecteur de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, ainsi que celui des autorités de sûreté nucléaire, alertent sur les incidences de la recherche de la compétitivité associée à la libéralisation du secteur.
Ils soulignent notamment l'évolution des conditions d'exploitation pour tenir compte des aléas du marché et garantir l'augmentation des marges financières.
De plus, la libéralisation du secteur de l'énergie, associée à la privatisation d'EDF, s'est traduite par une place grandissante de la sous-traitance et la dégradation des conditions de travail et sociales des salariés.
J'en veux pour preuve que 80 % des doses d'irradiation reçues dans le nucléaire et 70 % des accidents du travail sont subis par les salariés de la sous-traitance. L'émergence de la concurrence dans ce secteur tend à faire disparaître la professionnalisation des gestes requis.
L'Autorité de sûreté nucléaire souligne à ce sujet que « lorsque des prestataires d'EDF sous-traitent à des entreprises qui, à leur tour, font appel à la sous-traitance, il devient difficile de contrôler effectivement la qualification de l'intervenant et la qualité des travaux. »
Le recours à l'emploi précaire dans les centrales nucléaires ou électriques y est le double de celui qui est constaté dans l'industrie, atteignant parfois 70 % dans les activités les plus exposées aux risques professionnels.
Ainsi, depuis septembre 2005, de source syndicale, « quatre plans d'urgence internes ont été déclenchés à la suite d'incidents importants » dans des centrales nucléaires françaises.
EDF donne un bon exemple de ces dérives puisque le bénéfice record réalisé en 2005 sert à offrir 1, 441 milliard d'euros de dividendes aux actionnaires, somme qui ne servira donc ni à financer le projet industriel de l'entreprise énergétique, ni à augmenter les garanties sociales des salariés.
C'est dans ce contexte particulier que vous souhaitez désengager l'État en créant une nouvelle Autorité administrative indépendante, aux pouvoirs exorbitants et qui, pourtant, ne serait responsable devant personne.
Cette nouvelle autorité administrative indépendante serait chargée du contrôle de la sécurité nucléaire, de la radioprotection et de l'information afin de renforcer la confiance des citoyens dans le nucléaire.
Nous estimons pourtant que, dans ce domaine, une externalisation de ces services par l'État, loin de garantir une indépendance renforcée, laisse présager une pression accrue des grands groupes industriels.
L'avis rendu par le Conseil d'État en 1999 allait dans le même sens : la sûreté nucléaire est un sujet trop important pour qu'il soit externalisé par le pouvoir politique. L'État doit disposer d'une appréciation d'ensemble de la politique de sécurité nucléaire, qui comprend la sécurité civile, mais également la sûreté et les radioprotections.
Dans ce sens, on ne peut que regretter que le Gouvernement se dessaisisse de tout rôle pratique dans l'élaboration de la réglementation relative aux installations nucléaires de base.
Cette loi affecte directement le droit du travail en modifiant en profondeur l'organisation du contrôle en ce domaine.
Ainsi, l'article 2 bis indique que la nouvelle autorité peut prendre, en tant que de besoin, des dispositions réglementaires à caractère technique pour compléter les conditions ou modalité d'application des règlements pris en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection, notamment la surveillance de l'exposition des travailleurs aux rayonnements ionisants.
Au contraire, nous aurions besoin d'une approche unifiée de la prévention des risques du travail. Celle-ci s'est d'ailleurs traduite par l'instauration du document unique réalisé par le ministère du travail visant à intégrer la radioprotection des travailleurs dans le dispositif global de prévention des risques professionnels.
Pourtant ce texte transfère de fait à la nouvelle autorité des prérogatives en matière de risques professionnels exercés actuellement par le ministère chargé du travail.
L'article 32 de ce texte soustrait également les salariés des installations nucléaires de base des centrales productrices d'électricité au corps d'inspection du travail placé sous la tutelle directe du ministre chargé du travail par l'intermédiaire des DRIRE, les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement. Dorénavant, les inspecteurs seront placés sous la responsabilité de l'autorité de sûreté nouvellement créée.
Ainsi, en confiant le contrôle de la réglementation du travail dans les installations nucléaires à des inspecteurs dépendant de la nouvelle autorité, ce texte organise un transfert de prérogatives relevant du droit du travail créant un véritable régime d'exception. Ces inspecteurs ne bénéficieront pas du statut spécifique et des garanties des inspecteurs du travail.
En outre, malgré la présence du nouvel article 2 bis A, le partage des rôles entre l'autorité nouvellement créée et le Gouvernement ne tend pas à une clarification des responsabilités.
De plus, cette nouvelle autorité va disposer des moyens de la direction générale de sûreté nucléaire et de radioprotection. Nous aurions alors souhaité que ce projet de loi explicite les moyens humains qui seront maintenus dans les services de l'État pour procéder à l'instruction des demandes visant à la création de grandes installations nucléaires.
Je tiens également à souligner qu'aucune obligation européenne ou internationale n'imposait la création d'une autorité administrative indépendante.
Les conventions sur la sûreté radiologique de 1994 et de 1997 pointent l'objectif de l'indépendance de l'autorité dans l'exercice de ces fonctions, mais pas de l'organisme lui même.
La création de cette autorité est donc purement idéologique.
L'article 13 de la loi est, dans ce sens, particulièrement emblématique. En réglementant la procédure relative aux demandes de changement d'exploitation des installations nucléaires de base, il ne distingue pas ce qui relève des installations nucléaires de base productrices d'électricité des autres installations.
Plus clairement, comment ne pas analyser ce manque de précision comme étant la porte ouverte à la mise en concurrence de l'exploitation de l'installation nucléaire civile ? Souhaitez-vous donc permettre à Suez, déjà exploitante en Belgique, de s'installer en France, par exemple ?
La coïncidence de sa possible fusion avec GDF serait alors plutôt significative.
Dans ce contexte particulier, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen estiment qu'une clarification des intentions du Gouvernement sur l'avenir des entreprises encore publiques que sont EDF et GDF est souhaitable avant toute externalisation des missions de sécurité actuellement sous compétence gouvernementale.
Dans cette optique, ils estiment que seule la maîtrise publique de la politique énergétique permettrait de garantir la transparence et la sécurité en matière nucléaire.
Pour toutes ces raisons, nous ne pourrons que voter contre ce projet de loi.
Par ailleurs, puisqu'il apparaît aujourd'hui qu'aucun des amendements déposés en deuxième lecture ne pourra faire l'objet d'un échange sérieux, j'informe dès à présent notre assemblée que le groupe CRC, en signe de protestation contre une parodie de débat et un manque certain de respect du travail parlementaire, ne participera pas au pseudo-examen des articles. §