Intervention de Ambroise Dupont

Réunion du 15 septembre 2009 à 14h30
Engagement national pour l'environnement — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Ambroise DupontAmbroise Dupont, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a décidé de se saisir pour avis de ce projet de loi dense et ambitieux à un double titre, et ce dans un double objectif.

D’abord, s’agissant d’un aspect très précis du texte, l’article 14 visait initialement, et ce avant le vote du Grenelle I, à supprimer l’avis conforme de l’architecte des Bâtiments de France, l’ABF, dans les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, les ZPPAUP. Cette question, qui a suscité de vives inquiétudes chez les acteurs du patrimoine, méritait un examen approfondi. Sur ce point, j’ai bien entendu l’intervention de M. le rapporteur au fond.

Au-delà, l’environnement figure au rang des attributions de notre commission, qui y consacre chaque année un avis budgétaire que j’ai l’honneur de présenter. Notre approche est avant tout ciblée sur la qualité des paysages et du cadre de vie. Dans ce cadre, j’ai abordé, l’automne dernier, le thème de l’affichage publicitaire extérieur, réflexion que j’ai poursuivie au travers de la mission que m’a confiée votre ministère.

La commission de la culture a adopté plusieurs amendements qui reprennent certaines des préconisations que j’ai formulées dans le rapport que j’ai remis en juin dernier à Mme Jouanno.

Ces propositions visent à faire évoluer une législation qui aura bientôt trente ans, afin de mieux maîtriser la pression publicitaire et de limiter son impact sur les paysages. Notre objectif est également de clarifier une procédure source de contentieux et de l’inscrire dans la logique de la décentralisation.

Avant de vous présenter de manière plus détaillée ces propositions, j’aborderai le premier volet de cet avis : la protection du patrimoine architectural, dont les ABF, notamment, sont les garants.

Les ZPPAUP sont l’un des outils les plus récents et les plus souples de notre politique patrimoniale. Créées par la loi de décentralisation, elles relèvent d’une démarche contractuelle entre les communes et l’État. Elles sont instituées sur l’initiative des communes ; l’État, au travers des ABF, notamment, est le garant de la qualité et de la cohérence de la politique patrimoniale dans ces secteurs qui présentent un intérêt esthétique, culturel et architectural.

Sur l’initiative de l’Assemblée nationale, il avait été proposé de supprimer l’avis conforme de l’ABF dans différents textes, tout d’abord dans le cadre du « plan de relance » en janvier, puis dans celui du Grenelle I ; à l’issue des travaux de la commission mixte paritaire, cette proposition a fini par être adoptée à l’article 9 de la loi.

À chacun de ces « rebondissements » législatifs, les associations de défense du patrimoine se sont mobilisées pour faire obstacle à cette mesure, ressentie comme un signal négatif et comme l’abandon par l’État d’un « garde-fou ». Les associations d’élus, notamment l’Association des maires de France et l’Association nationale des villes et pays d’art et d’histoire et des villes à secteurs sauvegardés et protégés, ont également marqué leur attachement au maintien de l’avis conforme de l’ABF. Tous ces acteurs n’ont pas manqué de réagir au cours des dernières semaines, alors qu’allait s’ouvrir la discussion du présent projet de loi. L’opportunité nous est donc donnée de revenir sur ce sujet.

Permettez-moi de vous rappeler que, formellement, la décision de l’architecte des Bâtiments de France s’appuie sur le règlement de la ZPPAUP, établi en concertation entre la commune et l’ABF. Dans un souci de simplification des démarches, et comme le souligne l’exposé des motifs du projet de loi, un avis simple serait une garantie suffisante puisque le maire doit respecter ce règlement quand il autorise ou non les travaux.

Toutefois, en matière de patrimoine, tout ne peut être planifié. Par ailleurs, de nombreux règlements, notamment les plus anciens, sont lacunaires et ne recouvrent pas toutes les problématiques qui peuvent se présenter.

L’architecte des Bâtiments de France apporte donc une expertise indispensable dans ce domaine qui est loin d’être figé. Puisque nous évoquons cette question dans le cadre du Grenelle II, j’oserai proposer la notion de « patrimoine durable », dont le respect nécessite en permanence à la fois des compétences techniques pointues et solides, et l’imagination suffisante pour trouver des solutions innovantes. Si la proposition de transformer l’avis conforme de l’architecte des Bâtiments de France en un avis simple était maintenue, la portée de cette expertise s’en trouverait affaiblie et laisserait, par ailleurs, des questions en suspens, comme celle du bénéfice du régime Malraux ou celle de la protection des abords des monuments historiques situés dans le périmètre des ZPPAUP.

La commission a jugé essentiel de réaffirmer avec conviction cet avis conforme pour préserver l’efficacité de ces zones et la crédibilité de cette politique patrimoniale.

Pour autant, nous ne souhaitons pas esquiver les questions qui sont sous-jacentes à ces débats et qui seront certainement abordées à l’occasion de la réflexion qui sera lancée par le ministre de la culture.

Nous avons bien conscience que des progrès sont indispensables pour moderniser l’image des architectes des bâtiments de France, laquelle est sérieusement entachée par les tensions qui opposent parfois ces derniers aux élus locaux.

Une meilleure compréhension mutuelle doit être recherchée : la réponse à ces différends ne se trouve sans doute pas dans une stigmatisation de l’ensemble d’un corps et un affaiblissement du rôle des ABF, au détriment, au final, de l’objectif de sauvegarde de notre patrimoine bâti et paysager.

N’oublions pas la responsabilité qui est la nôtre dans notre pays, où tant de sites, à l’image du Havre, de Strasbourg ou de Provins, ont été élevés par l’UNESCO au rang de patrimoine mondial, culturel et naturel.

Il ne nous a pas semblé non plus que la réponse se trouvait dans la réforme de la procédure de recours contre les décisions de l’ABF proposée par la commission de l’économie.

Jusqu’à présent, ce recours s’exerçait auprès du préfet de région. Celui-ci, après avis de la commission régionale du patrimoine et des sites, la CRPS, émettait un avis qui se substituait à celui de l’ABF.

Cette possibilité d’appel est, me semble-t-il, indispensable pour rééquilibrer les rôles et contrebalancer « l’exercice solitaire du pouvoir » dévolu jusqu’alors aux ABF. Elle n’a trouvé qu’une application très limitée : en 2007, sur trente-trois recours, trois seulement ont concerné des travaux en ZPPAUP. Or, chaque année, les ABF rendent plus de trois cent mille avis, dont trente mille dans les quelque six cents zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager.

Faut-il pour autant en conclure que cette procédure est ou était inefficace ?

Placer cet appel auprès du seul préfet de département peut apparaître comme une proposition séduisante, car elle a l’avantage de rapprocher la procédure des élus. Mais elle soulève des difficultés, d’abord en termes de cohérence.

En effet, les services déconcentrés du ministère de la culture se réorganisent aujourd’hui à l’échelon régional, avec l’intégration en cours des services départementaux de l’architecture et du patrimoine, les SDAP, au sein des directions régionales des affaires culturelles, les DRAC.

En outre, la dimension collégiale du recours et l’expertise de la commission régionale du patrimoine et des sites, la CRPS, nous semblent des éléments importants, étant donné le caractère technique de l’avis de l’ABF.

Je vous proposerai néanmoins d’encadrer les délais impartis au préfet de région pour consulter la CRPS et pour statuer, afin de rendre cette procédure plus fluide.

La commission a également souhaité conforter les ZPPAUP comme des outils souples et modernes de protection du patrimoine. Nous avons adopté en ce sens un amendement visant à faciliter l’intégration dans les règlements de zone de prescriptions environnementales liées à la performance énergétique des bâtiments ou à la promotion des énergies renouvelables. En effet, les associations de défense du patrimoine, les représentants des ABF et les services du ministère de la culture ont tous souligné la nécessité de mieux concilier l’exigence de protection du patrimoine avec les objectifs du Grenelle, dans le respect des exigences et spécificités du bâti ancien.

C’est la raison pour laquelle nous proposons, en outre, d’envisager de façon distincte, c’est-à-dire sur la base d’un avis simple de l’ABF, les travaux d’équipement de production individuelle d’énergie renouvelable ou d’économie d’énergie, sauf dans le cas de travaux aux abords des monuments historiques qui devraient continuer à relever de l’avis conforme. En effet, les ABF doivent jouer un rôle moteur, et non apparaître comme des obstacles au changement. Certains œuvrent d’ailleurs déjà en ce sens ; ces efforts doivent être poursuivis et intensifiés.

En parallèle, plus de collégialité dans les décisions, mais aussi plus de dialogue, de médiation et d’explications sont sans doute à rechercher pour lutter contre l’impression d’arbitraire qui peut parfois se dégager de l’avis des architectes des bâtiments de France. C’est pourquoi la concertation menée par M. le ministre de la culture est tellement importante.

J’ai bien entendu le rapporteur au fond ; vous avez aussi compris ce qui importe le plus à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication : c’est bien le maintien de l’avis conforme de l’architecte des bâtiments de France.

J’aborderai à présent le second volet de cet avis : l’affichage publicitaire extérieur.

La loi du 29 décembre 1979, qui régit la publicité et les enseignes, a répondu avant tout à un objectif de protection esthétique du paysage. Cette loi a eu un bilan globalement positif ; elle n’est d’ailleurs contestée ni dans son principe ni dans ses objectifs. Elle a permis d’améliorer nettement la situation, notamment dans les centres-villes, où, il faut le dire, le nombre de dispositifs a globalement diminué ces dernières décennies.

Mais un constat est unanimement partagé, tant par les professionnels que les associations : l’insuffisante application de la loi. Il est vrai que celle-ci est très complexe et que les maires et les agents de l’État, responsables en matière de police, manquent de moyens pour faire retirer les dispositifs illégaux qui dénaturent nos entrées de villes et nos paysages, notamment en zone rurale.

Les modifications introduites dans la loi de 1995, dite « loi Barnier », à savoir le régime de déclaration préalable et le dispositif visant à favoriser la requalification des « entrées de ville » et introduit sur mon initiative, ont permis des avancées. Toutefois, une nouvelle étape est attendue ; c’est ce que j’ai pu entendre à l’occasion de la mission que j’ai conduite au cours du printemps.

Nos concitoyens sont plus sensibles qu’avant à l’impact de la publicité. La multiplication des dispositifs sous toutes les formes auxquels nous sommes exposés est souvent perçue comme une nuisance, voire une forme d’agression visuelle, à l’image de la RN 20. Elle conduit aussi à une banalisation des paysages dont nous ne pouvons nous satisfaire.

Mes propositions sont aussi guidées par un souci d’équilibre qui était déjà au cœur de la loi de 1979. L’objectif de protection du cadre de vie doit être concilié avec la liberté d’expression et d’information. Les enjeux économiques et commerciaux sont importants et nous devons en tenir compte dans une période de crise qui fragilise aussi les professionnels du secteur. Ces derniers ont conscience, toutefois, des nécessaires évolutions de leur métier.

Les amendements que je vous proposerai au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’articulent autour de deux principaux objectifs.

Le premier est un objectif de simplification. Les procédures d’élaboration des règlements locaux de publicité, les RLP, qui permettent aux maires d’adapter la réglementation nationale au contexte local, sont complexes et suscitent un important contentieux. Celui-ci repose notamment sur des vices de formes qui entachent la composition des groupes de travail chargés d’élaborer les RLP.

Je vous proposerai d’aligner cette procédure sur celle qui est applicable en matière de plan local d’urbanisme. La démocratisation de la procédure sera ainsi renforcée, car toutes les personnes intéressées pourront être associées à la démarche et le projet sera soumis à enquête publique. Cela permettra aussi de faire prendre conscience aux élus des enjeux liés à la publicité et de leur connexion avec les préoccupations en matière d’urbanisme local. Quand un règlement local aura été élaboré, le maire sera chargé d’en garantir l’application en ayant la responsabilité de la police de l’affichage et, en cas de carence, ce sera le rôle du préfet.

Le second objectif est de mieux maîtriser la pression publicitaire pour protéger nos paysages et notre cadre de vie. En ce sens, je propose que les RLP ne fixent que des règles plus restrictives que la réglementation nationale. Ils pourront aussi prévoir des « zones de tranquillité » où toute publicité sera interdite aux abords des écoles et des ronds-points.

Les questions de publicité devront être prises en compte au niveau des entrées de ville. L’interdiction de publicité hors agglomération ne trouvera comme seule exception que les aéroports et les gares ferroviaires, qui sont des zones de passage où la présence de la publicité n’est pas aberrante.

En outre, j’ai souhaité adresser un signal fort : la suppression, dans un délai de cinq ans, des préenseignes dites dérogatoires qui se multiplient parfois de façon anarchique aux entrées de ville pour signaler stations-services, hôtels ou restaurants... Elles pourront être remplacées par des panneaux tels que la signalisation d’information locale – la ville de Saumur l’a déjà fait –, qui permettent de concilier la protection des paysages, l’information des voyageurs et la valorisation des activités locales.

Les mesures que j’ai l’honneur de présenter au nom de la commission de la culture sont fidèles aux principes que nous défendons : le respect, la sauvegarde, voire l’identité de notre patrimoine tant architectural que naturel. Elles sont également équilibrées, car elles tiennent compte des enjeux tant environnementaux qu’économiques.

Cet équilibre repose sur deux éléments essentiels. Le premier est la responsabilité de l’État, qui aura la charge de faire appliquer la loi et d’adapter la réglementation nationale relative à l’affichage au regard de l’évolution tant des pouvoirs du maire que des modes de publicité. Il devra préciser les possibilités offertes au maire avec l’attribution de ses nouvelles compétences, mais il devra aussi définir les limites opposables à tout RLP et traiter les problèmes non encore résolus, comme celui de la dépose des panneaux publicitaires obsolètes.

L’État aura donc bien la responsabilité de traduire concrètement, et dans le respect de la loi, la réforme que nous proposons.

Le second élément est la contrepartie du premier, puisqu’il s’agit de l’information des maires.

Il devient urgent de mettre à la disposition de ces derniers tous les outils d’information nécessaires à la bonne compréhension de la loi et des pouvoirs qui sont les leurs, afin qu’ils soient en mesure de jouer pleinement leur rôle. Les conseils d’architecture, d’urbanisme et d’environnement, les CAUE, implantés au niveau départemental pourront agir utilement en ce sens.

Je terminerai mon intervention par deux citations. Tout d’abord, selon le cardinal de Richelieu, « Faire une loi et ne pas la faire exécuter, c’est autoriser la chose qu’on veut défendre. ». Ensuite, en 1979, Michel d’Ornano, alors ministre de l’environnement et du cadre de vie, soulignait : « La publicité ne sera définitivement accueillie, même si elle n’est qu’éphémère, qu’à partir du moment où elle sera intégrée à la ville. Elle doit donc être attrayante et organisée au lieu d’être agressive et omniprésente. ».

C’est dans cet objectif, toujours d’actualité selon moi, que la commission de la culture vous propose d’adopter le texte ainsi enrichi de la commission de l’économie.

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