Intervention de Évelyne Didier

Réunion du 15 septembre 2009 à 14h30
Engagement national pour l'environnement — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Évelyne DidierÉvelyne Didier :

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mesdames, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, la loi de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement nous avait laissé une impression mitigée entre, d’un côté, le sentiment d’une réelle bonne intention dans les objectifs exprimés et, de l’autre, des doutes quant aux moyens dévolus à la réalisation de ces objectifs.

Le projet de loi portant engagement national pour l’environnement, ou Grenelle II, confirme nos craintes : malgré des avancées bien réelles dans certains domaines, nous sommes bien loin de la « révolution verte » qu’entendait mettre en œuvre le Grenelle I, et plus loin encore de la refonte complète du système que nécessiterait une véritable révolution écologique.

Nous n’aurons de cesse de souligner le manque d’envergure d’une prétendue révolution écologique – vous avez parlé de mutation, monsieur le ministre d’État – qui ne remettrait pas en cause les fondements du système actuel. L’émergence d’une société réellement soucieuse de son environnement ne peut se contenter de simples marchandages avec les institutions d’un système foncièrement matérialiste et libéral, dont la crise a pourtant largement mis en lumière les défauts et les excès.

Il convient de faire des choix courageux, sans avoir peur de revenir sur certaines valeurs fondatrices de ce système telles que l’obsession de la concurrence libre et non faussée, la recherche du profit maximum, la régulation par le marché, etc., en tant qu’elles sont intrinsèquement incompatibles avec un modèle de développement durable et solidaire.

En l’absence d’une telle orientation radicale et d’un projet construit autour de politiques publiques fortes, accompagnées de financements adaptés, nous déplorons que les bonnes intentions du Grenelle se soient vues exposées à un « rabotage constant », pour reprendre les mots de mon collègue Jacques Muller, de la part des lobbies des entreprises, que ce soit durant toute la durée du débat sur les objectifs du Grenelle I ou dans leur traduction en mesures concrètes dans le Grenelle II.

À ce rythme, on est en droit de se demander ce qu’il restera de toutes ces bonnes intentions après le passage devant l’Assemblée nationale et, surtout, après la rédaction des décrets d’application.

Au final, on se trouve face à un texte qui est loin d’être à la hauteur des enjeux tant il manque d’une dimension sociale pourtant indispensable à l’efficacité d’une politique environnementale de grande ampleur.

Est-il nécessaire de répéter encore que la justice sociale est l’un des trois piliers indissociables du développement durable ? La même critique vaut d’ailleurs pour la taxe carbone, sujet que nous nous devons d’évoquer ici, même s’il n’est pas encore à l’ordre du jour de notre assemblée. Cette taxe devrait s’inscrire dans une remise à plat complète de notre fiscalité, et non pas rester un « bricolage » isolé, un « verdissement » – un coup de peinture, devrait-on dire – des mesures fiscales. Indubitablement nécessaire pour pouvoir atteindre les objectifs que s’est fixés la France en matière de réductions d’émissions, elle n’en est pas moins à la fois improductive et injuste dans la version que nous propose le Gouvernement. Mais sans doute ne s’agit-il pas de la version définitive…

Cette taxe est improductive tant qu’elle reste aussi limitée dans son prix comme dans son assiette. Dans ses termes actuels, la taxe carbone ne permettra jamais de réaliser la division par quatre de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.

L’exclusion complète de la consommation électrique de l’assiette de la taxe pose deux problèmes : d’une part, cela n’incite pas à réduire la consommation d’électricité, alors que cette dernière pourrait être utilisée pour réduire les émissions dans d’autres secteurs, en particulier dans les transports ; d’autre part, cela renforce l’incitation au choix du chauffage électrique, dont tout le monde sait pourtant qu’il est une aberration énergétique.

Comment réconcilier cette exclusion avec le développement des réseaux de chaleur que prétend encourager le Grenelle II ? Que faut-il voir dans cette contradiction sinon l’influence évidente des grands groupes énergétiques sur les prises de décisions publiques ?

Cette taxe n’est pas seulement improductive ; elle est aussi injuste dans son fonctionnement. En effet, au prix de la tonne de carbone proposé, elle aboutira à alourdir la facture des plus modestes sans pour autant dissuader les comportements les plus énergivores de ceux qui ont les moyens de s’en acquitter.

Alors que nous avions là, potentiellement, un formidable outil de justice fiscale par les redistributions de richesses et la prise en compte des externalités négatives liées aux comportements de gaspillage, on ne nous propose qu’une redistribution du produit de cette taxe à l’aide d’un chèque vert.

Le renchérissement des énergies fossiles, dont les objectifs sont à la fois la réduction globale de la dépense d’énergie et le changement de source d’énergie, doit s’accompagner de politiques visant à développer l’offre d’alternatives à la consommation et d’incitations à la transition énergétique, comme le préconisait à juste titre le rapport de Michel Rocard.

L’exclusion de la consommation électrique et l’absence de mesures d’aides aux foyers pour le changement de source d’énergie vont complètement à rebours de ces recommandations.

Comble de l’injustice, on nous demande de taxer les individus alors que l’on a proposé un marché aux entreprises les plus fortement émettrices de gaz à effet de serre. La taxe vise les consommations d’énergie, mais les industries de production d’électricité, ainsi que l’ensemble des installations soumises au système européen de quotas de CO2, sont exemptées afin de leur éviter une prétendue « double peine ».

En réalité, au lieu de s’attaquer directement aux plus gros émetteurs de gaz à effet de serre en leur fixant des objectifs contraignants de réduction de leurs émissions ou en instaurant une taxe sur les activités concernées, on leur permet de spéculer sur le prix de la tonne de carbone, en leur accordant des crédits d’émission gratuits jusqu’en 2013 ! Avec ce système, contraire à la logique, les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre seront soumis aux obligations les moins contraignantes et la fiscalité carbone pèsera essentiellement sur les consommateurs d’énergie finale, sans nullement inciter à la réorientation en amont des modes de production de l’énergie ni permettre, par exemple, le financement d’un fonds en faveur des alternatives énergétiques à l’aide du produit de la taxe sur les grands producteurs d’électricité.

En effet, nous ne nous faisons pas d’illusions sur le marché européen des droits à polluer, dont l’efficacité n’a pas été prouvée à ce jour et qui pourrait bien n’être – comble du paradoxe ! – qu’une immense usine à gaz. Le rapport à mi-parcours de la mission « climat » de la Caisse des dépôts et consignations conclut à une diminution symbolique des émissions de gaz à effet de serre liée au fonctionnement du marché européen des crédits d’émission. Quant au rapport final, prévu pour le début de 2009, il n’a toujours pas été rendu, en tout cas à ma connaissance. C’est bien dommage !

La crise économique aurait pourtant dû dissiper les illusions quant à la régulation par le jeu de l’offre et de la demande, c'est-à-dire par le marché. Elle a démontré les dangers de la sophistication financière et spéculative.

Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à le dire, comme en témoigne la citation suivante : « Depuis plusieurs années, nous nous sommes enfermés dans une logique productiviste et concurrentielle, du fait d’une idéologie jamais remise en question. Si nous continuons sur la voie du dogmatisme ultralibéral, cela aboutira à nous aligner sur les pays en voie de développement, en termes de compétitivité, de coût du travail, d’environnement, de santé. » Qui a tenu récemment ces propos dans L’Express ? Un membre du parti communiste ?

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