Intervention de Évelyne Didier

Réunion du 15 septembre 2009 à 14h30
Engagement national pour l'environnement — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Évelyne DidierÉvelyne Didier :

J’évoquerai maintenant, sans entrer dans le détail, les caractéristiques de ce texte.

Sur la méthode, le principe de la concertation avec les différents acteurs de la société civile concernés est positif. Toutefois, cette concertation préalable, utile pour prendre le pouls de la situation, ne doit pas servir de prétexte pour éclipser le débat parlementaire. Trop souvent, il nous a été demandé de ne pas « détricoter » le fragile consensus ainsi trouvé, alors que le même « détricotage » opéré par les lobbies industriels ne semble pas poser de problème !

Par ailleurs, dans ce processus consultatif, l’État ne doit pas perdre de vue son rôle de garant ultime de l’intérêt général. Après avoir écouté l’ensemble des acteurs concernés, il doit pouvoir trancher en faveur des mesures les plus efficaces et les plus justes, et non en fonction des rapports de force. La révolution écologique que vous appelez de vos vœux ne pourra pas se faire si l’on prend pour postulat de départ que la réforme ne doit froisser personne, et surtout pas les entreprises. Certes, il est légitime d’écouter celles-ci et de prendre la mesure de leurs contraintes afin de faire en sorte que les réformes, dont l’objectif principal doit être maintenu, leur causent le moins de tort possible, mais ce sont bien les intérêts privés qui doivent plier en dernier ressort devant la nécessité d’une action politique d’intérêt général, et non l’inverse.

En l’absence d’un arbitrage fort de l’État entre les acteurs, on aboutit à un texte trop imprécis qui, in fine, laisse une grande marge d’action au Gouvernement. Mes chers collègues, nous allons faire de la poésie : la loi s’écrira ensuite, par le biais de décrets, bien loin des parlementaires ! D’ailleurs, le présent projet de loi comporte 136 fois le mot « décret », chiffre supérieur au nombre d’articles ! En outre, il prévoit quatorze ordonnances et vingt règlements. Cela ne correspond pas à la vocation assignée au Grenelle II, qui devait présenter des mesures précises de mise en œuvre des objectifs du Grenelle I. La concertation devait permettre de disposer de tous les éléments nécessaires à cette fin. Or il apparaît, en définitive, que chaque mesure, ou presque, fera l’objet d’un décret d’application. Si l’on en croit l’édition de mardi du journal Le Monde, un décret devrait d’ailleurs être pris très prochainement. Cela signifie-t-il que les décrets paraîtront avant même la fin de notre débat ?

Sur le fond, nous déplorons qu’une volonté de recentralisation des processus de décision publique transparaisse tout au long du texte. Un grand nombre d’articles organisent un transfert de pouvoir des collectivités territoriales, surtout des départements et des régions, vers le préfet et l’État central. Cela dénote une défiance certaine à l’égard des collectivités territoriales et des élus locaux ! On remet le pouvoir entre les mains de l’État sous couvert de décentralisation. Faire supporter par les collectivités territoriales, qui ont vu leur dotation de fonctionnement réduite et qui doivent faire face aux incertitudes pesant sur le devenir de leurs finances, le coût de certaines mesures dont les modalités auront été fixées par décret ou par arrêté relève d’une véritable volonté de mise sous tutelle, voire d’asphyxie. Et c’est au Sénat, censé représenter les collectivités territoriales, que l’on demande d’approuver cette orientation ?

Nous pensons au contraire qu’il faut défendre l’action des collectivités territoriales. Celles-ci doivent rester impliquées dans la prise des décisions qui les concernent directement et pour lesquelles leur expertise en matière d’aménagement du territoire est précieuse. Nous devons leur donner les moyens d’une telle implication.

Or, aux termes de la rédaction actuelle du texte, les collectivités territoriales ne seront pas maîtresses de l’élaboration du plan climat-énergie territorial puisque celui-ci sera arrêté par le préfet. L’article 19 du titre II, relatif aux transports, est également symptomatique de cette tendance : les communes seront dépossédées de l’organisation des services d’autopartage et réduites à attribuer des labels à des acteurs privés. Au lieu de cela, on aurait pu trouver des financements dans l’internalisation des coûts de l’utilisation des voies routières, ce qui aurait permis, dans un même mouvement, de favoriser un transfert vers le rail. Je laisserai le soin à ma collègue Mireille Schurch de développer plus avant notre position sur le titre relatif aux transports.

Nous constatons que, au nom de la révision générale des politiques publiques, on ne cesse d’introduire partout des méthodes de management venues du secteur privé, comme c’est malheureusement aussi le cas dans d’autres domaines. Ainsi, alors qu’auparavant les ministères étaient dotés de moyens propres, en matière d’expertise notamment, le choix a été fait, au détour de plusieurs textes, d’externaliser ces compétences. Nous ne pouvons souscrire à cette mise sur le marché de pans entiers du service public. Partout il s’agit de casser tout ce qui ne permet pas la souplesse afin de faciliter les réformes et de favoriser la soumission au marché. Depuis 2002, tous les textes de loi s’inscrivent dans ce plan d’ensemble.

En ce qui concerne le bâtiment, une des dispositions les plus contestables à nos yeux de ce texte, insérée par la commission, revient à faire supporter pour moitié au locataire le financement des travaux d’amélioration du logement qu’il occupe. Cette disposition permettra au propriétaire de majorer le loyer à concurrence de l’équivalent de 50 % de la baisse des charges mensuelles consécutive à la réalisation de ces travaux, alors même qu’il pourra bénéficier, à ce titre, de prêts à taux avantageux et de réductions fiscales. C’est inadmissible ! Quelle est la logique dans tout cela ? Comment peut-on nous affirmer que ce texte est équitable alors que l’application d’une telle disposition pourrait, à terme, aboutir à restreindre encore plus l’accès au logement pour les catégories les plus défavorisées, en contradiction avec les ambitions affichées dans la loi Boutin ?

Nous relevons parfois de réelles avancées dans ce texte, notamment en matière d’engagement de la responsabilité environnementale des entreprises. Cependant, le récent désastre écologique consécutif à la fuite d’un pipeline dans la plaine de la Crau illustre la nécessité d’inscrire dans la législation la notion de préjudice écologique. À cet égard, nous nous félicitons de la volonté exprimée par Mme la secrétaire d’État de mettre rapidement en place une telle législation, tout comme d’ailleurs de certaines de ses propositions concernant la protection de la biodiversité et de son intention d’en faire un « enjeu populaire », en associant à ce combat les communes et les citoyens. Cela nous semble aller tout à fait dans le bon sens.

À l’inverse, la proposition de mettre en place une nouvelle certification haute qualité environnementale pour les produits agricoles nous paraît de nature à susciter la confusion avec les produits bio parmi les consommateurs. De même, les dispositions relatives à la protection des trames verte et bleue pèchent par une rédaction parfois trop lâche, marquée trop souvent par la crainte d’entraver le développement économique.

Cela étant, sur le fond de ce texte, nous critiquons principalement le report constant de la responsabilité sur l’individu, sur le consommateur. Les mesures du titre VI du projet de loi sont symptomatiques d’un système qui désigne toujours le consommateur comme le pollueur et qui tend à le rendre seul responsable, alors que c’est à la collectivité qu’il revient de prendre les mesures nécessaires pour agir à la source – à cet égard, je partage tout à fait le point de vue de M. Dominique Braye au sujet des déchets –, sur les modes de production, en imposant aux entreprises des pratiques plus respectueuses de l’environnement et plus économes en énergie.

Prenons l’exemple de l’étiquetage carbone. Tandis que les gaz à effet de serre sont émis, pour près de 50 %, lors de la production, de la distribution et de l’élimination des biens, produits ou services, l’émission des 50 % restants se répartissant entre consommation d’énergie à domicile et transports individuels, on demande au consommateur d’être vertueux – en supposant qu’il peut se repérer dans la jungle des informations relatives à la consommation –, mais l’on n’agit pas à la source, auprès du producteur. Ces mesures relèvent de la même démarche que les campagnes de prévention sur l’alimentation, qui ne sont accompagnées d’aucune régulation de l’industrie agro-alimentaire. Le poids des décisions vertueuses repose entièrement sur les individus, alors que ce qu’ont exprimé les Français à l’occasion de leur vote lors des élections européennes, c’est le souhait que l’État prenne les mesures nécessaires pour remédier à la situation. D’après une étude menée en juin 2009, pour 74 % de nos compatriotes, l’enjeu est non plus de les convaincre de l’importance du sujet, mais de leur donner les moyens d’agir. Va-t-on réellement en ce sens en ne leur proposant que de l’information et pas d’alternative réelle ?

Il en est de même pour les prêts à taux zéro, présentés comme la solution miracle et qui ressortissent au même mécanisme : l’État se défausse de ses responsabilités et de sa mission de protection de l’intérêt général sur les foyers, sur l’individu, sur le consommateur.

Madame la secrétaire d’État, vous avez dit que nous devions remettre en cause notre mode de consommation en faisant confiance, pour cela, à l’intelligence du consommateur. Je ne suis pas complètement d’accord avec vous : l’intérêt des consommateurs ne peut pas remplacer l’intérêt général, qui va bien au-delà et ne peut être défendu dans le cadre d’une économie libéralisée à outrance. À cet égard, vous avez parlé d’ « économie administrée », caricaturant ainsi la nécessaire régulation. Il est vrai qu’agir à la source demande une certaine indépendance à l’égard des intérêts des industriels et impose de prendre du recul par rapport à l’obsession de la compétitivité économique.

L’article 82 du projet de loi est révélateur de l’incapacité du Gouvernement à prendre le taureau par les cornes en matière de régulation des activités économiques et financières. Obligation sera faite aux sociétés d’investissement et de gestion de faire mention, dans leur rapport annuel, des modalités de prise en compte dans leur politique d’investissement des « critères relatifs au respect d’objectifs sociaux, environnementaux ou de qualité de gouvernance ». Est-ce réellement là le maximum que vous puissiez faire en matière d’orientation de l’activité financière vers les objectifs de protection de l’environnement, madame la secrétaire d’État ? Pensez-vous réellement qu’une telle disposition sera de nature à faire bouger les choses ? Permettez-moi d’en douter !

À ce stade de la discussion, le groupe CRC-SPG réserve son vote, qui dépendra de l’évolution du texte au cours du débat et de la prise en compte de ses propositions, mais il est certain que, en l’état, nous ne pouvons y souscrire tant les incohérences sont nombreuses.

Que penser du cynisme – je pèse mes mots ! – qui entoure ces annonces en grande pompe d’une « révolution verte » ? Quel crédit accorder aux bonnes intentions affichées quand Bernard Kouchner déclare, à propos des négociations internationales sur le changement climatique, que les pays en développement se méfient de nous et qu’ils ont raison de le faire ? Qu’est-ce que cela signifie ? La cacophonie règne dans les discours tenus par les membres du Gouvernement ! Suivant les conseils de M. Kouchner, nous nous méfions de ces révolutions en trompe-l’œil qui, sous couvert de transformer nos modes de vie, n’ont en réalité pour objet que de pérenniser le déséquilibre des rapports de force, au détriment des pays en développement ou des classes sociales les plus fragiles.

Ce constat vient confirmer le décalage profond qui existe entre les objectifs affichés du Grenelle et le projet de société porté par le Président de la République et l’UMP, qui vise à « décomplexer » les Français en matière de richesse et de profit personnel, qui prône le « toujours plus » – « travailler plus » et « gagner plus » pour pouvoir « consommer plus » –, au rebours de la promotion d’une société solidaire, soucieuse avant tout de sa survie collective au sein d’un environnement préservé.

Nous dénonçons la récupération des thématiques écologiques par la droite ; nous dénonçons la discordance entre le discours et les actes ; nous dénonçons enfin le simple maquillage du système existant, qui transformerait comme par magie les excès du libéralisme en une vertueuse « croissance verte ».

Ce que nous affirmons aujourd’hui, c’est que la nécessaire « révolution écologique » passe par l’avènement d’une société plus solidaire, moins encline à la recherche du profit à court terme et au gaspillage, et d’un État fort et performant, seul à même d’assurer une gestion maîtrisée des ressources. Une occasion unique nous est offerte de proposer une véritable révolution, bien plus ambitieuse que la réforme par trop cosmétique que vous nous présentez.

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