Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 15 septembre 2009 à 14h30
Engagement national pour l'environnement — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il me revient la responsabilité de faire entendre une voix des outre-mer dans l’examen de ce texte tant attendu mais qui semble pourtant les avoir oubliés, en dépit des prometteuses dispositions de l’article 56 du Grenelle I. On y lit en effet que les outre-mer « sont appelés à jouer un rôle essentiel dans la politique de la nation en faveur du développement durable et de l’écodéveloppement, au sein de leurs différentes aires géographiques ; la politique de l’État y placera au premier rang de ses priorités leur développement durable, en prenant en compte leurs spécificités sociétales, environnementales, énergétiques et économiques. »

J’attendais donc avec impatience ce nouveau projet de loi, annoncé comme plus opérationnel, plus concret, comportant des plans d’action et des moyens.

À la lecture du texte, j’ai eu envie de dire : « Oubliés encore une fois ! » Mais est-ce de l’oubli ? La situation se répète sur tant de textes de loi que j’en arrive aujourd’hui à me poser la question plus générale de la place des outre-mer dans les lois de la République et des conditions d’élaboration de ces dernières.

Permettez-moi de m’expliquer sur cette première remarque, qui ne se veut en aucun cas polémique. L’enjeu est trop important, trop grave, pour que des territoires qui comptent au nombre des principaux atouts de la stratégie internationale de la France en matière d’écodéveloppement soient aussi peu pris en compte dans un texte national d’une telle portée.

Je voudrais citer le rapporteur du « Grenelle I », notre collègue Bruno Sido : « La richesse de la biodiversité ultramarine permet à la France de siéger dans la quasi-totalité des instances internationales de préservation de l’environnement. Ainsi l’outre-mer comporte 97% de la superficie des eaux maritimes françaises […], 98% des vertébrés et 96% des plantes vasculaires, cent fois plus de poissons d’eau douce […], l’un des quinze derniers grands massifs de forêt tropicale non encore fragmentés […] avec la forêt guyanaise, le premier lagon […] en Nouvelle-Calédonie. »

Ce même rapport fait également état de la fragilité de cette richesse environnementale, ainsi que de la difficulté pour les collectivités territoriales ultramarines d’atteindre les standards métropolitains au regard des normes des stations urbaines d’épuration. Cette mise aux normes devrait intervenir en 2012, alors que les besoins de financement des collectivités ultramarines sont estimés, quant à eux, à 3, 6 milliards d’euros, pour des travaux devant s’achever « peut-être » à l’horizon 2040.

On pourrait évoquer d’autres difficultés, comme celles qui sont liées à une gestion des déchets devant répondre aux normes européennes d’ici à 2012. Or en Guyane, par exemple, les collectivités locales non seulement manquent de moyens pour investir dans les équipements nécessaires, mais elles voient leur budget encore amputé par les pénalités auxquelles elles sont soumises du fait de ces retards.

Nous devons également atteindre un « bon état écologique de l’eau » d’ici à 2015 : entre le chlordécone aux Antilles, le mercure dû à l’orpaillage clandestin en Guyane, et leurs dégâts sur la santé des populations…

Par ailleurs, en Guyane, 50 % de la population rurale n’a pas accès à l’eau potable et 35 % pas accès à l’électricité, les réseaux étant insuffisants. Comment réaliser dans ces conditions l’objectif consigné dans le Grenelle I d’égal accès de tous les citoyens à ces énergies ?

Ce ne sont là que quelques-unes des réalités qu’il faudrait aborder avec autant de vigueur dans nos régions que sur l’ensemble du territoire national.

Si des adaptations réglementaires, mais également financières, fiscales, incitatives et techniques sont nécessaires, elles sont aussi urgentes, et je souligne ce dernier mot. Or, finalement, au nom de ces adaptations, nos régions sont bien souvent reléguées à ce sempiternel et symbolique dernier article de loi, qui renvoie à l’article 38 de la Constitution pour des adaptations qui se font attendre parfois des décennies.

Je n’exagère pas, croyez-moi ! Par exemple, cela fait neuf ans que la Guyane attend les décrets d’application de l’article 20 de la loi du 13 décembre 2000 d’orientation pour l’outre-mer, qui prévoit de donner un statut à ses fleuves et à ses piroguiers. Et il y a pire !

Toujours est-il que, la commission de l’économie ayant supprimé l’article 104 qui figurait dans le texte d’origine du Gouvernement, il ne nous reste même pas ce recours. Presque tous les articles sont donc censés s’appliquer directement. Est-ce concevable ?

Ma déception, partagée par mes collègues ultramarins, est à la hauteur de nos premiers espoirs. Nous avions salué, en effet, le Grenelle I, malgré ses insuffisances, car il portait l’esprit d’une nouvelle gouvernance face à des enjeux sur lesquels nos régions si lointaines avaient enfin une carte à jouer, non seulement pour leur devenir, mais aussi comme exemple pour la planète.

Alors, aujourd’hui, face à ce projet de loi portant engagement national pour l’environnement, quelque chose nous échappe. Le mot « national » ne nous concernerait donc pas ?

Car enfin, au cours du processus des deux Grenelle, celui de l’environnement et celui de la mer, des propositions pour nos régions ont été formulées par divers groupes de travail.

S’agissant d’un enjeu commun, un enjeu tel qu’il dépasse les frontières, n’était-il pas possible de proposer dans le même texte, pour l’outre-mer et l’Hexagone, tout en respectant les différences à prendre en compte, tous les instruments possibles à ce jour de la « boîte à outils juridiques » mise en débat aujourd’hui ?

On peut se demander dès lors ce que le Grenelle II traduit vraiment, s’agissant de l’outre-mer.

Vous comprendrez que nous ne pouvons pas accepter ce texte en l’état. C’est pourquoi nous avons déposé des amendements, sur lesquels nous comptons nous montrer insistants, en espérant que vous y serez attentifs.

Soyez-en bien conscients : cette traduction normative des orientations du Grenelle I présente, pour les outre-mer comme pour la métropole, le double défaut d’être à la fois partielle et partiale.

Partielle, parce que le niveau d’ambition de l’origine semble s’amenuiser ou se compromettre à mesure que les décisions se succèdent ; partiale, parce que, entre les exigences écologiques, les impératifs économiques et le pouvoir financier de certains lobbies, les arbitrages ultimes placent les curseurs sur des positions parfois étonnantes au regard des intentions préalablement annoncées.

Ce qui me frappe plus spécialement s’agissant de l’outre-mer, c’est le caractère inopérant d’une bonne partie de ce texte pour des territoires qui, comme la Guyane, comptent 7, 5 millions d’hectares de forêt, contribuant à plus de 20 % de l’inventaire national de dioxyde de carbone, ou qui totalisent, dans leur ensemble, 10 millions de kilomètres de façade maritime, la deuxième du monde.

Ceux qui ont, de près ou de loin, suivi les travaux de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer ne me contrediront pas : ce projet de loi, en tant que tel, ne conduira nullement les collectivités territoriales ultramarines, déjà exsangues, à réaliser les objectifs affichés les concernant. Au contraire, leurs finances seront étranglées sous la pression de réglementations qui paraîtront coercitives et injustes, alors que nul ne peut remettre en cause le bien-fondé des ambitions du Grenelle.

C’est pourquoi, ce point étant fait, permettez-moi, monsieur le ministre d’État, au nom de mes collègues ultramarins, de vous poser trois questions cruciales pour nos territoires, d’autant que l’article 40 de la Constitution ne nous permet pas de formuler toutes les propositions que nous portons.

Premièrement, s’agissant des mesures en lien avec des échéances arrêtées dans le cadre de directives européennes, comment accompagnerez-vous les collectivités territoriales d’outre-mer afin de leur permettre de rattraper les retards en matière d’infrastructures ? Ce sont des prérequis indispensables au respect de la réglementation européenne.

Deuxièmement, hors directives européennes, quels moyens sont mobilisés dans le domaine des transports et du désenclavement, s’agissant notamment des notions de multimodalité ou d’alternative à la route, qui englobent d’autres contenus qu’en métropole, ou encore dans le domaine de la réparation écologique et sanitaire des dégâts de l’orpaillage sur la santé et l’environnement ?

Quelle sera la traduction financière du puits carbone pour les territoires, au-delà de la taxe ?

Quels moyens seront consacrés à la protection de la biodiversité et des ressources génétiques contre le pillage légal par des grands groupes pharmaceutiques ou industriels ? Comment prévoit-on de régler, entre autres, la question des brevets sur les ressources génétiques ?

Le logement social devra très prochainement être, lui aussi, exemplaire en matière de performance énergétique. Nous approuvons l’objectif, mais, eu égard à la situation des bailleurs sociaux, saura-t-on concilier les coûts des améliorations qualitatives avec ceux de la nécessaire construction de masse ? Saura-t-on concilier la mise en œuvre de techniques adaptées aux territoires avec des normes parfois absurdes dont nous attendons toujours les fameuses adaptations ?

De quels moyens bénéficiera la coopération régionale, par exemple en matière de structuration des filières de recyclage et de valorisation des déchets ?

Troisièmement, enfin, en termes de gouvernance, nos régions sont exhortées à prendre en main leur développement endogène, mais le Gouvernement impose parfois sans concertation réelle les schémas, plans, projets, normes, autorisations, ce qui limite dès lors l’exercice de la responsabilité locale et décourage les initiatives. Quelle perspective de collaboration intelligente pouvons-nous espérer entre l’État, les collectivités territoriales et les acteurs de la société civile sur ces questions qui engagent l’avenir de nos territoires ?

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