Intervention de Jean-Jacques Jégou

Réunion du 8 juillet 2010 à 14h30
Règlement des comptes pour l'année 2009 — Suite de la discussion et adoption définitive d'un projet de loi

Photo de Jean-Jacques JégouJean-Jacques Jégou :

La dette publique, quant à elle, s’est aggravée de plus de dix points de PIB – représentant plus de 200 milliards d’euros –, pour atteindre 78, 1 % du PIB et frôler les 1 500 milliards d’euros. L’aggravation des déficits, notamment du déficit primaire, rend impossible à ce niveau la stabilisation de l’endettement en pourcentage du PIB, ce qui oblige notre pays à emprunter pour payer les intérêts de la dette et une partie des dépenses courantes.

Outre le risque d’emballement de la dette décrit en juin 2009 par le regretté Philippe Séguin, le recours à des prêts à court terme est particulièrement préoccupant, monsieur le ministre, puisque 36 % des dettes de l’État sont exigibles à moins de deux ans, ce qui expose notre pays à la remontée des taux et accroît donc notre vulnérabilité.

Un autre sujet d’inquiétude tient à ce que notre dette est détenue à 68 % par des non-résidents, ce qui rend notre pays dépendant à l’égard de créanciers extérieurs et pose, à terme, la question de l’exercice de notre souveraineté.

Si nos déficits publics ont connu un tel dérapage, c’est parce que nous n’avons pas suffisamment réduit le déficit structurel avant la crise. Il est à regretter que les périodes fastes – en gros, la décennie 1998-2008 – n’aient pas été utilisées pour assainir nos finances publiques, si bien qu’en 2009 les mesures pour faire face à la crise économique et financière ont conduit à une explosion des déficits budgétaires.

En effet, malgré une récession moins violente et un plan de relance d’une ampleur plus limitée, notre déficit et notre dette ont augmenté dans les mêmes proportions que ceux des autres pays européens. II ne faudrait pas que certains, avec les prémices d’un retour de la croissance, au demeurant certainement molle, retombent dans la facilité de l’endettement.

L’ampleur de la dégradation des finances publiques en 2009 a franchi, avec la crise économique, un nouveau stade. Les recettes de l’État sont retombées à un niveau proche de celui de 1996 en euros courants et au niveau de 1979 en euros constants. Mais cela ne doit pas masquer que le mal qui atteint nos finances est chronique. La crise économique n’a fait que confirmer les faiblesses structurelles de nos finances publiques.

En effet, la dégradation de la situation des finances publiques n’est pas uniquement attribuable à la crise économique et aux effets du plan de relance. Force est de constater, avec la Cour des comptes, que la crise n’explique qu’une partie de cette dégradation. D’après ses calculs, le déficit structurel atteint 5 % du PIB en 2009, contre 3, 9 % en 2008, la crise et les mesures de relance expliquant seulement un tiers du déficit global.

Pour 2009, cette situation s’explique par l’insuffisante sécurisation des recettes de l’État : le Gouvernement a accumulé les dépenses fiscales qui ont provoqué une baisse des recettes de 1, 4 milliard d’euros, liée en particulier à la baisse de la TVA dans la restauration. En réalité, ce sont plus de 3 milliards en année pleine. En outre, de nombreuses mesures prises avant la crise ont eu des effets sur 2009. Les allégements fiscaux liés à la loi TEPA consentis en 2007 et 2008 ont engendré ainsi un surcoût de 5, 2 milliards d’euros en 2009.

Si l’on observe l’évolution des comptes publics sur une période plus longue, il apparaît que l’aggravation du déficit structurel est due au décalage permanent et ancien entre les dépenses et les recettes publiques : les dépenses ne sont couvertes qu’à hauteur de 86 % en 2009 et les recettes de l’État couvrent à peine plus de la moitié de ses dépenses nettes. Or, depuis 2000, ce sont plus de 100 milliards d’euros de recettes fiscales dont a été privé le budget de l’État, pour deux tiers en raison de mesures de baisses d’impôts, le tiers restant étant lié à des transferts de recettes aux autres administrations publiques.

Le rapporteur général de l’Assemblée nationale, mon collègue val-de-marnais Gilles Carrez, a montré que la décennie 2000 s’est caractérisée par un mouvement d’ampleur de diminution des ressources de l’État, à la fois par des baisses d’impôt sur le revenu et par la multiplication des dépenses fiscales. Depuis 2000, la France a accumulé les baisses d’impôts sans les gager par des réductions de dépenses, au point que le déficit structurel s’est progressivement accru pour atteindre 5 % du PIB en 2009.

Pour ne prendre que l’exemple des dépenses fiscales, qui sont un moyen facile pour les gouvernements de déroger à la norme budgétaire du « zéro volume », elles coûtaient 56 milliards d’euros en 2000, contre 73 milliards en 2009. Depuis dix ans, l’évolution de la dépense fiscale a été en moyenne de 5, 2 % d’une année sur l’autre. Depuis 2004, cette évolution atteint chaque année 8, 5 %. La dépense fiscale, dont le coût est difficilement maîtrisable, a deux effets : elle mine progressivement les recettes de l’État et elle est un facteur d’injustice fiscale en grignotant l’impôt sur le revenu.

Si, au cours de la période 2000-2009, les gouvernements successifs avaient gagé et compensé systématiquement les nouvelles mesures en matière fiscale par des économies sur la dépense ou par l’augmentation d’autres prélèvements, le déficit public et la dette publique se seraient établis respectivement à 3, 7 % et 54, 6 % du PIB en 2009, au lieu de 7, 5 % et 78 %. Pendant trois années consécutives, de 2006 à 2008, le budget aurait même été excédentaire. La dette publique brute serait passée sous la barre des 50 % du PIB en 2007 et 2008. Mais ne rêvons pas !

Nous devons avoir conscience que nous ne pouvons plus accorder des baisses d’impôts non gagées : leur compensation systématique par des économies sur la dépense ou par des hausses d’autres prélèvements est une condition indispensable de la soutenabilité de l’endettement public. Mieux encore, il faudrait aussi revenir sur une partie des exonérations de charges patronales pour certains secteurs d’activité comme la grande distribution, car nous savons tous qu’elles ne servent à rien. Si les gouvernements s’étaient contraints à cette discipline, nous n’en serions pas là.

L’hémorragie doit être stoppée, l’État ne disposant pas de capacités financières illimitées. Comme le proposait le rapport Pébereau en 2005, les ressources des administrations publiques doivent rester à un niveau stable pour pouvoir désendetter le pays.

Le redressement de nos finances publiques est désormais un impératif, car la crédibilité financière de la France vis-à-vis de ses créanciers est en jeu, comme l’a montré la crise récente de la dette dans la zone euro. Il faut un traitement immédiat, dès 2011, continu et massif de nos déséquilibres financiers, car le seul retour de la croissance ne suffira pas. Voilà quelques jours, Didier Migaud expliquait devant la commission des finances qu’en 2013, dans l’hypothèse d’une croissance de 2, 25 % et avec la seule évolution tendancielle des dépenses de ces dernières années, le déficit public et la dette publique dépasseraient respectivement 6 % du PIB et 93 % de la richesse nationale, soit plus de 2 000 milliards d’euros.

Les tensions sur le marché de la dette souveraine sont venues nous rappeler que les États ne peuvent s’endetter à l’infini et qu’ils peuvent aussi faire faillite. À chaque chose, malheur est bon ! Les marchés nous imposent désormais d’abandonner les facilités qui ont prévalu depuis dix ans. Nous prenons enfin conscience que la dépense publique ne peut plus être financée indéfiniment par l’emprunt, reportant son poids sur les générations futures.

La marche à suivre dans les prochaines années est simple : nous devons nous guérir de l’addiction aux dépenses publiques comme de la tentation de baisser les impôts.

Sans vouloir anticiper sur le débat d’orientation sur les finances publiques de cet après-midi, je ferai quelques remarques relatives aux perspectives de redressement des finances publiques.

Le programme de stabilité du Gouvernement, qui prévoit de ramener le déficit public de 8 % du PIB en 2010 à 3 % en 2013 est fondé sur une hypothèse de croissance de 2, 5 % en moyenne sur trois années. Certains qualifient poliment ces prévisions d’optimistes ou d’ambitieuses, estimant que la croissance potentielle se situerait plutôt autour de 1, 8 %. Je voudrais rappeler que plus le taux de croissance sera faible et inférieur à la prévision gouvernementale, plus l’effort à fournir pour maîtriser la dépense devra être important. Autrement dit, un taux de croissance prévisionnelle trop élevé conduirait à sous-estimer les efforts de redressement à fournir.

De même, afin de ne pas sous-estimer l’effort à accomplir en matière de réduction de la dépense, qui est de l’ordre de 20 milliards chaque année, ce qui est déjà très ambitieux, il ne faut pas surestimer l’évolution spontanée des recettes liées au retour de la croissance. Je parle sous le contrôle du président de la commission des finances, l’audition de certains ministres dans le cadre de l’examen en commission du projet de loi de règlement nous a laissés sceptiques quant à leur volonté de réduire réellement leurs dépenses de fonctionnement.

Le Gouvernement fait le pari que la reprise économique permettra de rattraper, sur trois ans, les pertes conjoncturelles de recettes dues à la crise, …

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion