Intervention de Nicole Bricq

Réunion du 8 juillet 2010 à 14h30
Orientations des finances publiques pour 2011 — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Nicole BricqNicole Bricq :

…mais au moins a-t-il le mérite d’être inventif.

Mme la ministre a commencé son plaidoyer en faveur de ses orientations budgétaires par l’Europe, et j’estime que c’était avec raison, car, depuis le début de l’année, les inquiétudes des marchés se sont focalisées sur l’Europe, en mal de gouvernance et défaillante jusque dans son cœur, ainsi que sur la zone euro et sa promptitude à assurer la solidarité entre ses pays membres.

À cet égard, force est de reconnaître que le délai entre le 11 février et le 9 mai nous a coûté très cher et que tout n’est pas imputable à la dette publique.

La crise grecque a été le détonateur, alors que la dette publique mondiale atteignait son niveau le plus élevé en temps de paix.

C’est dans ce contexte qu’il nous faut apprécier la « trajectoire » des finances publiques.

Les perspectives en Europe sont très sombres. Il est question de revenir, en trois exercices, à 3 % du déficit, sachant que l’on part de 8 %.

Si l’on regarde dans le passé proche, on constate que les ajustements budgétaires qui ont réussi – je pense au Canada et à la Suède, assez souvent cités – reposaient sur une différence énorme : ils bénéficiaient d’un contexte macroéconomique favorable, contexte qui semble peu probable en Europe et en France, où le Gouvernement raisonne en fonction d’un taux de croissance encore estimé à 2, 5 % en 2011, taux qui n’est pas crédible.

Le rapporteur général a raisonné sur une hypothèse proche de la croissance potentielle, qu’il estime à 2 % tout en reconnaissant que certains économistes sont plus pessimistes, le taux de 1, 7 % étant évoqué.

La crise actuelle, en effet, n’est pas une crise ordinaire, et elle n’est notamment pas comparable à celle de 1993 : la destruction de richesses qu’entraîne une crise d’une telle profondeur ne sera jamais intégralement rattrapable.

Il faut prendre appui sur les leçons du passé, et en particulier se souvenir que le resserrement trop précoce de la politique économique aux États-Unis dans les années trente a entraîné une rechute de l’activité.

Les questions de calendrier et de rythme sont donc essentielles. Trop court et trop brutal, ils se révéleront dangereux.

Madame la ministre, je vous ai entendue : gardons-nous de tout miser sur la baisse de l’euro !

Celle-ci peut compenser une petite partie de la restriction budgétaire en 2011, mais, au-delà, les prévisions du pacte de stabilité n’étant qu’à trois ans, l’incertitude est totale.

Si en parlant de « ri-lance », vous avez voulu dire qu’il fallait réduire les déficits tout en assurant la croissance, cela pourrait signifier que vous avez conscience du danger qu’il y a à pratiquer avec zèle l’austérité aussi bien que de la nécessité d’une conduite de nos finances habile et menée dans un temps raisonnable.

Cependant, s’il ne s’agit que d’une astuce de communication pour « habiller » la réalité sans jamais l’assumer, c’est une bien mauvaise action !

Je vous le dis solennellement, agir ainsi vous condamne à achever de ruiner la confiance. Or la crise, la tourmente, le bouleversement du monde que nous traversons est d’abord marqué par la défiance.

Pour être efficace, une communication doit être crédible, pour les Français comme pour les marchés.

Ces derniers demeurent dubitatifs sur les chances de la reprise : il n’est que de voir leur réaction à l’annonce des mauvais chiffres aux États-Unis et du ralentissement du rythme de croissance en Chine.

Notre pays, du fait de sa moindre exposition à la baisse du commerce mondial et de ses stabilisateurs automatiques, a peut-être mieux traversé le choc brutal des deux années passées, mais ses finances sont structurellement atteintes.

J’ai bien entendu le ministre du budget : ce que vous refusiez d’admettre hier, quand le Premier président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, vous disait que le déficit structurel était de loin supérieur au déficit dû à la crise, vous l’admettez aujourd'hui.

C’est justement ce déficit structurel, supérieur à celui de l’Allemagne, qui nous vaut un écart de taux d’intérêt de 46 points de base avec ce pays.

Pour l’immense majorité des Français, la crédibilité est corrélée à la justice qui devrait marquer l’effort que l’on attend d’eux.

Or, porter un regard attentif sur les dernières années – et, n’étant pas sectaire, je parle là des dix dernières années – nous oblige à voir la réalité en face : ce sont 100 milliards d’euros de manque à gagner pour l’État qui ont été accumulés.

Avons-nous obtenu un regain de croissance pour autant ? Non !

Avons-nous « musclé » notre appareil productif ? Non !

Les baisses d’impôts, le bouclier fiscal, le paquet fiscal de 2007, la baisse des droits de succession – je m’arrête là… – ont-ils fait revenir les exilés fiscaux ? Non !

Vous n’avez pas sanctuarisé les recettes et, malgré une croissance supérieure à 2 % par an entre 2004 et 2007, les gouvernements qui se sont succédé n’ont pas réduit la dette, alors qu’ils auraient pu le faire.

Comme le sujet d’une hausse générale des impôts est tabou, on multiplie les annonces ciblées côté recettes, et l’on fait grand bruit sur la chasse aux chiens qui sommeillent dans les niches, celles qui mitent l’impôt sur le revenu comme l’impôt sur les sociétés.

Je tiens à dire que la méthode du rabot n’est pas équitable, car elle exonère de l’effort ceux qui bénéficient du bouclier fiscal. C’est inévitable.

Quant à nous, nous avons toujours souhaité qu’une révision générale des dépenses fiscales ait lieu au regard de deux critères : l’efficacité économique et l’utilité sociale.

Ainsi, quand, en 2008, M. Woerth, alors ministre du budget, a proposé la suppression progressive de la demi-part supplémentaire essentiellement dévolue aux femmes seules ayant élevé un enfant, qu’il considérait comme une niche, nous nous sommes battus – hélas ! sans succès – pour qu’elle ne soit pas mise en œuvre.

À l’inverse, vous ne considérez pas l’exonération qui touche la plus-value de cession des titres de participation, pourtant connue sous le nom de « niche Copé », comme une niche. Nous, si, d’autant que sa suppression permettrait de trouver assez facilement quelques milliards d’euros.

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