Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 8 juillet 2010 à 14h30
Orientations des finances publiques pour 2011 — Suite d'un débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

Et ce même gouvernement, qui leur réclame de la sueur et des larmes, rembourse 30 millions d’euros à une milliardaire…

Que l’austérité soit à l’ordre du jour est un fait. Mais la question se pose de la justice sociale dans la répartition de l’effort. Quand la plus importante réforme fiscale du Gouvernement, la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, aboutit à faire payer aux plus pauvres l’extension des privilèges des plus riches, il est difficile de porter un message d’effort et de rigueur !

En outre, ces cadeaux fiscaux ont été financés à crédit. La baisse des recettes pour l’État et la sécurité sociale a été la sanction immédiate d’un tel choix.

Pour autant, il n’est toujours pas à l’ordre du jour de ce gouvernement de s’en prendre autrement qu’à la marge aux retraites « chapeau », stock-options et autres niches fiscales et allégements d’impôts. Pourtant, le coût des allégements d’impôts, de la baisse du taux de TVA dans la restauration – « un truc à plus de 3 milliards par an », dixit M. le ministre – et de la mise en œuvre de la loi TEPA s’élève à 5, 2 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent 111 milliards d’euros de remboursements, dégrèvements, niches fiscales, soit plus du quart du budget de l’État !

Les annonces médiatisées par le Gouvernement, au lieu de lancer une réflexion sur les niches fiscales, ne « tapent » réellement que sur les aides publiques. En l’occurrence, les publics visés sont les chômeurs, les étudiants, les handicapés et les employés à domicile. S’attaquer aux revenus des plus démunis est une démarche indécente quand la solidarité et la protection de notre modèle social devraient inspirer les réformes réelles que notre société mérite.

À ce titre, la situation des finances sociales réclame une attention particulière.

Le déficit de la sécurité sociale incluant l’ensemble des régimes de base et le fonds de solidarité vieillesse s’est fortement creusé en 2009, pour atteindre 21, 3 milliards d’euros.

Les quatre branches du régime général ont toutes enregistré une dégradation de leur solde financier, de manière plus prononcée pour l’assurance maladie. Redevenue la branche la plus déficitaire, celle-ci représente un peu plus de la moitié du déficit global.

Le FSV a également renoué avec un déficit important, de plus de 3 milliards d’euros. L’assurance chômage souffre, elle aussi, d’un fort déficit, ses dépenses ayant augmenté de 21, 7 %.

Enfin, la dette des organismes sociaux, somme de la dette brute portée par la CADES et de celle directement à la charge des administrations de sécurité sociale, a atteint 155, 8 milliards d’euros à la fin de 2009, soit plus de 8 % du PIB.

Tous ces déficits continuent à se creuser en 2010.

L’ensemble du régime général et du FSV serait ainsi déficitaire de plus de 31 milliards d’euros, soit une dégradation de plus de 21 milliards d’euros en l’espace de deux ans. En l’absence de reprise de dette par la CADES, le découvert de trésorerie de l’ACOSS serait de l’ordre de 55 milliards d’euros à la fin de 2010.

Or l’ACOSS n’a pas vocation à supporter une dette durable : sa mission est seulement de couvrir les besoins de trésorerie du régime général. La transformer en « CADES bis », c’est faire supporter au régime général des frais financiers croissants et nier le caractère structurel de cette dette : voilà une double erreur qui devrait encore accentuer les difficultés du régime. Tout cela a déjà été fort bien exposé par le rapporteur général de la commission des affaires sociales, Alain Vasselle.

La solution prévue par la loi est une reprise de dette par la CADES, accompagnée d’un relèvement de la CRDS afin de ne pas allonger la durée de vie de cette caisse.

Cependant, le refus du Gouvernement de tenir ses engagements et d’augmenter la CRDS pose problème face aux déficits qui, déjà, s’annoncent. Au-delà des 87 milliards d’euros de déficits cumulés des années 2009, 2010 et 2011, susceptibles d’être transférés dès 2011 à la CADES, ce sont 75 milliards d’euros de dette supplémentaire qui, mécaniquement, devraient s’ajouter de 2012 à 2016.

Pour éviter de transférer les ressources correspondant à ces dettes, le Gouvernement a choisi de faire sauter le verrou de 2021 et de reporter l’échéance à 2025. D’ores et déjà, c’est l’horizon de 2030 qui apparaît comme le plus crédible.

C’est sans doute pourquoi le Gouvernement n’hésite pas à détourner, au profit de la CADES, le fonds de réserve des retraites, censé pourtant répondre à des dépenses d’avenir plus lointain. Tel ne sera pas le cas puisque ce fonds est à présent affecté au financement des dettes résultant des déficits de l’assurance vieillesse entre 2011 et 2018.

Néanmoins, cela ne suffit pas encore. Si l’urgence est donc posée, la question des ressources, elle, reste floue, les dispositifs peu lisibles, tandis que les réformes potentielles sont réduites au « rabot comptable ».

Autrement dit, le Gouvernement, faute d’agir sur le fond, choisit, au final, de faire financer par nos enfants et nos petits-enfants nos propres dépenses. C’est une charge indue alors que ceux-ci auront à faire face aux pleins effets du vieillissement de la population et de la dépendance.

Le rééquilibrage des comptes sociaux est une nécessité que ne nie pas la gauche – elle l’a prouvé en son temps –, consciente que l’ampleur des déficits annuels et cumulés remettrait en question, à terme, notre modèle de répartition.

Malheureusement, si nous pouvons éventuellement nous mettre d’accord sur les chiffres et sur l’évaluation de la situation actuelle, nous ne partageons ni votre analyse des causes ni les prévisions sur lesquelles vous fondez vos anticipations, encore moins vos objectifs et les moyens que vous mettez en œuvre pour les atteindre.

En 2007, dans le journal Challenges, Denis Kessler affirmait que la cohérence du projet sarkozyste était de « défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ». Nous nous approchons aujourd’hui de la réalisation de cette sale besogne. Laisser filer les déficits est encore le meilleur moyen d’arriver à ce résultat, sans en assumer la paternité.

Sous couvert de programmes de stabilité, les mêmes causes produisant les mêmes effets, le Gouvernement se livre à un exercice d’ajustements comptables dont les insuffisances de départ font les mauvais résultats à l’arrivée.

Prenons l’annonce d’un ONDAM fixé à 2, 85 % par an de 2010 à 2013. Même dans ce cas, le déficit du régime général de sécurité sociale, dû pour moitié au déficit de l’assurance maladie, plus précisément au coût des pathologies lourdes, atteindrait encore 27 milliards d’euros en 2011 et 35 milliards d’euros en 2013.

Or les hypothèses qui ont amené à construire ces projections sont particulièrement optimistes : croissance de 2, 5 % et augmentation de la masse salariale de 5 % par an de 2011 à 2013. Dommage que, une fois de plus, de la Commission européenne au FMI, en passant par l’OCDE, aucune institution ne prévoie une croissance de cet ordre. Au mieux, elle pourrait atteindre 2 %, au pire, elle se situerait autour de 1, 5 %.

Si l’objectif des dépenses de l’ONDAM a été fixé à un peu plus de 2, 8 %, alors que la croissance spontanée des dépenses d’assurance maladie est plus proche de 4, 5 % par an, ce n’est pas, hélas ! parce que le Gouvernement a décidé de prendre à bras-le-corps la question du coût prohibitif de la tarification à l’acte ou du développement d’une médecine de prévention. C’est simplement parce qu’un tel chiffre permet de construire un scénario « vendable », à défaut d’être crédible.

C’est ainsi que les projets de loi de financement de la sécurité sociale successifs se sont souvent caractérisés par des annonces volontaristes que la réalité a toujours infirmées, des sous-budgétisations récurrentes et des mesures d’économie centrées sur les assurés sociaux : franchises, déremboursements, etc.

Pourtant, l’enjeu de la solidarité doit mériter que l’on change la forme du système si c’est pour mieux en préserver l’esprit. Mais chaque fois que la « droite décomplexée » s’attaque à ces questions, c’est la confiance des Français dans la préservation des acquis fondamentaux que sont l’accès généralisé aux soins et une retraite décente pour le plus grand nombre qui s’effrite.

N’aborder ce problème que sous l’angle de la baisse de la prise en charge de l’assurance maladie est délétère. Il y a maintenant des années que les projets de loi de financement de la sécurité sociale se réduisent à cela. Résultat : les dépenses continuent à augmenter, les injustices s’accroissent et le niveau de santé baisse.

Un certain nombre de pistes, néanmoins, restent à explorer. Le groupe socialiste, débat d’orientation budgétaire après débat d’orientation budgétaire, projet de loi de financement de la sécurité sociale après projet de loi de financement de la sécurité sociale, n’a cessé d’avancer des propositions. L’économie de la santé est socialisée, mais l’exercice de la médecine est principalement libéral. N’est-il pas temps de travailler à de vrais projets de maisons de santé, de réfléchir à une réforme de la rémunération des médecins en mettant en place une tarification forfaitaire ?

De même, la médecine du travail et la médecine scolaire peuvent jouer un grand rôle dans la prévention et l’éducation à la santé ; il est temps d’arrêter d’en faire les parents pauvres de la médecine. Voilà qui aurait une autre allure que la révision des critères d’entrée en affection de longue durée, engagée dans le but d’exclure le plus de malades du remboursement à 100 %, ou que la poursuite du déremboursement des médicaments.

Madame la ministre, monsieur le ministre, malheureusement, une fois de plus, les alertes des parlementaires de votre propre majorité, comme les propositions de l’opposition ne devraient pas infléchir votre politique.

Rapport sur la situation de nos finances sociales après rapport, la commission des affaires sociales du Sénat n’a pu que constater la triste réalité : malgré des signaux de plus en plus alarmants, le Gouvernement ne propose que des mesures inadaptées à la gravité de la situation.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion